L’Le manque d’ambition mène rarement au triomphe. La Fête de l’Huma a été le théâtre d’affrontements touchants et ridicules, où des jeunes pleins d’enthousiasme ont crié « Siamo Tutti Antifascisti » devant un François Ruffin contrit. La gauche n’a rien perdu de son charme et la France Insoumise de son éclat. Elle a aussi été la démonstration de l’échec de la stratégie du cynisme. Celle qui consiste à refuser de parler à la France qui ne vote plus à gauche, à lui tourner le dos comme l’aurait fait un enfant boudeur et capricieux. Il y a dix ans, la France Insoumise, puissante et prometteuse, aurait pu imaginer un projet de nation, un programme capable de séduire les électeurs populaires, et pourquoi pas conservateurs. Elle y a renoncé par paresse et par cynisme.
2016. Jean-Luc Mélenchon défile à Paris avec Chantal Mouffe. Cette philosophe belge est alors le cerveau des espoirs de la gauche européenne : Alexis Tsipras, leader de Syriza en Grèce, Inigo Errejon et Pablo Iglesias, les dirigeants de Podemos en Espagne. La leçon de Chantal Mouffe est simple : s’inspirer du philosophe néo-marxiste Antonio Gramsci (1891-1937) pour réinventer le logiciel intellectuel et électoral des partis marginalisés après vingt ans de néolibéralisme incarnés par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. La gauche doit s’approprier les valeurs de la droite : la nation, l’ordre, la tradition et, surtout, la souveraineté. Le tout au service du peuple. La stratégie de l’insurrection est reléguée au rang de vieillerie. Les nouveaux révolutionnaires ont une mission : s’approprier les moyens de communication les plus populaires, apparaître à la télévision, parler au plus grand nombre, ressembler aux électeurs dont ils sollicitent le vote. Le but n’était pas la dissimulation, mais l’assimilation.
Cette génération n’était pas stupide, bien au contraire, tous ses dirigeants avaient bénéficié d’une solide formation en économie, en histoire, en philosophie, mais aussi et surtout en sciences politiques. Beaucoup d’entre eux étaient chercheurs, professeurs, ingénieurs. La bataille culturelle était au cœur de leur stratégie. Il s’agissait d’imposer de nouvelles références au plus grand nombre, d’instaurer une nouvelle logique, un nouveau sens commun. Faire avec l’antilibéralisme ce que les néolibéraux avaient fait avec le libéralisme.
Renoncer volontairement à une partie de la France
Lorsque Margaret Thatcher déclarait : « Il n’y a pas d’alternative “, elle laissait entendre qu’elle seule détenait la recette du succès. Ses adversaires étaient donc des charlatans, des menteurs ou des fous. Or, cette gauche, critique de l’Union européenne, nationale, populaire, commençait à gagner la partie en imposant des vérités alternatives. Tsipras avait pris le pouvoir en Grèce ; Podemos avait réalisé des scores extraordinaires aux législatives en Espagne. Jean-Luc Mélenchon s’en inspirait. Il faisait référence à la Révolution française, vantait l’empire maritime de la France, renouait avec un esprit populaire dont le Parti socialiste s’était éloigné.
Depuis, le communautarisme a remplacé l’universalisme. La stratégie ne consiste plus à parler à toute la France, mais à renoncer délibérément à la plus grande partie. L’esprit de mesquinerie a remplacé l’esprit de conquête ; la grandeur a laissé place à la petitesse. Et en s’éloignant des Français, la gauche s’est éloignée du pouvoir. L’histoire prouve que l’enfermement idéologique conduit à des échecs. Bien que le général de Gaulle fût de droite, il ne s’adressait pas seulement à la bourgeoisie conservatrice. Ce lecteur de Maurice Barrès avait même réussi à s’intéresser à, et à soutenir, la société des loisirs. Répondre aux attentes du plus grand nombre tout en tirant une certaine idée de la France, de sa souveraineté, de son identité et de son destin, c’est parfois aller à l’encontre de soi-même et de ses convictions. Avant de Gaulle, Clemenceau n’avait pas hésité à s’aliéner son propre camp pour assumer ses fonctions de ministre de l’Intérieur et à réprimer les grèves en 1906 en envoyant l’armée. Cela ne l’avait pas empêché de gagner la Première Guerre mondiale.
Si la gauche ne vient pas en France, la France ne viendra pas à elle. Le pari sur la dissociation des classes sociales a peut-être fonctionné en Russie au début du XXe siècle.et siècle ou en Amérique du Sud dans les années 2000, mais cela ne produira pas les mêmes effets sur un pays habitué, depuis le 15eet siècle, être une nation. Les dissensions existent, il y a des progressistes et des conservateurs, mais ces distinctions s’estompent quand il s’agit de la République. Au premier tour, l’esprit de chapelle l’emporte ; au second, la patrie reprend le dessus. C’est une des raisons pour lesquelles le Rassemblement national s’est effondré sous les remparts du front républicain. En France, le centre ne gagne pas toujours, mais la France se gagne toujours au centre. L’esprit de compromis n’est pas une preuve d’intelligence, mais il est une condition de la bienveillance. Les nations humanistes ne rallient pas les sectes, elles les combattent.