Le chef aux multiples influences vient de publier son dernier ouvrage, “Confort”, et tentera de conquĆ©rir plus largement le public franƧais, Ć l’aide de lĆ©gumes et d’Ć©pices.
Ses recettes sont devenues des incontournables de la cuisine tendance. Un chou-fleur entier rĆ“ti servi avec de la crĆØme de sĆ©same ? C’est lui. Une aubergine brĆ»lĆ©e saupoudrĆ©e de grenade ? Encore lui. Des carottes entiĆØres Ć la harissa ? C’est encore lui : Yotam Ottolenghi. Ce chef anglo-israĆ©lien de 55 ans a fait irruption sur la scĆØne culinaire franƧaise en 2013 et a vendu plus de 800 000 exemplaires de ses livres en France, selon son Ć©diteur Hachette. Le chef et entrepreneur londonien a publiĆ© son nouveau livre, intitulĆ© Confort – Pour Ā« nourriture rĆ©confortante Ā».
Sans restaurant en France ni Ć©toile Michelin, comment ce chef a-t-il rĆ©ussi Ć insuffler sa cuisine levantine au pays de la gastronomie ?
Yotam Ottolenghi a grandi au cÅur de la partie juive de JĆ©rusalem (IsraĆ«l). Ć la maison, son pĆØre, dāorigine italienne, prĆ©pare une cuisine traditionnelle du nord de la Botte ā polenta, boulettes de viande, sauce tomateā¦ ā tandis que sa mĆØre, dāorigine allemande, est plus ouverte, avec des currys aux influences asiatiques. Ā« Ces sensibilitĆ©s diffĆ©rentes de mes parents m’ont donnĆ© un bon Ć©quilibre Ā»explique le cuisinier Ć la parisien.
Dans les annĆ©es 1990, l’Ć©tudiant en lettres s’envole pour Amsterdam (Pays-Bas), oĆ¹ il frĆ©quente davantage le marchĆ© que les bibliothĆØques. Ā« J’ai eu une petite crise de jeunesse Ā» il confie Ć la IndiquerLes odeurs de blanquette de veau et de pot-au-feu commencent Ć s’Ć©chapper de sa cuisine. Ā« J’ai essayĆ© des choses, beaucoup de plats traditionnels d’inspiration franƧaise Ā», se souvient-il. Une dĆ©couverte que le jeune IsraĆ©lien a peaufinĆ©e Ć l’Ć©cole de cuisine franƧaise Cordon Bleu de Londres (Royaume-Uni), qu’il a intĆ©grĆ©e en 1997.
Il se sent rapidement limitĆ© par la cuisine franƧaise, qu’il juge trop rigide. Ā« Je ne comprends pas pourquoi nous suggĆ©rons que tous les lĆ©gumes, quelle que soit leur taille, soient coupĆ©s de la mĆŖme maniĆØre. Ā»il s’enclenche Le monde. Ses carottes cuites entiĆØres, fanes comprises, deviendront plus tard l’une de ses marques de fabrique. En attendant, lors de sa formation au Cordon Bleu, une seule journĆ©e est consacrĆ©e aux Ā« cuisines du monde Ā»… alors qu’elles sont dĆ©jĆ omniprĆ©sentes dans les rues de Londres.
Il a Ć©galement fait la rencontre dĆ©cisive de sa carriĆØre dans les cuisines d’un Ć©picerie fine (un restaurant-traiteur qui propose des plats Ć emporter) dans la capitale britannique. Comme lui, Sami Tamimi est nĆ© Ć JĆ©rusalem en 1968, mais dans la partie musulmane, avant d’Ć©migrer en Europe. Ensemble, ils travaillent, partagent leurs souvenirs de cuisine israĆ©lienne et palestinienne, dont ils tirent un livre, JĆ©rusalem.
