-/AFP via Getty Images
Premier candidat à une élection présidentielle sous l’étiquette écologiste, en 1974, René Dumont mène une campagne qui ne paraîtra plus datée 50 ans plus tard (photo d’archive prise en décembre 1974).
POLITIQUE – ” Désormais, on ne prendra plus les défenseurs de l’environnement pour de simples protecteurs de pâquerettes. » Bien qu’il n’ait obtenu que 1,3 % à l’élection présidentielle de 1974, René Dumont mène une campagne historique, comme le vante avec verve l’un de ses partisans de l’époque. Et pour cause : il y a 50 ans, dans la campagne éclair qui a suivi la mort de Georges Pompidou, l’homme au pull rouge devenait le premier candidat vert au vote suprême.
L’histoire de ceci vulgarisateur » autoproclamé qui suscitait des inquiétudes jusqu’alors réservées à quelques militants éclairés est raconté par le journaliste Arthur Nazaret dans un livre, Le prophète avait raison. Un livre paru ce vendredi 10 mai, où l’on rencontre un nourrisson Lionel Jospin, une Édith Cresson pas loin d’être jetée à la Seine parce qu’elle porte un manteau de fourrure et un jogging dans le bois de Vincennes.
Alain MINGAM / Gamma-Rapho via Getty Images
En 1974, René Dumont installe son quartier général de campagne sur une péniche sur la Seine. Celui-ci étant positionné au pied du pont de l’Alma, il héritera du surnom de « Zouave de l’Alma ».
L’occasion de revenir avec l’auteur sur quatre idées du candidat qui auraient toutes eu leur place dans la campagne européenne, 50 ans plus tard. Un programme ambitieux et novateur qui a fait dire aux amis de René Dumont : « pour la première fois, l’utopie entre dans l’Histoire de France “.
· La critique du voiture »
” La voiture pue, ça pollue et ça rend stupide. » Si, en 2024, on privilégie les transports en commun et ce qu’on appelle la « mobilité » doux » est récurrent chez les partisans de l’écologie, René Dumont se montre en 1974 « très innovant en tant que candidat s’adressant à un grand public », explique Arthur Nazaret. Fustigeant » les Français enfermés dans des épaves de voitures », le candidat vert préfère déjà le vélo. ” Il devient favori à chaque voyage une procession à vélo entre le lieu où il arrive dans une ville et le lieu où se tient son rendez-vous. », relate l’auteur. Résultat : des foules festives de cyclistes se forment pour l’accompagner dans un joyeux vacarme.
À ce sujet de l’automobile, René Dumont vient « rejoindre un combat qui lui préexistait », rappelle Arthur Nazaret. A l’heure où les premiers se battent pour ce que l’on résume ensuite comme « l’environnement » tournent autour de deux grands combats, le nucléaire et « voiture », s’approprie-t-il notamment le second. Mais sans calcul : car dès 1972, avant de savoir qu’il serait un jour candidat, le chercheur apparaît dans une manifestation, comme vous pouvez le voir ci-dessous (à partir de 36 secondes). Et exiger… des pistes cyclables à Paris et plus d’espace pour les transports en commun.
Parmi les autres propositions formulées par René Dumont et évoquées dans l’ouvrage Le prophète qui avait raison : interdire les voitures de plus de 4 ch, augmenter le prix de l’essence pour les déplacements loisirs, tripler le prix des péages le week-end, etc.
· Moins de viande dans l’alimentation des Français
” Pourquoi fabriquer des protéines (animales) avec des protéines (végétales) ? » Avant d’ouvrir la voie en politique, René Dumont était un agronome qui a parcouru le monde et constaté les ravages des famines. “ Il se considère comme un agronome de la faim, comme le titre d’un de ses livres : son objectif est de trouver comment nourrir le tiers-monde. Et à ce titre, pour lui, le mode de vie occidental est à éviter. », remplace Arthur Nazaret.
