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5 questions sur le « droit de rectification », cette « coutume » qui résiste


LLa cour d’appel de Metz (Moselle) a rendu le 18 avril une décision surprenante, que plusieurs associations de défense de l’enfance jugent également « scandaleuse ». Sa chambre correctionnelle d’appel a relaxé un père qui, en première instance, avait été lourdement condamné par le tribunal correctionnel de Thionville (18 mois d’emprisonnement avec sursis probatoire) pour des faits de violences sur ses enfants, âgés de 10 et 13 ans.

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Le prévenu, un ancien policier, a reconnu avoir eu une éducation « stricte et dure ». Lors de leur audition en 2022, les enfants ont décrit une autre réalité. « Quand mon père est en colère contre moi, il m’étrangle et me plaque contre le mur. Moi et mon petit frère, nous sommes terrifiés à un point que vous n’imaginez pas”, aurait déclaré l’aîné dans un témoignage rapporté par BFMTV.

LIRE AUSSI Que dit la psychanalyse de l’autorité ? La cour d’appel ne conteste pas ces actes de violences, jugeant les témoignages des victimes « cohérents et corroborés ». Mais elle évoque, dans son jugement, un « droit de correction reconnu aux parents », qui autoriserait le juge pénal à renoncer à sanctionner l’auteur de violences commises sur ses enfants, « pour autant qu’elle reste proportionnée au manquement commis et qu’elle » ils ne présentent pas un caractère humiliant ».

Le parquet, qui avait demandé la confirmation de la peine prononcée par les « premiers juges », s’est immédiatement pourvu en cassation contre cette décision, tout comme les avocats de la mère et des enfants.

1. De quel « droit de rectification » la cour d’appel de Metz fait-elle référence ?

Jusqu’en 1935, le Code civil offrait des « moyens de correction » au père – l’autorité parentale n’était pas encore conjointe – s’il avait « des motifs très graves d’insatisfaction » quant au comportement d’un de ses enfants. Il pouvait, selon les dispositions du Code civil de 1804, « le faire retenir », dès l’âge de 16 ans et pour une durée qui ne pouvait excéder un mois, dans une maison d’éducation surveillée ou une colonie pénitentiaire, sans que le président de le tribunal de district, qui devait être saisi, ne pouvait pas s’y opposer – l’enfant avait cependant un droit de recours.

Ce droit paternel de correction allait de pair avec le « droit matrimonial de correction » qu’un homme pouvait exercer sur sa femme, dans le droit ancien. Ce droit avait disparu du Code civil de 1804 qui stipulait pourtant que « le mari (doit) protection à sa femme (et) la femme obéissance à son mari ». La jurisprudence utilisera longtemps cet article pour maintenir cette coutume d’un autre âge qui, au XIXèmee siècle et jusqu’au 20èmee siècle, légitimant ainsi la violence domestique.

Hérité de l’Ancien Régime, le droit paternel de correction est aboli en 1935. Les châtiments corporels sur mineurs sont alors théoriquement interdits mais, dans les faits, les parents y restent attachés et y usent. La société résiste, renforcée par les juges qui invoquent alors la « coutume », pour exonérer de toute responsabilité pénale les auteurs de « violences éducatives » ordinaires. En revanche, les tribunaux sanctionnent les violences excessives lorsqu’elles n’ont pas de finalité éducative, lorsqu’elles sont « dégradantes ou humiliantes » ou lorsque celui qui les réclame n’a pas le « droit de correction ». Pour le reste, cela est donc maintenu, au nom de vertus prétendument « pédagogiques ». « Une bonne fessée n’a jamais fait de mal à personne », dit le bon sens populaire.

En 2008, la cour d’appel de Douai a acquitté dans cet esprit un père poursuivi pour avoir administré des gifles et des fessées à ses deux filles âgées de 13 et 16 ans, affirmant que « les violences reconnues par le prévenu étaient légères, rares et n’avaient pas dépassé les limites ». exercice du droit simple de rectification ».

