Ppour comprendre le 19e siècleet Au XXe siècle, il faut lire Stendhal ou s’intéresser à Rachida Dati. Cette dernière aurait pu être un personnage du premier. La ministre de la Culture a survécu au remaniement de Michel Barnier, elle s’en est même sortie avec élégance, sans paraître ni ringarde ni centriste.
Dans ce gouvernement, c’est la performance qui prime. Le succès de Rachida Dati tient à une offensive décontractée et à un dédain du risque. Elle est la confusion totale entre ce qu’elle est et ce qu’elle paraît être. Et ça marche.
À LIRE AUSSI Le gouvernement Barnier entre continuité macroniste et virage à droiteLe 19e siècleet Le XXe siècle est la seule époque où l’ambition fut considérée comme une vertu. Rencontrer quelqu’un qui venait de nulle part était une curiosité délicieuse. Il y avait parfois un peu de mépris, certes, mais enfin, les conquérants de la vie avaient le mérite d’incarner l’avenir quand l’aristocratie n’était, depuis la Révolution française, que le reflet du passé. L’ascension sociale avait du charme.
La littérature n’y est pas pour rien. Napoléon non plus. Bonaparte avait sauvé la République, réformé l’État et enrichi la France, l’aristocratie voyait en lui l’archétype de ce que la Révolution avait produit de pire. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Chateaubriand dans De Buonaparte et des Bourbons :« Buonaparte n’a rien de français, ni dans ses mœurs, ni dans son caractère. Les traits mêmes de son visage révèlent son origine. La langue qu’il apprit au berceau n’était pas la nôtre, et son accent, comme son nom, révèlent sa patrie. »
Naissance de l’ambitieux provincial
Quoi qu’en dise la noblesse, la bourgeoisie a gagné la partie. Et avec elle, de nouvelles mœurs se sont imposées. Traumatisés par l’aventure napoléonienne, les écrivains s’en sont inspirés pour imaginer des héros dont la vie leur ressemble. C’est ainsi qu’est né le personnage du provincial ambitieux conquérant la capitale. La nouveauté résidait aussi dans le fait qu’il n’était pas méprisable. Son ambition va de pair avec une noblesse de tempérament et une sensibilité exacerbée. C’était une manière de renouveler le modèle du chevalier à l’ère de la bourgeoisie et de l’avènement du monde des affaires. Les héros stendhaliens sont les plus remarquables dans cette catégorie. Fabrice del Dongo (La Chartreuse de Parme), Julien Sorel (Le Rouge et le Noir), Octave de Malivert (Armance) sont des gens déterminés et ambitieux qui séduisent par leur gaieté et leur franchise. L’art influence la vie, et non l’inverse. En devenant des références dans notre culture, ces héros ont donné à l’ambition une vertu qu’elle n’avait pas auparavant.
À LIRE AUSSI Napoléon et le sexe, un homme amoureux mais pas sensuelNotre époque n’est pas aussi accueillante que celle du XIXe siècle.et siècle envers ceux qui ne rentrent pas dans l’idée d’une élite. On demande aux parvenus d’adopter au plus vite les us et coutumes en vigueur. Eh bien, Rachida Dati n’a jamais cédé. Non pas qu’elle se démarque, mais sa franchise et sa spontanéité rappellent qu’elle n’est pas pétrifiée par l’arrogance des politiciens conventionnels. Elle ne cache ni ce qu’elle est ni ce qu’elle fait. Personne n’est assez naïf pour croire qu’un ministre est une personne douce et attentionnée.
La politique est affaire de rapports de force ; Rachida Dati l’assume. Quant à ses origines populaires, elles furent une faiblesse avant de devenir une force. Lorsqu’elle fut nommée ministre de la Justice par Nicolas Sarkozy, la France l’accueillit comme une sorte de prétexte, une preuve du bon fonctionnement de son modèle méritocratique. Tout le monde attendait d’elle qu’elle soit sage et contente de la place qu’on avait bien voulu lui laisser. Bref, Dati était une curiosité. L’objet de curiosité se transforma en phénomène. Son audace presque martiale lui permit de s’affirmer. Elle ne misa pas sur l’exemplarité, mais sur le fait d’être soi-même, ce qui, en politique, paye. Dior, et alors ? Tu me touches, je te frappe. Le luxe et la violence lui allaient bien. Mais pas seulement. Dati riait, plaisantait, provoquait, avec un naturel et une spontanéité qui tranchaient avec le sérieux d’un gouvernement dirigé par François Fillon, qui n’incarnait pas non plus la joie de vivre. Les gens au pouvoir pardonnent tout, sauf de paraître heureux. C’est la preuve que l’on peut échapper au masque funéraire de la politique, cet abîme où s’épuisent les passions les plus puissantes et les plus méprisables de la vie. Rachida Dati est une statue de la République. Tout simplement parce qu’elle démontre, par son succès, que la Révolution n’était pas un mensonge et que ses promesses peuvent être tenues.