Il était l’homme le plus recherché de Guinée. Après dix mois de cavale, le colonel Claude Pivi, figure de la junte qui a dirigé son pays entre 2008 et 2010, condamné à la réclusion à perpétuité lors du procès du massacre du 28 septembre 2009, a été arrêté mardi 17 septembre au Liberia. L’arrestation a eu lieu dans un village frontalier avec la Guinée et les premières images de lui circulant sur les réseaux sociaux, le montrant en tongs jaunes et en short à l’arrière d’un pick-up puis sur un divan de police, fragilisent la légende du militaire qui, du temps de sa toute-puissance, apparaissait en public affublé de fétiches et terrifiait tout Conakry.
Les conditions de son arrestation ne sont pas encore connues mais, pour Asmaou Diallo, la présidente d’Avipa, l’association des victimes, parents et amis du 28 septembre, la fin de cette évasion “C’est un grand jour, une première victoire pour toutes ses victimes”Elle espère désormais que l’ancien ministre de la sécurité présidentielle de Moussa Dadis Camara pourra être « extradé dans les plus brefs délais vers Conakry pour y purger sa peine pour laquelle il a été condamné par contumace en première instance ».
Le 31 juillet, les principaux responsables du massacre qui a fait 156 morts et des centaines de blessés, ainsi que le viol de 109 femmes, selon le rapport d’une commission d’enquête des Nations unies, ont été condamnés à de lourdes peines. Tous ont assisté à leur procès, à l’exception de Claude Pivi, introuvable malgré le demi-milliard de francs guinéens (environ 50 000 euros) promis pour sa capture par les autorités guinéennes.
« C’était un danger extrême qui courait dans la naturesouligne Souleymane Bah, le président de l’Organisation guinéenne des droits de l’homme. Lors du procès du massacre du 28 septembre 2009, les victimes ont témoigné des sévices qu’elles ont subis, des nombreuses exactions qu’il avait provoquées mais auxquelles il avait aussi participé. Qu’on ne s’y trompe pas, cet homme était un criminel, un tueur, un violeur de femmes.”
Une certaine influence au sein de l’armée
Claude Pivi s’est évadé le 4 novembre 2023, lors d’une évasion spectaculaire de la prison de Conakry. A la tête du commando venu l’extraire de sa cellule se trouvait l’un de ses fils, Verny, toujours porté disparu selon un officier guinéen. Deux autres figures majeures de la junte qui avait violemment réprimé ceux qui s’étaient levés pour refuser la volonté des militaires de conserver le pouvoir ont ensuite été libérées : son chef Moussa Dadis Camara et l’ancien gendarme Moussa Tiegboro Camara.
Ils ont tous été rapidement rattrapés et ramenés au banc des accusés, mais cette évasion a provoqué un certain émoi dans le pays et rendu nerveux le régime putschiste actuel de Mamadi Doumbouya. Claude Pivi conserve en effet une certaine influence au sein de de l’armée guinéenne, même si Mamadi Doumbouya s’emploie depuis son coup d’Etat à écarter des postes de commandement, notamment au sein du bataillon autonome des troupes aéroportées, les supposés proches de Claude Pivi, dont la majorité est originaire de la région forestière de Guinée.
« Ce n’est pas un hasard si Pivi a été arrêté au Libéria, qui borde la région forestière de la Guinée, déclare Vincent Foucher du CNRS. Pivi était l’un des piliers de la junte de 2008. Il avait suffisamment de poids au sein de l’armée pour organiser son évasion. Il faisait partie de ces officiers qui avaient d’importantes clientèles au sein de l’armée guinéenne. Il a fait venir un grand nombre de « petites gens » »poursuit le chercheur.
L’un d’eux “petit”qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, se souvient de la période où « Coplan », l’un de ses surnoms, dirigeait le ministère de la Sécurité présidentielle sous Moussa Dadis Camara, puis conseillait le président Alpha Condé.
« Cet homme avait une aura extraordinaire. Ce champion de karaté, qui avait combattu pendant les guerres en Sierra Leone et au Liberia, était encore très respecté. S’il est extradé vers Conakry, je crains qu’il ne meure en prison. »a-t-il précisé, faisant référence à l’ancien chef d’état-major, Sadiba Coulibaly, ancien proche de Mamadi Doumbouya, dont la mort en détention reste inexpliquée. « Il doit répondre de ses actesajoute l’officier guinéenmais devant la Cour pénale internationale où sa sécurité sera au moins garantie.”
Le procès du 28 septembre a été salué comme une première “historique ” par de nombreux Guinéens et par les principales chancelleries occidentales qui coopèrent sans difficulté avec la junte au pouvoir aujourd’hui. Mais il est aussi considéré, rappelle Vincent Foucher, comme un « un moyen de légitimer la politique répressive de Mamadi Doumbouya » Et « une façon de retarder la transition ».