Le terme « droit de rectification » vient d’une autre époque. Il s’agit d’un terrible retour en arrière, d’autant plus que les faits étaient établis et que l’homme avait été condamné en première instance.Sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie

Cette coutume a été reconnue jusqu’à tout récemment par la Cour de cassation. Ainsi, dans un arrêt du 29 octobre 2014, le tribunal de grande instance a encore constaté un « droit de correction reconnu aux parents », tout en fixant ses limites : « l’absence de préjudice causé à l’enfant », la correction doit rester « proportionnée à la violation commise et ne pas avoir un caractère humiliant ».

C’est cette jurisprudence que la cour d’appel de Metz a reprise presque mot pour mot dans son arrêt du 18 avril. Il est à noter que ce droit coutumier de correction et de discipline a également été reconnu aux enseignants, au XXe.e siècle, « à condition qu’elle soit réalisée de manière inoffensive et réponde à une nécessité éducative ». Tout récemment, un enseignant qui avait attrapé un élève par son sweat-shirt, afin de le traîner sans ménagement jusqu’à son bureau, deux étages plus haut, a été relaxé au nom de cette coutume par la cour d’appel de Caen (4 mai 1998).

2. La coutume a-t-elle force de loi ?

Depuis la Révolution et la consécration du principe de légalité pénale (« Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée préalablement au délit »), le droit pénal relève de la compétence du Parlement, et du Parlement seul.

Définie comme une règle résultant d’un usage général et prolongé, la coutume ne peut, en théorie, créer, modifier ou abroger une norme pénale. “Mais cela peut être utilisé pour interpréter la loi… Ainsi, l’autorisation de la coutume légitime le droit des parents à modérer la correction manuelle de leurs enfants”, écrivent-ils dans leur communiqué. Traité de droit pénal (Cujas, 1997) les juristes Roger Merle et André Vitu.

Pour peu qu’elle ne soit pas contraire au droit écrit, la coutume peut donc, à la marge, être source de droit et « retenue comme fait justificatif » (circonstances qui justifient ou légitiment une infraction, exonérant son auteur de sa responsabilité pénale, NDLR), observe un autre professeur de droit criminel, Jean-Paul Doucet.

Et c’est tout le débat soulevé par l’arrêt de la cour d’appel de Metz.

3. La coutume relative au droit parental de rectification est-elle contraire à la loi ?

C’est ce que soutiennent aujourd’hui la plupart des avocats et toutes les associations de défense de l’enfance.

Le Code pénal punit sévèrement les violences sur mineurs de moins de 15 ans, même lorsqu’elles n’ont entraîné aucune ITT (incapacité totale de travail) : la peine encourue est, dans ce cas, de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. La peine est alourdie lorsque ces violences ont été commises par un ascendant légitime, naturel ou adoptif (l’un des parents), la peine portant alors à 5 ans d’emprisonnement.

Le droit pénal est interprété strictement ; on peut donc considérer que la coutume légitimant le droit des parents à corriger leurs enfants, quelle que soit la forme de violence (fessée, gifles, violences morales et autres humiliations, etc.), est « contra legem », contraire à la loi.

L’autorité parentale s’exerce sans violence physique ou psychologique (art. 371-1 du Code Civil)

4. La loi a-t-elle définitivement enterré la coutume ?

C’est ce qu’espéraient les défenseurs de l’enfance et les juristes conscients de cette cause, qui ont applaudi des deux mains la promulgation, le 19 juillet 2019, de la loi « relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires ». Ce texte, lu aujourd’hui lors des cérémonies de mariage, était censé sonner le glas du droit de rectification parental. “Une avancée majeure”, s’est félicitée le Cnape, fédération d’associations de protection de l’enfance.

La loi – nous avons parlé de « loi anti-fessée » – introduit un nouvel alinéa à l’article 371-1 du Code civil relatif à l’autorité parentale. Celui-ci précise désormais que « l’autorité parentale s’exerce sans violence physique ou psychologique ».

