L’l’échange promettait un semblant de débat. Cela suggérait peut-être un accord entre les étudiants pro-palestiniens de Sciences Po et leur direction. A tout le moins, un dialogue qui fait cruellement défaut sur le sujet israélo-palestinien. Pendant 2h30 ce jeudi 2 mai au matin, plusieurs associations étudiantes se sont entretenues à huis clos avec la direction et les professeurs.
Selon plusieurs participants, cette discussion a semblé plutôt apaisée, même si certains commentaires ont fait preuve d’une forte émotion. Pourtant, lorsqu’ils sortent de l’école, vers midi, leurs visages sont défaits et tendus. « Au final, chacun est resté collé à ses positions, résume un étudiant. De l’autre côté de l’école, face aux caméras, Jean Bassères, l’administrateur provisoire de Sciences Po, a parlé d’un débat « dur ».
Des postes qui n’ont pas changé
En réalité, aucune des deux parties n’a avancé d’un pouce. À la toute fin du débat, un militant pro-palestinien a crié indistinctement, provoquant un émoi dans la salle, juste avant que tout le monde ne se disperse. Dès midi et demi, un petit groupe du comité Palestine occupait la salle, certains vêtus de keffiehs. Un étudiant harangue une trentaine d’autres en français et en anglais et clame ces slogans : « Bassères ! Bassères ! Sciences Po n’est pas à vous ! », « Israël meurtrier ! Macron complice ! »
A 14 heures, Hichem, l’un des responsables du comité Palestine de Sciences Po, annonce qu’un étudiant a entamé une grève de la faim pour faire valoir ses revendications. Une méthode aperçue… outre-Atlantique dans plusieurs universités américaines. Cette annonce a laissé les autres participants à la « mairie » incrédules. « Ils ont attendu la fin de leur pause déjeuner pour entamer la grève de la faim », ironise un participant.
Dans l’assemblée « mairie », on retrouve des organisations classées à gauche, voire extrême gauche (Solidaires et Sud, en lien avec le comité Palestine), d’autres syndicats plus modérés (Nova, les macronistes, et l’Unef, la gauche modérée). et la droite (l’UNI). L’Union des étudiants juifs de France (UEJF) s’est également exprimée avec sérénité. Une centaine d’étudiants ont assisté à la réunion depuis une salle voisine via vidéo Zoom. « Il existe un noyau dur de 10 à 15 % de militants pro-palestiniens actifs, soutenus par un cercle plus large », estiment plusieurs étudiants. « Nous ne sommes pas une minorité mais une majorité », clame Hichem, du comité Palestine, qui déplore une conférence « décevante », « sans surprise » devant une myriade de caméras.
Devant le portail de Sciences Po, Eden Martinez, 19 ans, s’en sort « très mitigé ». “On avait beaucoup d’espoir, au final, on est déçu, souffle le représentant du syndicat Nova, affilié au parti Renaissance. La politique de l’administration n’est pas claire.” Pierre, 22 ans, étudiant en affaires publiques, « aimerait que la direction ait un discours plus affirmé sur ce qui se passe à Gaza ». » A la moindre position, l’administrateur semble marcher sur des œufs, comme s’il était sous pression… suppose-t-il « Je ne me vois pas vraiment des deux côtés ».
Le partenariat de Sciences Po avec des universités israéliennes
Au cœur des négociations : la remise en cause des partenariats de Sciences Po Paris avec les universités israéliennes, soit une poignée d’établissements sur plusieurs centaines. Les étudiants du comité Palestine accusent ces universités de soutenir le gouvernement de Netanyahu et de contribuer à la fabrication d’armes qui seront ensuite utilisées par l’armée israélienne. « Aucune remise en cause » de ces partenariats n’est prévue, a indiqué ce jeudi l’administrateur de Sciences Po, Jean Bassères. “J’ai notamment très clairement refusé la création d’un groupe de travail proposé par certains étudiants pour enquêter sur nos relations avec les universités israéliennes et même avec les entreprises qui sont des partenaires financiers”, a-t-il déclaré. « Nous avons eu droit à des crépitements de la part de l’administration, rien de satisfaisant », s’agace Jacques, étudiant en première année de master. L’administration veut-elle du temps pour réfléchir aux partenariats ? Mais l’oppression du peuple palestinien dure depuis 75 ans ! »
Lors de la « mairie », la professeure de sciences politiques et chercheuse Nonna Mayer a prononcé un discours très remarqué. Elle a notamment rappelé les liens qu’elle a tissés avec plusieurs universitaires israéliens qui ne sont pas tous pro-Netanyahu… Mais cette tentative de nuancer le débat n’a pas convaincu les plus radicaux. Ils mettent en avant, de leur côté, le cas du professeur Nadera Shalhoub-Kevorkian exclue (avant d’être réintégrée) de l’Université de Jérusalem pour des positions controversées sur le conflit.
Les militants pro-palestiniens s’interrogent également sur la rapidité avec laquelle Sciences Po a rompu ses partenariats avec la Russie lorsque la guerre en Ukraine a éclaté. “Cela n’a rien à voir, la Russie est un régime autoritaire et Israël, une démocratie”, soupire un étudiant de l’école de journalisme de Sciences Po, où le débat fait également rage. “J’aimerais que le comité Palestine se dissocie des propos antisémites qui ont été tenus et qu’il parle des otages, mais il ne le fait jamais”, déplore-t-il. Selon nos informations, une enquête administrative a été ouverte par la direction de Sciences Po suite à un signalement de possibles propos antisémites tenus sur un groupe Messenger. Des captures d’écran des messages sont en cours de transmission et seront évaluées par la cellule d’enquête interne de Sciences Po.
Un autre moment de la « mairie » a fait sourciller le public. Le 24 avril, la police est venue évacuer le campus de Sciences Po après un blocus. De quoi susciter l’inquiétude de l’ensemble des étudiants, qui ont ordonné ce jeudi à la direction de préserver toute manifestation « pacifique » de l’intervention des CRS au sein de l’enceinte de l’école. « Si c’était à refaire, je le referais », a répondu l’administrateur de Sciences Po, jetant un froid dans l’assemblée. Dernières revendications des étudiants pro-Gaza : la condamnation par Sciences Po du « risque de génocide » et l’annulation pure et simple des sanctions attribuées aux fauteurs de troubles du blocus du 24 avril. Pour le moment, ils ont été suspendus, sans qu’aucune mesure ne soit prise.
Entre-temps, le climat est redevenu irrespirable à l’école. « Comme en mars, c’est impossible d’étudier sereinement, ça bouge tous les jours », regrette un étudiant hanté par les cris des militants jusque dans la bibliothèque. Il n’exclut pas, dans les prochains jours, de ne pas retourner en classe.