L’Ć©mergence de Yotam Ottolenghi en France a commencĆ© avec ce grand livre, publiĆ© en France en 2013. Ā« Aucune maison d’Ć©dition franƧaise ne voulait acheter les droits, c’Ć©tait trop diffĆ©rent Ā»se souvient Catherine Saunier-Talec, directrice gĆ©nĆ©rale de la division chez Hachette Livre. C’est elle qui a installĆ© le cuisinier dans les rayons des librairies franƧaises. Ā« C’Ć©tait un pari risquĆ©, mais j’avais testĆ© ses recettes et c’Ć©tait une rĆ©ussite Ć chaque fois Ā»explique le rĆ©dacteur, passionnĆ© de cuisine.
Avec sa couverture en tissu Ć motifs et l’absence de photos, le livre est un OVNI. Avant d’aborder les recettes, le lecteur est invitĆ© Ć se plonger dans l’histoire de JĆ©rusalem et les origines variĆ©es de ses plats phares. Yotam Ottolenghi pose les jalons de son “cuisine du soleil” qui fera son succĆØs, avec l’utilisation d’ingrĆ©dients alors peu connus en France, comme le zaatar, un mĆ©lange d’herbes et d’Ć©pices gĆ©nĆ©ralement composĆ© de thym, d’origan, de sĆ©same, de sumac et de sel ; la mĆ©lasse de grenade ; ou encore le tahini, une crĆØme de sĆ©same.
Ā« Avec Ottolenghi, nous avons dĆ©couvert que le chou-fleur n’Ć©tait pas seulement Ć gratin et qu’il pouvait ĆŖtre dĆ©licieux ! Ā»
Catherine Saunier-Talec, directrice d’Hachette PratiqueĆ franceinfo
Dans le livre, les recettes ne sont pas classĆ©es en entrĆ©es ou en plats principaux, comme dans les menus franƧais traditionnels, mais sont prĆ©sentĆ©es sous forme d’une multitude d’assiettes Ć partager entre tous les convives, sans ordre Ć©tabli. Les viandes et les poissons sont Ć©galement relĆ©guĆ©s au second plan, aprĆØs les chapitres consacrĆ©s aux lĆ©gumes frais et secs qui deviennent les vĆ©ritables stars de l’assiette.
Cette nouvelle sauce aux saveurs mĆ©diterranĆ©ennes commence Ć faire son chemin en France grĆ¢ce au bouche-Ć -oreille, mais reste limitĆ©e Ć un cercle restreint. Ā« C’Ć©tait vraiment un public d’initiĆ©s Ā»explique DĆ©borah Dupont-Daguet, propriĆ©taire de La librairie gourmande Ć Paris et Ć Dijon (CĆ“te-d’Or). Elle souligne Ć©galement que malgrĆ© le succĆØs Ć long terme du premier livre de Yotam Ottolenghi en France, les deux suivants ont Ć©tĆ© Ā« flops Ā». Plus de cinq ans aprĆØs leur sortie, les ventes de Non Et Doux Les ventes sont plafonnĆ©es Ć moins de 20 000 exemplaires, selon les estimations d’Edistat. Leur niveau de complexitĆ© et la longue liste d’ingrĆ©dients n’y sont sĆ»rement pas pour rien.
L’engouement pour Ottolenghi a envahi la France quelques annĆ©es plus tard, en 2018, avec la sortie de Simpledans lequel le chef rĆ©duit le nombre d’ingrĆ©dients et les temps de prĆ©paration. Ā« C’est un peu comme Ottolenghi pour les nuls Ā»explique la journaliste culinaire EstĆ©relle Payany. Ā« Ce livre l’a rendu accessible au grand public Ā»ajoute DĆ©borah Dupont-Daguet. Dans ses librairies, les clients ne connaissent pas toujours le nom du chef, mais ils veulent tous acheter. “Le livre jaune avec le citron”.