C’est pourquoi René Dumont invite les Français à manger » plus de céréales, plus de fruits, plus de légumes et moins de gras, moins de sucre, surtout moins de viande “. Un discours très actuel, qui semble aussi être l’un de ses ” contributions » le plus personnel de sa campagne. ” Quand il voit tout ce qu’il faut faire pour nourrir un bœuf, il se dit que le mode de vie des pays riches est du gaspillage. », souligne le journaliste.
Ascète, joueur de tennis, joggeur et comptant ses pas comme le fait aujourd’hui un smartphone, René Dumont donne l’exemple. ” Il quitte souvent les banquets lorsqu’il estime qu’il y a trop de nourriture et que le tiers monde est en train d’être pillé. », raconte le journaliste. Qui livre dans son ouvrage une anecdote savoureuse, où le candidat écologiste s’effraie d’avoir failli prendre” du ventre » à une époque de sa vie avant d’être heureux d’être parti travailler en Angleterre où la nourriture était épouvantable, ce qui lui évitait l’infamie de quelques kilos en trop.
· L’eau ” précieux » et menacé
” Il y a quinze ans, le commandant Cousteau considérait la mer comme le grenier du monde, un grenier qui devait nourrir l’humanité. Aujourd’hui, la mer n’est plus qu’un déchet. » Si des associations défendaient déjà les rivières au début des années 1970, René Dumont a fait exister lors de la campagne les questions de la rareté de la ressource et de la pollution des eaux.
Avec une image choc, qui apparaît sur la couverture du livre d’Arthur Nazaret et dans les archives télévisées : celle du candidat brandissant un verre d’eau et déclarant : « Savez-vous ce qui va se passer ? Eh bien, nous allons bientôt manquer d’eau. C’est pourquoi je bois un verre d’eau précieuse devant vous… »
Un thème qui revient encore et encore dans sa campagne. Sur la péniche qui lui sert de quartier général au cœur de Paris, il dénonce la Seine devenue une « vaste égout mobile “. Avec l’aide d’un militant écologiste, dans le Finistère, il s’exprime devant la rivière Laïta recouverte d’écume blanchâtre et puante sortie d’une usine. A Fos-sur-Mer, il interviewe des pêcheurs aux filets vides, privés de leurs prises. puisqu’un immense complexe industriel leur interdit de « faire des moules ou des crustacés » et qui déplorent ça maintenant » il n’y a plus de vie ” en Méditerranée.
· Une certaine dénonciation du patriarcat
” La candidature écologiste est la seule qui remet en cause les fondements de la société patriarcale. Son combat va donc dans le même sens que le nôtre. » Ces propos sont ceux de la Ligue des droits des femmes, lancée en mars 1974 et présidée par Simone de Beauvoir. D’autres figures du féminisme rejoindront René Dumont : Arthur Nazaret cite notamment « Christiane Rochefort, l’une des fondatrices du MLF, ou Françoise d’Eaubonne, qui a inventé le concept d’écoféminisme “.
Et pour cause : le premier candidat écologiste » se dit féministe, opposant au patriarcat, utilisant lui-même ce terme », dit l’auteur. Mais contrairement à d’autres combats dont il est le moteur, René Dumont est sans doute davantage animé par un élan plus large. ” C’est la deuxième vague du féminisme après les suffragettes : après les droits civiques, c’est le droit de contrôler son corps. Et c’est une lame de fond, du moins à gauche, dont c’est le biotope », remplace le journaliste.
Et si le féminisme n’est pas un thème sur lequel la candidate se lance naturellement dans un entretien, il existe néanmoins des propositions fortes pour l’époque, un an avant la loi Veil légalisant l’avortement. Considérant une fois de plus que le mode de vie capitaliste n’est pas viable et qu’il faut donc contrôler les naissances dans les pays riches, il veut faciliter l’accès aux formes de contraception et autoriser l’interruption volontaire de grossesse, avec une décision qui devrait être seule la responsabilité des femmes “. Et l’agronome accuse le ” société patriarcale “. C’était il y a cinquante ans.
« Le Prophète avait raison », un livre d’Arthur Nazaret qui retrace la campagne de René Dumont de 1974, sort ce vendredi 10 mai aux Éditions du Seuil.
