Par
Romaric Larue
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“C’est la première fois que je vis une telle folie”, peste Thierry GranturcoĂ la barre du tribunal correctionnel d’Alençon, jeudi 26 septembre 2024. Ancien maire de Villers sur Mer (Calvados) entre 2020 et 2024, il a Ă©tĂ© jugĂ© pour des faits de harcèlement moral durant son mandat. En raison de son statut d’Ă©lu, l’affaire a Ă©tĂ© dĂ©localisĂ©e dans l’Orne et confiĂ©e au parquet d’Alençon.
Plusieurs plaintes d’Ă©lus et d’employĂ©s municipaux
Thierry Granturco, 56 ans, avocat de profession, est soupçonnĂ© d’avoir harcelĂ© moralement des Ă©lus et des employĂ©s municipaux de sa commune de quelque 2.700 habitants. Cinq victimes lui reprocher violence psychologique, de la humiliations et dĂ©valuations Ă plusieurs reprises. Au moment des faits, il s’agissait de trois Ă©lus de sa propre majoritĂ© (deux adjoints et un conseiller), d’un employĂ© communal et du directeur du centre communal d’animation.
En septembre 2022, un rapport a Ă©tĂ© rendu public par le Centre d’information du Calvados sur les droits des femmes et des familles (CIDFF). L’accusĂ© a Ă©tĂ© placĂ© en garde Ă vue les mardi 7 novembre et mercredi 8 novembre 2023, après le dĂ©pĂ´t de plusieurs plaintes. L’affaire devait ĂŞtre jugĂ©e en fĂ©vrier 2024 mais avait Ă©tĂ© revenu. Il a depuis dĂ©missionnĂ© de son poste de maire.
Après l’élection de 2020, il aura fallu peu de temps pour que la machine s’arrĂŞte dans l’équipe. De la tensions Des conflits ont Ă©mergĂ© en interne entre le maire et les Ă©lus. «J’ai vite Ă©tĂ© gĂŞnĂ©e par son attitude et ses dĂ©cisions», confiait Virginie Gourdier, une ancienne conseillère dĂ©cĂ©dĂ©e en dĂ©but d’annĂ©e. « Tout mon travail a Ă©tĂ© remis en question. »
Un maire au portrait controversé
Selon les plaignants, le maire a exercĂ© des pressions et s’est montrĂ© virulent, tant en privĂ© qu’en public, lors de dĂ©saccords sur des projets. Ils parlent d’« intimidations », de « mails tueurs » ou encore d’« effusion de violence verbale ». La dĂ©putĂ©e Marie-Anne Gabreau, l’une des victimes, le dĂ©peint comme quelqu’un « autoritaire », « pervers narcissique » et qui « s’attaque aux faibles et aux femmes ».
Une quarantaine de personnes, qui gravitent autour de la sphère municipale, ont Ă©tĂ© interrogĂ©es. Entre discours Ă©logieux et portraits accablants, les audiences dressent le portrait d’un homme controversĂ©. Il a Ă©tĂ© dĂ©crit par certains comme un « manipulateur », un « tyran » et mĂŞme un « dictateur ». Un « climat gĂ©nĂ©ral de peur » et une « gestion dictatoriale » ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s.
En revanche, un conseiller de l’Ă©poque le prĂ©sente comme une personne n’ayant « jamais tenu de propos insultants ». « La seule personne harcelĂ©e dans cette pièce, c’est lui. On voulait sa tĂŞte», a-t-il dĂ©noncĂ© devant les juges. Le directeur gĂ©nĂ©ral des services a reconnu des « accès de colère » de la part de l’Ă©dile. « Mais pas de remarques grossières ou dĂ©gradantes. Il y a eu un turnover mais il n’Ă©tait pas du tout liĂ© Ă son arrivĂ©e. »
Il a mis ses adjoints Ă l’Ă©cart pendant un mois
La division a atteint son paroxysme en novembre 2021 lorsque, après une Ă©nième contestation, le maire a placĂ© provisoirement ses six adjoints sur la clĂ©. “Je leur ai dit d’Ă©viter de se rendre Ă la mairie et de ne pas assurer leurs dĂ©lĂ©gations pendant un mois”, a-t-il expliquĂ©. Une dĂ©cision « mal vĂ©cue » par les concernĂ©s. “Nous avons ressenti cela comme une humiliation”, a dĂ©clarĂ© Florence Le Nail, une autre victime.
