Il attire des foules enthousiastes pour leur parler d’un sujet bien difficile : le musicien et écrivain franco-rwandais Gaël Faye oscille entre son charisme de chanteur et la gravité héritée du génocide de 1994 au Rwanda.
Sorti en août, le roman «Jacaranda», du nom d’un arbre qui avait déjà inspiré le titre d’un album, «Mauve Jacaranda» (2022), est déjà l’un des succès de la rentrée littéraire en France. Il est aussi dans les premières sélections des prix Goncourt, Femina et Renaudot.
“La semaine dernière, on était à 65 000 exemplaires, et le tirage est désormais à 300 000 exemplaires”, explique Olivier Nora, patron des éditions Grasset, en regardant son auteur de 42 ans dédicacer des exemplaires au festival Le Livre, place de Nancy.
La file d’attente est longue en ce samedi matin. Alix, 10 ans, a attendu longtemps pour voir son « chanteur préféré ». Devant lui, elle se met à pleurer. Il la rassure. Et la mère précise que la petite fille ne lira pas le roman pour le moment : « Trop jeune ».
Un Franco-Rwandais du nom de Milan, qui a grandi à Versailles, près de Paris, raconte comment le pays de sa mère a fait irruption dans sa vie à la fin de son enfance, à travers les journaux télévisés.
– Didactique –
C’est une perspective différente de «Petit Pays», premier roman et énorme best-seller traduit en 40 langues et adapté en film, où le narrateur parlait depuis le Burundi.
L’histoire est parfois très dure. Et sur la scène de l’Opéra national de Lorraine samedi après-midi, le très doux et très poli Gaël Faye, commençant par répondre aux questions, puis chantant, n’échappe pas à l’horreur du génocide au Rwanda, qui a fait plus de 800 000 morts en seulement trois mois en 1994.
Parmi les passages qu’il a lus de “Jacaranda”, il a choisi celui où la maison d’un des auteurs du génocide est rasée, et est enfin allé chercher des corps jetés dans une fosse septique à l’époque.
Le livre est didactique, tout comme l’est son auteur, lorsqu’il tient le micro devant un public captivé qui ne connaît pas grand-chose du Rwanda, pays d’origine de sa mère, et du Burundi voisin, où il a grandi. Il explique au public les racines coloniales de la tragédie : la création de groupes ethniques, Hutu et Tutsi, dans une société qui n’en avait pas.
« Je donne un cours d’histoire, j’ai vraiment honte… », s’excuse-t-il. « Mais je vous invite à lire par exemple les livres de Jean-Pierre Chrétien sur ce sujet », en référence à un historien français spécialiste de la région des Grands Lacs africains.
– “Retenir le temps” –
Le génocide, dans son œuvre, reconnaît Gaël Faye, « c’est vrai qu’il prend toute la place. Et comment pourrait-il en être autrement ? Un monde a été englouti en 1994. »
Mais, souligne-t-il, « il y a urgence à raconter l’histoire, car au Rwanda, aujourd’hui, les trois quarts de la population sont nés après 1994 ».
L’auteur est unanime.
“Gaël Faye nous amène à la littérature. Son flow est génial. Sa voix délicate résonne très fort sur scène. Il a quelque chose en plus”, a déclaré à l’AFP l’animatrice Charline Vanhoenacker, venue présenter une émission de France Inter depuis Nancy.
“Le succès tient à la grâce de l’homme”, selon Olivier Nora. “Il y a une telle sincérité, un tel magnétisme… Une des raisons pour lesquelles les gens font la queue, c’est qu’il refuse de massacrer. Il écoute longtemps, alors que les libraires voudraient qu’il aille plus vite.”
C’est l’une des angoisses que confie Gaël Faye, la vitesse à laquelle change le Rwanda, où il vit depuis 10 ans avec ses deux filles et sa femme, également franco-rwandaise.
« Ce Rwanda en perpétuelle mutation… Ça va tellement vite que je ne sais même pas quoi en dire, dit-il. Mais écrire était une façon de retenir le temps. »
hh/mai/mba