AEn plein été, les nouvelles normes européennes de sécurité automobile ont commencé à entrer en vigueur dans la plus grande indifférence, comme toutes ces mesures techniques qui semblent aller de soi. Après tout, améliorer la sécurité routière est une cause assez consensuelle – personne ne veut tuer, ou être tué, dans un accident de la route – et renforcer les véhicules par l’innovation est un moyen qui échappe à toute forme de débat ou de discussion. Pourtant, derrière ces mesures apparemment indolores se cache toute une impensée politique : celle d’un certain rapport à la technologie, investie de toutes sortes de pouvoirs et perçue comme la seule pourvoyeuse de solutions à tous les problèmes – y compris ceux dont elle a la charge.
Ces nouvelles normes automobiles en sont un parfait exemple. Depuis le 7 juillet, tout véhicule à quatre roues (neuf) commercialisé dans l’Union européenne doit être équipé d’une myriade de systèmes électroniques et de capteurs permettant l’assistance au maintien dans la voie, le freinage d’urgence autonome, l’adaptation « intelligente » de la vitesse, les alertes de distraction ou de somnolence du conducteur, la détection d’obstacles à l’arrière du véhicule, etc.
Les voitures et les camions devront aussi passer de nouveaux crash-tests plus exigeants, qui vont mécaniquement les alourdir, note l’UFC-Que Choisir. Impossible d’anticiper l’impact que ces mesures auront sur les taux d’accidents, mais il est certain qu’elles contribueront non seulement à augmenter la quantité d’énergie nécessaire pour faire fonctionner nos voitures, mais aussi à aggraver leur empreinte environnementale, avec plus d’électronique et plus d’écrans à bord, donc plus d’eau et d’énergie nécessaires à leur fabrication, plus de métaux, de terres rares, de plastiques, etc. L’ampleur des bénéfices est incertaine, les inconvénients sont certains.
Réductionnisme technique
On touche ici au paradoxe le plus cocasse de la construction des politiques publiques européennes, dont chacune semble avoir son propre gouvernail. Alors qu’à un étage du Berlaymont, on pédale à fond pour aller vers le nord, à l’étage inférieur, on manœuvre avec acharnement pour mettre le cap vers le sud (d’où l’importance cardinale des porte-parole de la Commission, dont la tâche est alors de construire des déclarations capables de nous convaincre que le nord et le sud vont en réalité, peu ou prou, dans la même direction).
L’Union européenne s’est ainsi fixée des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030, mais contraint dans le même temps son industrie automobile à accroître l’empreinte environnementale et climatique de ses voitures. On objectera que le mouvement actuel, fortement poussé par l’UE, va vers l’électrification du parc automobile. C’est vrai. Mais l’énergie issue des renouvelables ou des centrales nucléaires n’est pas inépuisable : d’importants efforts de modération seront nécessaires dans tous les secteurs si l’on veut se passer des énergies fossiles. Dans tous les secteurs donc, sauf l’automobile – notons au passage qu’une petite Renault Zoe ou une Peugeot 208 électrique pèse 1,5 tonne, soit environ trois fois plus qu’une 2CV.
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