Pour Thierry Granturco, il ne fait aucun doute qu’il y avait un « problème de gestion » durant son mandat. « Il y avait des inimitiĂ©s entre Ă©lus. » Ses dĂ©fauts Ă ses yeux ? Ayant voulu gĂ©rer la commune comme une entreprise et Ă©tabli un programme « très ambitieux ». « Plus de 200 mesures, les objectifs Ă©taient trop Ă©levĂ©s. Il y avait de la frustration, de la contrariĂ©tĂ© et un manque de loyautĂ©. »
“Il soufflait du chaud et du froid”
Selon lui, les dissensions Ă©taient liĂ©es au manque de relais. « La seule chose que je demandais, c’Ă©tait d’ĂŞtre informĂ©. Je ne voulais pas ĂŞtre mis devant le fait accompli sur des questions majeures. »
Florence Le Nail a livrĂ© une autre analyse : « Je n’ai jamais pris de dĂ©cision ni signĂ© de devis sans l’accord du maire. » Un maire qui, selon lui, pourrait dĂ©valoriser des initiatives ou changer d’avis sur des projets dont il avait connaissance. « Il soufflait du chaud et du froid. C’Ă©tait un flou permanent, nous n’avions aucun objectif. »
“J’avais une boule au ventre”
Deux agents municipaux, tous deux absents Ă l’audience, figurent Ă©galement parmi les victimes. Une jeune femme, embauchĂ©e en fĂ©vrier 2022 comme directrice du centre de divertissement Space, n’est restĂ©e que sept mois.
Peu après son arrivĂ©e, elle est invitĂ©e par le maire Ă une rencontre surprise avec d’autres Ă©lus. «J’ai Ă©tĂ© jetĂ© dans la cage des loups. Sans rien prĂ©parer, on m’a demandĂ© de justifier chaque ligne du budget», a-t-elle dĂ©clarĂ© lors de son audition. Elle a exprimĂ© son malaise.
Je devais constamment anticiper ses attaques. Au bout de deux semaines, j’ai ressenti un creux au ventre en me rendant Ă la mairie.
L’autre salariĂ© a Ă©tĂ© recrutĂ© en octobre 2020 pour gĂ©rer les rĂ©seaux sociaux de la Ville. Ses conditions de vie Ă©taient « dĂ©gradĂ©es » par un rythme de travail effrĂ©nĂ©. Parfois sept jours sur sept, dit-il. «Je travaillais presque tous les jours fĂ©riĂ©s. Je n’avais plus d’intimitĂ© et de repos. » « Je ne le voyais qu’une ou deux heures par semaine. Je n’ai pas pu connaĂ®tre sa plage horaire. En trois ans, je ne lui ai imposĂ© qu’une journĂ©e de travail », s’est dĂ©fendu le prĂ©venu.
La victime ajoute Ă cela le comportement « paternaliste », dans les propos et les gestes, du maire de la commune. « Lors d’un match de football, il a dit devant tout le monde que je ressemblais Ă un U9. » Il a quittĂ© les services de la Ville Ă l’automne 2022, après plusieurs semaines d’arrĂŞt maladie.
Pensées suicidaires
De la vagues de dĂ©parts et de Ă©puisement professionnel ont Ă©tĂ© observĂ©s. « Il y a d’autres victimes qui n’ont pas portĂ© plainte par crainte de reprĂ©sailles », a soulignĂ© Me Caroline Apiou, avocate des parties civiles.
Les agissements prĂ©sumĂ©s de l’ancien maire ont eu des rĂ©percussions physiques et psychologiques sur les victimes. Ces derniers ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’interruptions temporaires de travail (ITT) comprises entre trois et quinze jours. Dans certains, trouble de stress post-traumatiqueou mĂŞme pensĂ©es suicidairesont Ă©tĂ© diagnostiquĂ©s par des experts. Comme l’employĂ© communal retrouvĂ© au bord d’une falaise par la police municipale.
L’avocat de la dĂ©fense, Me Cosima Ouhioun, a demandĂ© dĂ©tendusignalant un « fichier pratiquement vide ».
Pour Amandine Bogaert, procureure adjointe, le « malaise » des victimes a été « médicalement constaté ». « Ceci est lié au rapport hiérarchique avec le prévenu et à son comportement. »
Dix mois de prison avec sursis requis
Elle a requis contre Thierry Granturco, dont le bilan est jusqu’ici vierge, dix mois de prison avec sursis. Elle rĂ©clame une amende de 10 000 €, une interdiction de contact avec les victimes pendant trois ans et une peine d’inĂ©ligibilitĂ© de cinq ans.
Le tribunal a réservé son jugement et rendra sa décision le jeudi 21 novembre.
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