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Premier candidat à une élection présidentielle sous l’étiquette écologiste, en 1974, René Dumont mène une campagne qui ne paraîtra plus datée 50 ans plus tard (photo d’archive prise en décembre 1974).
POLITIQUE – ” Désormais, on ne prendra plus les défenseurs de l’environnement pour de simples protecteurs de pâquerettes. » Bien qu’il n’ait obtenu que 1,3 % à l’élection présidentielle de 1974, René Dumont mène une campagne historique, comme le vante avec verve l’un de ses partisans de l’époque. Et pour cause : il y a 50 ans, dans la campagne éclair qui a suivi la mort de Georges Pompidou, l’homme au pull rouge devenait le premier candidat vert au vote suprême.
L’histoire de ceci vulgarisateur » autoproclamé qui suscitait des inquiétudes jusqu’alors réservées à quelques militants éclairés est raconté par le journaliste Arthur Nazaret dans un livre, Le prophète avait raison. Un livre paru ce vendredi 10 mai, où l’on rencontre un nourrisson Lionel Jospin, une Édith Cresson pas loin d’être jetée à la Seine parce qu’elle porte un manteau de fourrure et un jogging dans le bois de Vincennes.
Alain MINGAM / Gamma-Rapho via Getty Images
En 1974, René Dumont installe son quartier général de campagne sur une péniche sur la Seine. Celui-ci étant positionné au pied du pont de l’Alma, il héritera du surnom de « Zouave de l’Alma ».
L’occasion de revenir avec l’auteur sur quatre idées du candidat qui auraient toutes eu leur place dans la campagne européenne, 50 ans plus tard. Un programme ambitieux et novateur qui a fait dire aux amis de René Dumont : « pour la première fois, l’utopie entre dans l’Histoire de France “.
· La critique du voiture »
” La voiture pue, ça pollue et ça rend stupide. » Si, en 2024, on privilégie les transports en commun et ce qu’on appelle la « mobilité » doux » est récurrent chez les partisans de l’écologie, René Dumont se montre en 1974 « très innovant en tant que candidat s’adressant à un grand public », explique Arthur Nazaret. Fustigeant » les Français enfermés dans des épaves de voitures », le candidat vert préfère déjà le vélo. ” Il devient favori à chaque voyage une procession à vélo entre le lieu où il arrive dans une ville et le lieu où se tient son rendez-vous. », relate l’auteur. Résultat : des foules festives de cyclistes se forment pour l’accompagner dans un joyeux vacarme.
À ce sujet de l’automobile, René Dumont vient « rejoindre un combat qui lui préexistait », rappelle Arthur Nazaret. A l’heure où les premiers se battent pour ce que l’on résume ensuite comme « l’environnement » tournent autour de deux grands combats, le nucléaire et « voiture », s’approprie-t-il notamment le second. Mais sans calcul : car dès 1972, avant de savoir qu’il serait un jour candidat, le chercheur apparaît dans une manifestation, comme vous pouvez le voir ci-dessous (à partir de 36 secondes). Et exiger… des pistes cyclables à Paris et plus d’espace pour les transports en commun.
Parmi les autres propositions formulées par René Dumont et évoquées dans l’ouvrage Le prophète qui avait raison : interdire les voitures de plus de 4 ch, augmenter le prix de l’essence pour les déplacements loisirs, tripler le prix des péages le week-end, etc.
· Moins de viande dans l’alimentation des Français
” Pourquoi fabriquer des protéines (animales) avec des protéines (végétales) ? » Avant d’ouvrir la voie en politique, René Dumont était un agronome qui a parcouru le monde et constaté les ravages des famines. “ Il se considère comme un agronome de la faim, comme le titre d’un de ses livres : son objectif est de trouver comment nourrir le tiers-monde. Et à ce titre, pour lui, le mode de vie occidental est à éviter. », remplace Arthur Nazaret.