Le succĆØs est exponentiel. Ā« Chaque annĆ©e, je vends plus que lāannĆ©e prĆ©cĆ©dente. Ā»se rĆ©jouit Catherine Saunier-Talec. Au total, plus de 300 000 exemplaires du livre ont Ć©tĆ© vendus en France, selon la maison d’Ć©dition. Ā« Pour un livre de chef Ć presque 40 euros, c’est Ć©norme, il n’y a pas d’Ć©quivalent en France Ā»assure DĆ©borah Dupont-Daguet.
Ā« Avec le confinement, les gens ont eu plus de temps pour cuisiner et en avaient un peu marre de toutes les recettes qu’ils connaissaient. (Yotam) Ottolenghi leur a permis de trouver de nouvelles inspirations. Ā»
DĆ©borah Dupont-Daguet, libraireĆ franceinfo
Un succĆØs inattendu, tant l’Anglo-IsraĆ©lien ne suit pas le modĆØle du mĆ©diatique chef franƧais. Il n’a pas de restaurant Ć©toilĆ© Ć son actif, ne possĆØde aucun Ć©tablissement en France et boude les plateaux tĆ©lĆ©, Ć l’heure oĆ¹ des Ć©missions comme “Top Chef” sur M6 dictent les tendances et les personnalitĆ©s culinaires marquantes. Son style, sans toque, se dĆ©marque. Ā« En France, les chefs sont enfermĆ©s dans des figures tutĆ©laires et dans la haute cuisine. Alors qu’Ottolenghi est cool et fait des plats mijotĆ©s aux saveurs explosives. Ā»dĆ©crypte DĆ©borah Dupont-Daguet.
A Londres, ses neuf restaurants proposent sa cuisine Ć dĆ©guster sur de grandes tables ou Ć emporter sous forme de buffets. Pas de chichis, pas de nappes blanches. Pour Yotam Ottolenghi, ce sont les goĆ»ts qui comptent “pointu” (piquant) qui comptent, comme l’acide ou le piment. Oubliez le brocoli bouilli ou cuit Ć la vapeur. Ā« C’est un pĆ©chĆ© de trop cuire les lĆ©gumes comme Ƨa ! Ā»le chef s’indigne L’ExpressChez lui, les lĆ©gumes sont traitĆ©s avec les mĆŖmes techniques que la viande : rĆ“tis sur la braise, conservĆ©s ou encore cuits en croĆ»te.
Ses livres cachent aussi un secret. Ā«Toutes ses recettes fonctionnent vraiment, c’est gĆ©nialĀ», explique la cheffe Ella Aflalo, qui feuillette rĆ©guliĆØrement les ouvrages de Yotam Ottolenghi. Ā« Cela peut paraĆ®tre peu, mais cāest trĆØs important. Ā»explique la journaliste culinaire EstĆ©relle Payany. “Alors que les grands chefs franƧais adaptent simplement leur cahier des charges de restaurant aux quantitĆ©s d’individus, Ottolenghi goĆ»te Ć tout dans son cuisine d’essai et s’entoure d’une Ć©quipe.” Ses derniers travaux sont Ć©galement signĆ©s avec Helen Goh, Verena Lochmuller et Tara Wigley.
Ā« C’est toujours bon. C’est toujours beau. Et les recettes sont abordables Ć tous les niveaux et Ć tous les prix. Ā»
Ella Aflalo, chefĆ franceinfo
Avant toute publication, les idĆ©es du chef anglo-israĆ©lien passent aussi par les fourneaux domestiques de Claudine Boulstridge, qu’il a rencontrĆ©e en 2007. Cette quadragĆ©naire, qui vit dans la campagne galloise, teste les recettes, vĆ©rifie leur faisabilitĆ© chez Ā« le commun des mortels Ā» et envoie un avis dĆ©taillĆ© Ć Yotam Ottolenghi. Ā« La plupart du temps, il s’agit de corriger une proportion ou de partager ma difficultĆ© Ć trouver un ingrĆ©dient Ā»elle a expliquĆ© Ć la Monde en 2019.
