Innovation, décarbonation, compétitivité, financement… C’est un tour d’horizon complet de l’état et surtout des faiblesses économiques de l’Union européenne que Mario Draghi a livré lundi 9 septembre dans un rapport de 400 pages. Le document n’épargne pas les 27 et pointe les secteurs à améliorer avec, parmi les thèmes abordés, la défense européenne.
« L’Europe est désormais confrontée à une guerre conventionnelle à sa frontière orientale et à une guerre hybride partout, comprenant des attaques contre les infrastructures énergétiques et de télécommunications, des interférences dans les processus démocratiques et l’utilisation de l’immigration comme arme », rappelle l’ancien Premier ministre italien. L’agression russe en Ukraine, depuis plus de deux ans, aurait dû être un électrochoc pour les pays européens. L’ère du parapluie américain est révolue et la stratégie de Washington penche désormais vers le Pacifique avec la Chine vue comme la principale menace. L’élection présidentielle américaine d’octobre devrait également inquiéter, avec un possible retour de Donald Trump.
Recherche et développement
HĂ©las, seuls dix pays europĂ©ens membres de l’OTAN consacrent 2 % ou plus de leur PIB Ă la dĂ©fense. Si les pays en dessous de ce seuil rattrapaient leur retard cette annĂ©e, les dĂ©penses augmenteraient de 60 milliards d’euros. Le rapport parle souvent de l’argent, nerf de la guerre. “L’industrie de la dĂ©fense a besoin d’investissements massifs pour rattraper son retard”, estime l’Italien.
D’abord en recherche et dĂ©veloppement (R&D), avec des impĂ´ts et taxes allĂ©gĂ©s sur les entreprises du secteur. « Le secteur europĂ©en de la dĂ©fense est très compĂ©titif Ă l’Ă©chelle mondiale, avec un chiffre d’affaires annuel de 135 milliards d’euros en 2022 et des volumes d’exportation Ă©levĂ©s », rappelle le rapport. Certains Ă©quipements, comme les systèmes antiaĂ©riens ou les vĂ©hicules blindĂ©s, n’ont rien Ă envier en termes de qualitĂ© Ă ceux produits par les États-Unis.
Mais la demande europĂ©enne est bien moindre, et ne reprĂ©sente qu’un tiers des besoins de l’alliĂ© amĂ©ricain. Toujours en recherche et dĂ©veloppement, l’Ă©cart est abyssal. Les États-Unis ont dĂ©pensĂ© 130 milliards de dollars (16 % de leur budget de dĂ©fense) en 2023 en R&D, contre 10,7 milliards d’euros (4,5 % du budget) pour l’Union europĂ©enne en 2022.
L’Union europĂ©enne souffre de marchĂ©s intĂ©rieurs trop petits pour amortir les coups et qui se font concurrence. « Rien que pour l’artillerie de 155 mm, les États membres de l’UE ont fourni Ă l’Ukraine dix types diffĂ©rents d’obusiers issus de leurs stocks, et certains ont mĂŞme Ă©tĂ© livrĂ©s dans des variantes diffĂ©rentes, ce qui a crĂ©Ă© de graves difficultĂ©s logistiques pour les forces armĂ©es ukrainiennes », dĂ©plore le rapport, alors que Kiev manque de pièces d’artillerie et surtout de munitions en quantitĂ© depuis le dĂ©but de la guerre. Il faudrait aussi 500 milliards de dĂ©penses supplĂ©mentaires sur la dĂ©cennie pour remplacer les stocks envoyĂ©s pour aider l’Ukraine.
Autre exemple, celui du char de combat. Si les États-Unis ne disposent que d’un seul char, l’Abrams, douze modèles cohabitent en Europe, du Leclerc français au Leopard allemand en passant par le K2 sud-coréen en service en Pologne. Le projet MGCS devrait, s’il se concrétise, proposer un modèle de char unique construit par plusieurs pays européens, dont la France et l’Allemagne.
MĂ©taux rares
Le rapport soulève également des inquiétudes concernant les chaînes d’approvisionnement de matières premières critiques, notamment les métaux rares, indispensables à l’industrie de la défense. Entre 2017 et 2022, la demande mondiale de lithium a triplé, tandis que celle de cobalt a augmenté de 70 % et celle de nickel de 40 %. La Chine est le plus grand transformateur de nickel, de cuivre, de lithium et de cobalt, représentant entre 35 et 70 % de l’activité de transformation. À l’instar du Japon, le rapport suggère de créer des stocks stratégiques, d’investir des capitaux dans des actifs miniers et d’implanter des sites de transformation et de raffinage dans l’Union européenne. L’exploration minière en eaux profondes ou la création de mines « respectueuses de l’environnement » sont également recommandées.
Un autre secteur vital est celui des puces Ă©lectroniques. «Depuis la proposition de loi europĂ©enne sur les puces Ă©lectroniques, des investissements totaux dans le dĂ©ploiement industriel d’environ 100 milliards d’euros ont Ă©tĂ© annoncĂ©s dans l’UE, principalement soutenus par les États membres dans le cadre du contrĂ´le des aides d’État», se fĂ©licite Mario Draghi.
Espace obsolète
Fleuron de l’industrie spatiale europĂ©enne, Ariane Group pourrait rapidement se retrouver dĂ©passĂ© par ses concurrents amĂ©ricains et chinois. LĂ encore, le secteur « souffre d’un dĂ©ficit d’investissement ». « Depuis quarante ans, les investissements oscillent entre 15 et 20 % des niveaux amĂ©ricains ». En 2023, les États-Unis ont dĂ©pensĂ© 73 milliards de dollars, contre 15 milliards cĂ´tĂ© europĂ©en. Ă€ ce rythme, la Chine devrait dĂ©passer l’UE dans les annĂ©es Ă venir, avec des dĂ©penses estimĂ©es Ă 20 milliards de dollars d’ici 2030. Ă€ LIRE AUSSI Pourquoi Mario Draghi fait de l’Ă©nergie la mère de toutes les batailles
Mario Draghi dĂ©nonce le principe de « retour gĂ©ographique » qui opère Ă l’Agence spatiale europĂ©enne (ESA). Cette dernière investit dans chacun de ses pays membres, via des contrats industriels, un montant similaire Ă la contribution financière du pays Ă l’agence. Le rapport prĂ©conise de supprimer progressivement ce principe.