Avec retard, la France a ainsi tenu ses engagements internationaux, après avoir été rappelée à l’ordre à plusieurs reprises par le Conseil de l’Europe, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies mais aussi, en interne, par le Défenseur des droits.

En 2015, le Comité européen des droits sociaux, invoquant l’article 17 de la Charte sociale européenne, a condamné la France en raison de « l’absence (dans sa législation) d’une interdiction complète, explicite et effective de tout châtiment corporel envers les enfants dans la famille, à l’école et dans d’autres contextes ». Pointant « une incertitude quant à l’existence d’un droit de rectification reconnu par la justice (française), le Conseil de l’Europe a ordonné à notre pays de mettre en place « des dispositions suffisamment claires, contraignantes et précises pour ne pas laisser au juge la possibilité de refuser de l’appliquer.

De même, en 2016, l’ONU a reformulé pour la quatrième fois sa demande à la France d’interdire expressément les châtiments corporels dans tous les contextes (famille, école, crèche, centre de santé, etc.), au titre de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. .

Avec la loi du 19 juillet 2019, la France a donc fini par se conformer au droit international. La nouvelle rédaction de l’article 371-1 du Code civil “ne permettra plus à la jurisprudence de se retrancher derrière un attribut implicite de l’autorité parentale pour justifier l’invocation d’un droit de rectification”, s’est félicitée Marie-Pierre. de La Gontrie, rapporteur du projet de loi au Sénat, le jour de son adoption – à l’unanimité.

Deux ans plus tôt, l’avocate Martine Herzog-Evans avait signé un article retentissant dans la revue Dalloz (« L’indigne « droit » de frapper les enfants a encore de beaux jours devant lui »), dans lequel elle dénonce l’odieuse « exception culturelle » française entretenue au moyen de « manipulations juridiques » prétendant distinguer « peines légères » et peines éducatives. » et moins de violence légère. Une première réforme, défendue par Manuel Valls, venait d’être censurée par le Conseil constitutionnel, dans des conditions que cette juriste qualifie dans son article de « honteuses ». Le gouvernement souhaitait insérer dans le Code civil un paragraphe précisant que les droits des parents seraient limités à « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours à la violence physique ». Mais les neuf sages avaient censuré le texte, pour des raisons purement formelles (décision du 26 janvier 2017).

L’indigne droit de grève a encore de beaux jours devant luiMme Herzog-Evans

“Le législateur interdisant clairement tout recours à la violence physique, la jurisprudence n’aurait plus pu prétendre qu’il existait une norme coutumière, encore présente en droit positif, autorisant les parents à corriger leurs enfants”, avait espéré M.moi Herzog-Evans. “L’indigne droit de grève a encore de beaux jours devant lui”, a-t-elle conclu avec amertume, après la censure des neuf “sages”.

5. Pourquoi la cour d’appel de Metz résiste-t-elle ?

Le juge est le gardien du droit mais aussi des conventions internationales. L’intention du législateur qui, en 2019, a fait graver dans le Code civil que l’autorité parentale s’exerce « sans violences physiques ou psychologiques » était claire : il s’agissait bien de mettre fin au droit de rectification.

Dans un article publié sur le site Public Sénat, la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie se dit « choquée » par la décision des magistrats messins, qu’elle juge « contraire à la loi ». « Avec la loi de 2019, nous avons fait un pas en avant. Aujourd’hui, nous avons l’impression de faire trois pas en arrière. Le terme « droit de rectification » est d’une autre époque. « C’est un retour en arrière terrible, d’autant que les faits ont été établis et que l’homme a été condamné en première instance », dénonce-t-elle.

La Cour de cassation, qui s’accrochait encore il y a dix ans à cette vieille coutume, est saisie de trois pourvois dans l’affaire jugée à Metz. C’est peu dire que sa position est attendue, qu’une clarification de sa jurisprudence est espérée.


Anna

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