Il faut dire que certains aliments vantĆ©s par le chef ne sont pas toujours faciles dāaccĆØs. Cāest lāune des limites de son succĆØs en France. Ā« Trouver du zaatar dans les profondeurs de la Creuse nāest pas chose aisĆ©e Ā»“C’est un livre qui a du sens, mais il faut le reconnaĆ®tre, c’est un livre qui a du sens, mais il faut le reconnaĆ®tre, c’est un livre qui a du sens, se souvient DĆ©borah Dupont-Daguet. RĆ©sultat : les lecteurs de Yotam Ottolenghi restent majoritairement des citadins issus d’une classe sociale aisĆ©e, selon la libraire. Il suffit de jeter un Åil Ć son Ć©picerie en ligne pour s’en rendre compte, avec des coffrets cadeaux remplis d’Ć©pices au nom du chef qui dĆ©passent les 100 euros.
Ā« Il participe sans le vouloir Ć la Ā« premiumisation Ā» des ingrĆ©dients utilisĆ©s par les populations immigrĆ©es. Ā»
Esterelle Payany, journaliste culinaireĆ franceinfo
Ce constat pourrait changer. La diffusion de la cuisine levantine dans les restaurants et chez les particuliers modifie dĆ©jĆ le contenu des rayons des supermarchĆ©s. La marque Ducros vend dĆ©sormais du zaatar en supermarchĆ© pour moins de trois euros. Ā« Au dĆ©but c’Ć©tait trĆØs parisien, mais maintenant Ƨa se rĆ©pand dans toute la France Ā»estime Catherine Saunier-Talec. Hachette a dĆ©jĆ tirĆ© 50 000 exemplaires du dernier ouvrage du chef et ambitionne d’en vendre le double d’ici NoĆ«l. Un dĆ©fi de taille, selon EstĆ©relle Payany : Ā« Toute la question de la libĆ©ration de Confortc’est : Ā« Allons-nous rĆ©ussir Ć faire d’Ottolenghi un vĆ©ritable courant dominant ? Ā»
Le chef aux multiples influences vient de publier son dernier ouvrage, “Confort”, et tentera de conquĆ©rir plus largement le public franƧais, Ć l’aide de lĆ©gumes et d’Ć©pices.
Ses recettes sont devenues des incontournables de la cuisine tendance. Un chou-fleur entier rĆ“ti servi avec de la crĆØme de sĆ©same ? C’est lui. Une aubergine brĆ»lĆ©e saupoudrĆ©e de grenade ? Encore lui. Des carottes entiĆØres Ć la harissa ? C’est encore lui : Yotam Ottolenghi. Ce chef anglo-israĆ©lien de 55 ans a fait irruption sur la scĆØne culinaire franƧaise en 2013 et a vendu plus de 800 000 exemplaires de ses livres en France, selon son Ć©diteur Hachette. Le chef et entrepreneur londonien a publiĆ© son nouveau livre, intitulĆ© Confort – Pour Ā« nourriture rĆ©confortante Ā».
Sans restaurant en France ni Ć©toile Michelin, comment ce chef a-t-il rĆ©ussi Ć insuffler sa cuisine levantine au pays de la gastronomie ?
Yotam Ottolenghi a grandi au cÅur de la partie juive de JĆ©rusalem (IsraĆ«l). Ć la maison, son pĆØre, dāorigine italienne, prĆ©pare une cuisine traditionnelle du nord de la Botte ā polenta, boulettes de viande, sauce tomateā¦ ā tandis que sa mĆØre, dāorigine allemande, est plus ouverte, avec des currys aux influences asiatiques. Ā« Ces sensibilitĆ©s diffĆ©rentes de mes parents m’ont donnĆ© un bon Ć©quilibre Ā»explique le cuisinier Ć la parisien.
