LLe rapport commandé à Mario Draghi met l’accent sur la perte de compétitivité de l’Europe. Notant que ce déclin est la cause majeure de la stagnation des revenus, il documente avec soin le retard croissant de l’Europe en matière d’innovation, non seulement vis-à-vis des États-Unis, mais aussi de la Chine. Les raisons qu’il met en avant sont largement consensuelles : un faible effort d’investissement dans la recherche technologique et une mobilisation inefficace de l’épargne des Européens. Le diagnostic pointe du doigt la domination de longue date des grandes entreprises éloignées des innovations transformatrices, une bureaucratie qui décourage la prise de risque et des marchés financiers fragmentés qui poussent les créateurs les plus énergiques à traverser l’Atlantique.
Ce cruel rappel de nos faiblesses serait moins déprimant si Draghi proposait des solutions bien adaptées. Bien qu’il fourmille d’idées, le cœur de son rapport est de proposer une politique industrielle commune, qui prendrait en charge l’innovation, mais aussi la décarbonation et la sécurisation de nos économies. Le rapport estime le coût de l’opération à 800 milliards par an, soit 4 % du PIB européen. Quand on sait que, depuis des années, le budget de la Commission est gelé à 1 %, il est clair que les 800 milliards devraient surtout prendre la forme de transferts de compétences des États membres vers la Commission. L’ambition est impressionnante, mais inatteignable. Sa faiblesse majeure est de proposer des prescriptions déconnectées du diagnostic.
Ce diagnostic s’appuie notamment sur le constat que, depuis le début du siècle, les investissements technologiques en Europe sont dominés par le secteur automobile, tandis qu’aux États-Unis, ce sont les entreprises liées à la digitalisation qui ont pris le relais. Cette spécialisation dans les secteurs de moyenne technologie est handicapante car les possibilités d’innovations transformatrices sont faibles. Cette domination se construit sur un vieux tissu de relations entre grandes entreprises et grandes banques, qui contraste avec la fluidité et la réactivité des marchés financiers, qui restent sous-dimensionnés en Europe. L’Europe ne souffre donc pas d’un manque de compétences ou de moyens financiers, mais d’une mauvaise utilisation de ses ressources.
On pourrait donc s’attendre à ce que le rapport propose une stratégie de déréglementation, de réduction des aides publiques, explicites et implicites, qui perpétue la domination d’industries vieillissantes, et l’adoption rapide de l’union des marchés de capitaux, bloquée depuis dix ans par des intérêts privés. Bien sûr, tout cela est évoqué, mais on ne voit pas bien à quoi peut servir une politique industrielle européenne.
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