C’est pourquoi René Dumont invite les Français à manger » plus de céréales, plus de fruits, plus de légumes et moins de gras, moins de sucre, surtout moins de viande “. Un discours très actuel, qui semble aussi être l’un de ses ” contributions » le plus personnel de sa campagne. ” Quand il voit tout ce qu’il faut faire pour nourrir un bœuf, il se dit que le mode de vie des pays riches est du gaspillage. », souligne le journaliste.
Ascète, joueur de tennis, joggeur et comptant ses pas comme le fait aujourd’hui un smartphone, René Dumont donne l’exemple. ” Il quitte souvent les banquets lorsqu’il estime qu’il y a trop de nourriture et que le tiers monde est en train d’être pillé. », raconte le journaliste. Qui livre dans son ouvrage une anecdote savoureuse, où le candidat écologiste s’effraie d’avoir failli prendre” du ventre » à une époque de sa vie avant d’être heureux d’être parti travailler en Angleterre où la nourriture était épouvantable, ce qui lui évitait l’infamie de quelques kilos en trop.
· L’eau ” précieux » et menacé
” Il y a quinze ans, le commandant Cousteau considérait la mer comme le grenier du monde, un grenier qui devait nourrir l’humanité. Aujourd’hui, la mer n’est plus qu’un déchet. » Si des associations défendaient déjà les rivières au début des années 1970, René Dumont a fait exister lors de la campagne les questions de la rareté de la ressource et de la pollution des eaux.
Avec une image choc, qui apparaît sur la couverture du livre d’Arthur Nazaret et dans les archives télévisées : celle du candidat brandissant un verre d’eau et déclarant : « Savez-vous ce qui va se passer ? Eh bien, nous allons bientôt manquer d’eau. C’est pourquoi je bois un verre d’eau précieuse devant vous… »
Un thème qui revient encore et encore dans sa campagne. Sur la péniche qui lui sert de quartier général au cœur de Paris, il dénonce la Seine devenue une « vaste égout mobile “. Avec l’aide d’un militant écologiste, dans le Finistère, il s’exprime devant la rivière Laïta recouverte d’écume blanchâtre et puante sortie d’une usine. A Fos-sur-Mer, il interviewe des pêcheurs aux filets vides, privés de leurs prises. puisqu’un immense complexe industriel leur interdit de « faire des moules ou des crustacés » et qui déplorent ça maintenant » il n’y a plus de vie ” en Méditerranée.
· Une certaine dénonciation du patriarcat
” La candidature écologiste est la seule qui remet en cause les fondements de la société patriarcale. Son combat va donc dans le même sens que le nôtre. » Ces propos sont ceux de la Ligue des droits des femmes, lancée en mars 1974 et présidée par Simone de Beauvoir. D’autres figures du féminisme rejoindront René Dumont : Arthur Nazaret cite notamment « Christiane Rochefort, l’une des fondatrices du MLF, ou Françoise d’Eaubonne, qui a inventé le concept d’écoféminisme “.
Et pour cause : le premier candidat écologiste » se dit féministe, opposant au patriarcat, utilisant lui-même ce terme », dit l’auteur. Mais contrairement à d’autres combats dont il est le moteur, René Dumont est sans doute davantage animé par un élan plus large. ” C’est la deuxième vague du féminisme après les suffragettes : après les droits civiques, c’est le droit de contrôler son corps. Et c’est une lame de fond, du moins à gauche, dont c’est le biotope », remplace le journaliste.
Et si le féminisme n’est pas un thème sur lequel la candidate se lance naturellement dans un entretien, il existe néanmoins des propositions fortes pour l’époque, un an avant la loi Veil légalisant l’avortement. Considérant une fois de plus que le mode de vie capitaliste n’est pas viable et qu’il faut donc contrôler les naissances dans les pays riches, il veut faciliter l’accès aux formes de contraception et autoriser l’interruption volontaire de grossesse, avec une décision qui devrait être seule la responsabilité des femmes “. Et l’agronome accuse le ” société patriarcale “. C’était il y a cinquante ans.
« Le Prophète avait raison », un livre d’Arthur Nazaret qui retrace la campagne de René Dumont de 1974, sort ce vendredi 10 mai aux Éditions du Seuil.
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