Dans les annĆ©es 1990, l’Ć©tudiant en lettres s’envole pour Amsterdam (Pays-Bas), oĆ¹ il frĆ©quente davantage le marchĆ© que les bibliothĆØques. Ā« J’ai eu une petite crise de jeunesse Ā» il confie Ć la IndiquerLes odeurs de blanquette de veau et de pot-au-feu commencent Ć s’Ć©chapper de sa cuisine. Ā« J’ai essayĆ© des choses, beaucoup de plats traditionnels d’inspiration franƧaise Ā», se souvient-il. Une dĆ©couverte que le jeune IsraĆ©lien a peaufinĆ©e Ć l’Ć©cole de cuisine franƧaise Cordon Bleu de Londres (Royaume-Uni), qu’il a intĆ©grĆ©e en 1997.
Il se sent rapidement limitĆ© par la cuisine franƧaise, qu’il juge trop rigide. Ā« Je ne comprends pas pourquoi nous suggĆ©rons que tous les lĆ©gumes, quelle que soit leur taille, soient coupĆ©s de la mĆŖme maniĆØre. Ā»il s’enclenche Le monde. Ses carottes cuites entiĆØres, fanes comprises, deviendront plus tard l’une de ses marques de fabrique. En attendant, lors de sa formation au Cordon Bleu, une seule journĆ©e est consacrĆ©e aux Ā« cuisines du monde Ā»… alors qu’elles sont dĆ©jĆ omniprĆ©sentes dans les rues de Londres.
Il a Ć©galement fait la rencontre dĆ©cisive de sa carriĆØre dans les cuisines d’un Ć©picerie fine (un restaurant-traiteur qui propose des plats Ć emporter) dans la capitale britannique. Comme lui, Sami Tamimi est nĆ© Ć JĆ©rusalem en 1968, mais dans la partie musulmane, avant d’Ć©migrer en Europe. Ensemble, ils travaillent, partagent leurs souvenirs de cuisine israĆ©lienne et palestinienne, dont ils tirent un livre, JĆ©rusalem.
L’Ć©mergence de Yotam Ottolenghi en France a commencĆ© avec ce grand livre, publiĆ© en France en 2013. Ā« Aucune maison d’Ć©dition franƧaise ne voulait acheter les droits, c’Ć©tait trop diffĆ©rent Ā»se souvient Catherine Saunier-Talec, directrice gĆ©nĆ©rale de la division chez Hachette Livre. C’est elle qui a installĆ© le cuisinier dans les rayons des librairies franƧaises. Ā« C’Ć©tait un pari risquĆ©, mais j’avais testĆ© ses recettes et c’Ć©tait une rĆ©ussite Ć chaque fois Ā»explique le rĆ©dacteur, passionnĆ© de cuisine.
Avec sa couverture en tissu Ć motifs et l’absence de photos, le livre est un OVNI. Avant d’aborder les recettes, le lecteur est invitĆ© Ć se plonger dans l’histoire de JĆ©rusalem et les origines variĆ©es de ses plats phares. Yotam Ottolenghi pose les jalons de son “cuisine du soleil” qui fera son succĆØs, avec l’utilisation d’ingrĆ©dients alors peu connus en France, comme le zaatar, un mĆ©lange d’herbes et d’Ć©pices gĆ©nĆ©ralement composĆ© de thym, d’origan, de sĆ©same, de sumac et de sel ; la mĆ©lasse de grenade ; ou encore le tahini, une crĆØme de sĆ©same.
Ā« Avec Ottolenghi, nous avons dĆ©couvert que le chou-fleur n’Ć©tait pas seulement Ć gratin et qu’il pouvait ĆŖtre dĆ©licieux ! Ā»
Catherine Saunier-Talec, directrice d’Hachette PratiqueĆ franceinfo
Dans le livre, les recettes ne sont pas classĆ©es en entrĆ©es ou en plats principaux, comme dans les menus franƧais traditionnels, mais sont prĆ©sentĆ©es sous forme d’une multitude d’assiettes Ć partager entre tous les convives, sans ordre Ć©tabli. Les viandes et les poissons sont Ć©galement relĆ©guĆ©s au second plan, aprĆØs les chapitres consacrĆ©s aux lĆ©gumes frais et secs qui deviennent les vĆ©ritables stars de l’assiette.
