EEn France, 12,5 % des personnes âgées de 18 à 85 ans ont vécu un épisode dépressif au cours de l’année écoulée. Chez les 18-75 ans, la prévalence de la dépression a augmenté de 3,5 points de pourcentage entre 2017 et 2021, passant de 9,8 % à 13,3 %. Et c’est pire chez les plus jeunes. Au total, 15 à 20 % des Français souffrent de dépression au moins une fois dans leur vie.
La dépression, loin d’être un simple changement d’humeur mais une véritable maladie, se traduisant notamment par une tristesse pathologique, une perte de désir et des idées noires, pouvant conduire au suicide. Cette maladie peut aussi avoir des conséquences graves sur la vie de couple, laissant parfois les partenaires de vie démunis face à la souffrance de leur moitié. Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne et psychothérapeute, explique à Indiquer les bons réflexes à avoir dans ces situations.
Indiquer : Quel est le premier réflexe à avoir pour accompagner son partenaire de vie en dépression ?
Aline Nativel Id Hammou : Mon premier conseil aux personnes confrontées au trouble dépressif diagnostiqué chez leur conjoint est de prendre contact avec l’équipe soignante de leur conjoint. En psychologie, on dit souvent que le partenaire devient un aidant naturel pour son proche.
La dépression étant une pathologie chronique, un accompagnement par un soignant peut être mis en place, à condition qu’il y ait un accompagnement. Nous avons besoin d’une éducation thérapeutique qui nous permette de comprendre les symptômes de la dépression et de recevoir un ensemble de recommandations sur la bonne posture à adopter avec nos proches, pour éviter les comportements néfastes.
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Avant de vouloir aider votre partenaire, vous devez connaître vos propres limites. Vous ne serez jamais le psychiatre, le médecin, le psychologue de votre moitié. Vous pouvez essayer de le rassurer, de lui dire que vous êtes disponible, présent et que vous pouvez répondre à ses demandes ou besoins. Sauf qu’à un moment donné, il faut garder la bonne posture et pouvoir appeler les secours. Le partenaire doit à un moment donné pouvoir dire : « Là, je n’ai aucun pouvoir d’action, je n’y arrive pas, j’ai besoin de ressources extérieures. » Ces ressources externes peuvent être une équipe médicale, mais aussi d’autres proches. Vous devez être capable de parler de votre inconfort en tant qu’aidant lors de la gestion des symptômes de votre partenaire.
Autre point important, lorsque votre partenaire traverse une crise dépressive liée à la problématique suicidaire, vous devez lui apporter un soutien à l’hôpital et ne pas prendre de responsabilités. J’ai déjà soutenu des soignants qui se sentaient coupables de ne pas avoir réussi à stopper à temps un acte suicidaire. Si vous sentez que les symptômes sont trop forts pour votre partenaire, vous devez contacter immédiatement de l’aide. Il ne faut pas tomber dans le « syndrome du sauveur », car vous n’y arriverez pas, vous ressentirez un sentiment d’échec et de dévalorisation importante. Et si votre partenaire doit être hospitalisé, ne vous sentez pas coupable. Il ou elle comprendra votre approche.
Que devez-vous faire si vous constatez que votre partenaire va mal avant qu’un diagnostic ne soit posé ?
La première posture à adopter est une position de confiance. Êtes-vous capable d’évoquer leurs sentiments émotionnels, que ce soit du point de vue familial ou professionnel ? Vous devez déjà essayer de lui faire comprendre que vous êtes un auditeur attentif et bienveillant. Ensuite, il faut essayer de créer des moments ensemble. Lorsque vous sentez que votre partenaire se replie, qu’il perd du plaisir dans des activités qu’il aimait faire auparavant, qu’il y a un changement dans la fréquence et la durée de votre vie sexuelle, toutes ces informations peuvent être des signes d’inconfort. Après, nous pouvons tous, à un moment donné, ressentir une humeur dépressive, sans entrer dans un trouble dépressif. Il faut faire la différence.
