Tags sur des kilomètres, eau souvent jusqu’aux genoux, dos courbĂ©s dans d’Ă©troites galeries, les catacombes illĂ©gales de Paris peuvent en glacer plus d’un.
Tant mieux pour les férus d’histoire, les amateurs d’aventure ou les fêtards, soucieux de préserver ce « havre de paix » de la foule excessive.
Ce samedi d’avril, un connaisseur des lieux a rencontrĂ© une Ă©quipe de l’AFP.
Interdiction de dĂ©crire l’entrĂ©e pour protĂ©ger l’exploration de quelque 285 kilomètres d’anciennes carrières souterraines, terrain de jeu des cataphiles, ces amoureux de ce qu’on appelle Ă tort les catacombes.
Ces carrières, oĂą il fait Ă©tĂ© comme hiver autour de 15 degrĂ©s, sont situĂ©es entre six et 27 mètres sous terre et l’ossuaire rassemblant les restes humains de plusieurs millions de Parisiens, les catacombes elles-mĂŞmes, n’en sont qu’une petite partie. .
Devenus musée, ils accueillent, sur un parcours de 1,5 km, environ 600 000 visiteurs par an.
Lorsque vous circulez dans ces tunnels, regardez toujours « vers le haut et devant vous » pour éviter de vous croiser, rappelle judicieusement le guide.
« Bonjour », dit un homme en passant rapidement, sur de la musique hip hop Ă plein volume. Il est le premier d’une trentaine de personnes qu’il a rencontrĂ©es en cinq heures d’errance ce jour-lĂ .
“Les cataphiles vous disent ‘non non, les carrières, on en parle pas’ mais ils emmènent tous leurs amis”, dĂ©plore notre guide, regrettant que la plupart des journalistes ne donnent qu’une vision festive de ces lieux.
“Le but de montrer les carrières, c’est d’essayer d’expliquer que c’est un site historique”, explique le cataphile, lampe sur le front, une de rechange autour du cou.
“Il existe mĂŞme des inscriptions officielles qui ont Ă©tĂ© apposĂ©es dans les carrières au XVIIIe siècle pour lesquelles nous n’avons pas encore d’explications”, selon ce vĂ©tĂ©ran des sous-sols qui a connu une pĂ©riode sans tags.
Il s’inquiète de ces traces historiques, couvertes de graffitis, « de plus en plus difficiles Ă observer ».
Depuis 1777, ces lieux sont surveillĂ©s et consolidĂ©s par l’Inspection gĂ©nĂ©rale des carrières, crĂ©Ă©e par le roi Louis XVI après une sĂ©rie d’effondrements d’anciennes carrières.
– “Catafliques” –
Tourner Ă gauche pour admirer un puits Ă l’eau turquoise, l’Ă©claireur disparaĂ®t. On le retrouve en train de discuter avec deux lycĂ©ens et un groupe Ă©quipĂ© de casques de vĂ©lo.
Nicolas (prénom modifié, il a souhaité rester anonyme), 18 ans, descend au moins une fois par semaine depuis un an et demi. Le lycéen de Versailles, comme notre guide, dénonce les tags et admire le « patrimoine ».
Il Ă©voque cette fois oĂą, seul, il est tombĂ© de plusieurs mètres, sans trop se blesser, son “seul stress”, dit-il, pour rappeler la dangerositĂ© des lieux.
Au loin, la musique se rapproche. Deux hommes joyeux, les pieds dans l’eau, passent avec leurs vapeurs d’alcool. « Ne vous inquiĂ©tez pas, ce ne sont pas les flics », crie l’un d’eux Ă un troisième restĂ© sur place.
En effet, il est interdit de circuler dans les carrières depuis un arrĂŞtĂ© prĂ©fectoral de 1955 et la police est Ă l’affĂ»t.
Le guide, dĂ©jĂ verbalisĂ©, s’arrĂŞte devant une plaque bleue en l’honneur de JC Saratte, le fonctionnaire qui a cofondĂ© la police des carrières en 1980.
En 2000, pour sa retraite, “les cataphiles ont organisĂ© une gigantesque fĂŞte, non pas pour dire ‘sympa, on se dĂ©barrasse de lui’, mais pour dire ‘merci pour ce moment'”, se souvient notre connaisseur.
“Nous faisions partie de leur microcosme, c’est pour cela qu’ils nous appelaient les ‘cataflics'”, explique Jean-Claude Saratte, contactĂ© par l’AFP.
Cet ancien spĂ©lĂ©ologue amateur garde « d’excellents souvenirs » de ces annĂ©es Ă patrouiller dans les carrières, « un havre de paix ».
Son Ă©quipe avait crĂ©Ă© une base de donnĂ©es de cataphiles (basĂ©e sur leur surnom, pratique habituelle chez les amateurs d’underground) utile en cas de disparition.
Parfois avec des « dĂ©tails amusants », raconte le septuagĂ©naire, comme le jour oĂą un homme « s’est couchĂ© chez sa maĂ®tresse », après avoir dit qu’il descendait aux carrières.
Le cataphile Ă©tait alors plutĂ´t un homme âgĂ© de 25 ans ou moins, souvent Ă©tudiant. « Il s’agit plutĂ´t d’un public parisien, plutĂ´t diplĂ´mĂ©, plutĂ´t d’une classe moyenne-supĂ©rieure », assure le sociologue Florian Dauphin, qui a enquĂŞtĂ© sur cette population discrète dans les annĂ©es 2010.
– “C’est bien” –
Sous le cimetière du Montparnasse, où les tags sont quasi inexistants, notre guide cherche un dessin en hommage à Jane Birkin.
Il retrouve le visage dessinĂ© sur la pierre, juste, selon lui, sous sa tombe, accompagnĂ© de ces mots : « Je suis venu te dire que je t’aimais ».
Sous les pavés, dirigez-vous vers La Plage, une pièce où le sol ressemble à du sable et le mur est peint de vagues.
Un premier groupe, composé de six Argentins dont quatre touristes, nom donné aux néophytes des carrières, arrive.
Dans la seconde, les guides sont deux femmes.
Il y a dix ans, lorsque CĂ©cile (ce n’est pas son vrai nom, elle a souhaitĂ© rester anonyme), la trentaine, ils Ă©taient peu nombreux. DĂ©sormais, « il y en a encore pas mal et ça fait plaisir ».
Au fur et Ă mesure qu’ils s’Ă©clipsent, comme le veut la tradition, les groupes se souhaitent un « bon voyage ».
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