Cette nouvelle sauce aux saveurs mĆ©diterranĆ©ennes commence Ć faire son chemin en France grĆ¢ce au bouche-Ć -oreille, mais reste limitĆ©e Ć un cercle restreint. Ā« C’Ć©tait vraiment un public d’initiĆ©s Ā»explique DĆ©borah Dupont-Daguet, propriĆ©taire de La librairie gourmande Ć Paris et Ć Dijon (CĆ“te-d’Or). Elle souligne Ć©galement que malgrĆ© le succĆØs Ć long terme du premier livre de Yotam Ottolenghi en France, les deux suivants ont Ć©tĆ© Ā« flops Ā». Plus de cinq ans aprĆØs leur sortie, les ventes de Non Et Doux Les ventes sont plafonnĆ©es Ć moins de 20 000 exemplaires, selon les estimations d’Edistat. Leur niveau de complexitĆ© et la longue liste d’ingrĆ©dients n’y sont sĆ»rement pas pour rien.
L’engouement pour Ottolenghi a envahi la France quelques annĆ©es plus tard, en 2018, avec la sortie de Simpledans lequel le chef rĆ©duit le nombre d’ingrĆ©dients et les temps de prĆ©paration. Ā« C’est un peu comme Ottolenghi pour les nuls Ā»explique la journaliste culinaire EstĆ©relle Payany. Ā« Ce livre l’a rendu accessible au grand public Ā»ajoute DĆ©borah Dupont-Daguet. Dans ses librairies, les clients ne connaissent pas toujours le nom du chef, mais ils veulent tous acheter. “Le livre jaune avec le citron”.
Le succĆØs est exponentiel. Ā« Chaque annĆ©e, je vends plus que lāannĆ©e prĆ©cĆ©dente. Ā»se rĆ©jouit Catherine Saunier-Talec. Au total, plus de 300 000 exemplaires du livre ont Ć©tĆ© vendus en France, selon la maison d’Ć©dition. Ā« Pour un livre de chef Ć presque 40 euros, c’est Ć©norme, il n’y a pas d’Ć©quivalent en France Ā»assure DĆ©borah Dupont-Daguet.
Ā« Avec le confinement, les gens ont eu plus de temps pour cuisiner et en avaient un peu marre de toutes les recettes qu’ils connaissaient. (Yotam) Ottolenghi leur a permis de trouver de nouvelles inspirations. Ā»
DĆ©borah Dupont-Daguet, libraireĆ franceinfo
Un succĆØs inattendu, tant l’Anglo-IsraĆ©lien ne suit pas le modĆØle du mĆ©diatique chef franƧais. Il n’a pas de restaurant Ć©toilĆ© Ć son actif, ne possĆØde aucun Ć©tablissement en France et boude les plateaux tĆ©lĆ©, Ć l’heure oĆ¹ des Ć©missions comme “Top Chef” sur M6 dictent les tendances et les personnalitĆ©s culinaires marquantes. Son style, sans toque, se dĆ©marque. Ā« En France, les chefs sont enfermĆ©s dans des figures tutĆ©laires et dans la haute cuisine. Alors qu’Ottolenghi est cool et fait des plats mijotĆ©s aux saveurs explosives. Ā»dĆ©crypte DĆ©borah Dupont-Daguet.
A Londres, ses neuf restaurants proposent sa cuisine Ć dĆ©guster sur de grandes tables ou Ć emporter sous forme de buffets. Pas de chichis, pas de nappes blanches. Pour Yotam Ottolenghi, ce sont les goĆ»ts qui comptent “pointu” (piquant) qui comptent, comme l’acide ou le piment. Oubliez le brocoli bouilli ou cuit Ć la vapeur. Ā« C’est un pĆ©chĆ© de trop cuire les lĆ©gumes comme Ƨa ! Ā»le chef s’indigne L’ExpressChez lui, les lĆ©gumes sont traitĆ©s avec les mĆŖmes techniques que la viande : rĆ“tis sur la braise, conservĆ©s ou encore cuits en croĆ»te.