LIRE AUSSI Dépression : le pouvoir curatif de la kétamineSouvent, la maladresse des soignants ou des proches vient d’une posture trop motivationnelle. Dire « mais non, tout va bien, vous exagérez, vous abusez, levez-vous, vous êtes paresseux », c’est nier les problèmes de votre partenaire et cela a l’effet inverse. Il faut déjà savoir si vous êtes capable d’écouter, même des commentaires qui semblent irrationnels ou irrationnels. Autre point important, lorsque vous vous sentez dépassé, dites de la manière la plus douce possible qu’il est peut-être temps de rencontrer un expert en santé mentale, d’en parler à un proche ou de suggérer des changements au travail par l’exemple.
Mais il ne faut pas forcer…
Non. Il ne faut pas se transformer en coach de vie, mais plutôt suggérer. Et nous ne devons pas réagir de manière excessive au « non ». Il faut aussi faire le point sur les propositions. Le point d’inquiétude est atteint lorsque le partenaire refuse des activités dans lesquelles il prenait auparavant beaucoup de plaisir. Il faut toujours être dans une forme d’écoute et d’empathie, sans dévaloriser l’autre en lui disant dans une forme de passivité-agressivité : « Écoute, je t’ai demandé trois fois de venir, mais qu’est-ce que tu as ? » Ou : « Tu m’as promis que tu viendrais voir ma famille. Pourquoi refuses-tu ? » De tels discours, parfois culpabilisants, pourraient provoquer encore plus de dévalorisation chez la personne déprimée, et donc davantage de souffrance. Essayer de secouer votre partenaire peut rendre la communication difficile. Mais ce n’est pas qu’il ne le veuille pas, il ne le peut pas.
Comment éviter que votre relation ne sombre dans une spirale descendante ?
L’aidant doit lui-même accepter l’aide, être soutenu et ne pas rester replié sur lui-même dans sa posture bienveillante. L’environnement social est très important. Il existe des groupes de soignants pour en parler. Individuellement, de nombreux soignants consultent des psychologues. Cet espace d’échange et de soutien psychologique leur permettent de mieux accompagner leurs proches.
Comment réussir à faire comprendre à votre partenaire qu’il a besoin d’aide ?
C’est très difficile. Ce discours fait nécessairement référence à la vulnérabilité. Tout dépend de votre partenaire et des arguments utilisés. Mais il faut accepter que la réflexion prend du temps. Un dépressif ne consulte pas directement. Il doit parcourir son propre chemin pour pouvoir prendre cette décision. Nous pouvons essayer de l’aider. Mais, en fin de compte, il faut encore le laisser décider. Le forcer pourrait le précipiter. A noter qu’il existe de plus en plus de structures de soins psychologiques qui proposent des rendez-vous à domicile pour certaines pathologies psychologiques. Parfois, c’est plus simple. Mais il reste difficile de susciter la volonté d’obtenir de l’aide.
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En parlant à l’entourage de votre partenaire, à ses amis, à ses collègues, à sa famille, à un tiers de confiance, nous pouvons mobiliser différents leviers pour pouvoir l’accompagner. Le partenaire déprimé pourra prendre un peu plus conscience de son trouble et adhérer à la thérapie. Parfois, c’est mieux car trop insister et rester trop en retrait dans une dynamique conjugale peut nuire au couple.
Comment aborder la vie sexuelle dans votre couple dans ces cas-là ?
Il faut d’abord accepter que, effectivement, les troubles dépressifs entraînent une perte de libido. Même si votre partenaire est sous prise en charge médicale et psychologique, vous devrez accepter une perte de sexualité normalisée et vous diriger plutôt vers des gestes de tendresse et de rapprochement physique.
C’est quelque chose qui peut prendre du temps, mais qui peut aussi être très frustrant pour le partenaire de vie. C’est important d’en parler. Si la frustration dans le couple est trop grande, le partenaire peut se sentir coupable et se dévaloriser. Mais nous pouvons y travailler avec du soutien. Certains optent pour une thérapie de couple. Maintenant, il faut encore accepter que, pendant un certain temps, la sexualité du couple sera différente.