L’ancien Premier ministre italien Enrico Letta doit présenter son rapport sur le marché intérieur aux Vingt-Sept, réunis à Bruxelles, jeudi 18 avril au matin. Pendant huit mois, il a parcouru l’Union européenne (UE), rencontrant tous les chefs d’État et de gouvernement européens ainsi que des représentants d’entreprises, de la société civile et d’intellectuels.
Le « marché intérieur » de Jacques Delors, à qui vous dédiez ce rapport, est-il à la hauteur des attentes ?
En Europe, une minorité d’entreprises et de citoyens – les plus cosmopolites, les plus instruits – bénéficient des avantages du marché intérieur, tandis qu’aux États-Unis ou en Chine, les acteurs économiques investissent l’intégralité de leur marché. Prenez nos PME : seules 17 % d’entre elles en bénéficient. Et il n’y a que 3 millions d’Européens qui travaillent, au sein de l’Union, dans un autre pays que le leur. Cette faiblesse a des répercussions sur la croissance et explique en partie le retard de l’UE par rapport aux États-Unis et à la Chine.
Les Européens n’investissent donc pas assez sur ce grand marché ?
Ils bénéficient très peu des effets d’échelle que leur offre le marché intérieur. Dans trois secteurs en particulier (énergie, télécoms et marchés financiers), le marché intérieur n’existe pas. Lorsque Jacques Delors l’a créé, il y a près de quarante ans, les Etats membres voulaient qu’ils en soient exclus. Aujourd’hui, nous manquons le train dans ces domaines en raison de la fragmentation du marché.
Ce est-à-dire ?
Je vais vous donner un exemple. Un opérateur télécom chinois compte aujourd’hui en moyenne 467 millions de clients, un américain en compte 107 millions et un européen…, 5 millions ! Il y a plus de 100 opérateurs télécoms en Europe, on a divisé le marché en vingt-sept, c’est une catastrophe industrielle.
Comment remédier à cet état de fait ?
Le marché intérieur est très XXe siècle. Au moment de sa conception, les grands pays européens étaient les grands pays du monde. Pour reprendre l’exemple des télécoms, dans les années 1980 et 1990, les Européens étaient à la pointe de l’innovation. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. C’est pourquoi, je pense, nous devons créer une cinquième liberté pour la recherche, l’innovation et les compétences, aux côtés des quatre libertés de circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes du marché intérieur.
De plus, les règles de concurrence dans ces secteurs stratégiques que sont les télécommunications, l’énergie et les marchés financiers doivent évoluer : l’antitrust européen ne doit plus statuer en fonction de l’état de la concurrence dans un seul pays de l’UE, mais à l’échelle continentale.
Il vous reste 67,63% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.