Ses livres cachent aussi un secret. Ā«Toutes ses recettes fonctionnent vraiment, c’est gĆ©nialĀ», explique la cheffe Ella Aflalo, qui feuillette rĆ©guliĆØrement les ouvrages de Yotam Ottolenghi. Ā« Cela peut paraĆ®tre peu, mais cāest trĆØs important. Ā»explique la journaliste culinaire EstĆ©relle Payany. “Alors que les grands chefs franƧais adaptent simplement leur cahier des charges de restaurant aux quantitĆ©s d’individus, Ottolenghi goĆ»te Ć tout dans son cuisine d’essai et s’entoure d’une Ć©quipe.” Ses derniers travaux sont Ć©galement signĆ©s avec Helen Goh, Verena Lochmuller et Tara Wigley.
Ā« C’est toujours bon. C’est toujours beau. Et les recettes sont abordables Ć tous les niveaux et Ć tous les prix. Ā»
Ella Aflalo, chefĆ franceinfo
Avant toute publication, les idĆ©es du chef anglo-israĆ©lien passent aussi par les fourneaux domestiques de Claudine Boulstridge, qu’il a rencontrĆ©e en 2007. Cette quadragĆ©naire, qui vit dans la campagne galloise, teste les recettes, vĆ©rifie leur faisabilitĆ© chez Ā« le commun des mortels Ā» et envoie un avis dĆ©taillĆ© Ć Yotam Ottolenghi. Ā« La plupart du temps, il s’agit de corriger une proportion ou de partager ma difficultĆ© Ć trouver un ingrĆ©dient Ā»elle a expliquĆ© Ć la Monde en 2019.
Il faut dire que certains aliments vantĆ©s par le chef ne sont pas toujours faciles dāaccĆØs. Cāest lāune des limites de son succĆØs en France. Ā« Trouver du zaatar dans les profondeurs de la Creuse nāest pas chose aisĆ©e Ā»“C’est un livre qui a du sens, mais il faut le reconnaĆ®tre, c’est un livre qui a du sens, mais il faut le reconnaĆ®tre, c’est un livre qui a du sens, se souvient DĆ©borah Dupont-Daguet. RĆ©sultat : les lecteurs de Yotam Ottolenghi restent majoritairement des citadins issus d’une classe sociale aisĆ©e, selon la libraire. Il suffit de jeter un Åil Ć son Ć©picerie en ligne pour s’en rendre compte, avec des coffrets cadeaux remplis d’Ć©pices au nom du chef qui dĆ©passent les 100 euros.
Ā« Il participe sans le vouloir Ć la Ā« premiumisation Ā» des ingrĆ©dients utilisĆ©s par les populations immigrĆ©es. Ā»
Esterelle Payany, journaliste culinaireĆ franceinfo
Ce constat pourrait changer. La diffusion de la cuisine levantine dans les restaurants et chez les particuliers modifie dĆ©jĆ le contenu des rayons des supermarchĆ©s. La marque Ducros vend dĆ©sormais du zaatar en supermarchĆ© pour moins de trois euros. Ā« Au dĆ©but c’Ć©tait trĆØs parisien, mais maintenant Ƨa se rĆ©pand dans toute la France Ā»estime Catherine Saunier-Talec. Hachette a dĆ©jĆ tirĆ© 50 000 exemplaires du dernier ouvrage du chef et ambitionne d’en vendre le double d’ici NoĆ«l. Un dĆ©fi de taille, selon EstĆ©relle Payany : Ā« Toute la question de la libĆ©ration de Confortc’est : Ā« Allons-nous rĆ©ussir Ć faire d’Ottolenghi un vĆ©ritable courant dominant ? Ā»