Le 15 octobre 1917, pendant la Première Guerre mondiale, Mata Hari est fusillée au stand de tir de Vincennes. Moins pour ses activités d’espionnage que pour remonter le moral de l’armée française alors en difficulté. Avec Rémi Kauffer, historien, auteur de « Histoire mondiale des services secrets ».
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Le jour venait à peine de se lever le 15 octobre 1917, qu’en provenance de la prison Saint Lazare, un convoi de plusieurs voitures arrivait au stand de tir du château de Vincennes. Accompagnés d’une religieuse, d’un pasteur et de son avocate, Margaretha Zelle McLeod, dite Mata Hari, sont descendues d’une voiture et se sont dirigées vers le poste d’exécution devant lequel attendait un peloton de 12 soldats. Après avoir refusé d’avoir les yeux bandés et entendu la lecture du jugement, au moment où l’aspirant levait son sabre pour ordonner le coup de feu, Mata Hari lui dit hardiment : “Monsieur, merci”. C’est à un tournant de la Première Guerre mondiale que sont prononcés les derniers mots de cette femme arrêtée huit mois plus tôt pour espionnage au profit de l’Allemagne. Patrice Gélinet revient sur l’histoire de cet espion avec l’historien et écrivain Rémi Kauffer.
Patrice Gélinet : Contrairement à ce que l’on croit encore aujourd’hui, Mata Hari, dites-vous, n’était pas une grande espionne.
Pascal Froissart : Oh non, ce n’était même pas une série B, c’était une série C, soyons honnêtes.
Cependant, elle a quand même fourni des informations.
Elle donnait des renseignements à tout le monde, mais comme elle était très imaginative, elle brodait, elle brodait car elle travaillait, on dirait, pour plusieurs services secrets. Eh bien, à chacun, elle transmettait ce qu’elle pensait avoir entendu de l’autre, et ainsi de suite, ce qui faisait d’elle un excellent agent de désinformation pour les deux.
Le pays a besoin d’un exemple brillant qui rétablira la confiance dans la nation. Autrement dit, Mata Hari sera jugée et condamnée moins pour les informations qu’elle a su donner aux Allemands que pour avoir remonté le moral des troupes. Qu’à ce moment-là, vous l’avez rappelé, la France se trouve dans une situation où l’armée française est dans une très mauvaise situation.
En effet, il y a eu ce qu’on appellerait des mutineries à partir du printemps 1917, parce que nos poilus en avaient assez d’être envoyés au braquage (…) Les gars en avaient marre, ils voulaient rentrer chez eux donc ils quittent les tranchées. Généralement ils sont arrêtés par nos agents qui leur disent “Mes enfants, je n’ai rien vu, retournez à vos postes”. Mais dans certains cas, on compte en gros 100 000 cas d’insubordination. Ce qu’il faut voir, c’est que les poilus dans les tranchées, en plus des souffrances quotidiennes et des morts, il y a une chose qui les préoccupe, ce sont ces rumeurs qui circulent sur les embusqués qui sont à l’arrière, qui se taisent. Il y en a donc quelques-uns, mais pas tant que ça, et ils ont tous des filles. Eh bien, cela peut nous sembler être le cas, mais regardez leur état. Ils se demandent ce que font leurs mères, leurs sœurs, leurs fiancées, leurs femmes, et ils se disent qu’ils sont peut-être avec ces salopards qui sont tranquilles au fond. Donc ça les dérange. Et les combats de 1917 entraînent un changement de commandant en chef et Pétain est nommé commandant en chef des armées. Et Pétain comprend qu’il faut améliorer la vie de ce soldat. Et aussi l’état-major comprend qu’il faut leur donner une victime expiatoire, c’est-à-dire une femme, rappelez-vous que c’est la vertu de leur compagne, la vertu de leur mère, etc. qui les amène. Bon, on va leur lancer une femme notoirement « mauvaise », mais évidemment, qui danse nue, qui a des amants. Nous décidons donc de le jeter pour remonter le moral des troupes.
Avec « Les infox de l’Histoire », la troisième saison du podcast de la Fondation Descartes en partenariat avec franceinfo, voyagez à travers les époques au cœur d’épisodes majeurs de désinformation. Patrice Gélinet et ses invités exposent et analysent les fake news qui ont défrayé la chronique depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Complot, désinformation, rumeurs, calomnies, battage médiatique… Une troisième saison de huit épisodes pour décrypter les mensonges de l’Histoire.
Producteur : Patrice Gélinet
Réalisateur : Gilles Blanchard
Documentaliste/Chargée de production : Juliette Marcaillou
Technicienne : Marie Lepeintre