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À Calais, les naufrages ne dissuadent pas les migrants de tenter la traversée de la Manche

Le pire naufrage de l’année dans la Manche s’est produit début septembre, faisant 12 morts. Moins de deux semaines plus tard, huit hommes ont perdu la vie en mer dans des circonstances similaires. Les survivants tentent cependant leur chance pour rejoindre l’Angleterre sur des embarcations de fortune.

Un fin bouquet de fleurs fanées déposé sur le front de mer d’Ambleteuse (Pas-de-Calais) rappelle le drame qui s’est déroulé ici quelques jours plus tôt. Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 septembre, huit personnes ont perdu la vie non loin des côtes après le naufrage de leur bateau. Un drame survenu moins de deux semaines après le pire naufrage de l’année dans la Manche. Douze personnes, dont six mineurs, sont mortes le 3 septembre en tentant la traversée.

Cependant, le lendemain du naufrage de l’Ambleteuse, Lucky* tente de rejoindre le Royaume-Uni sur une embarcation de fortune. « Bien sûr, je pense aux naufragés, mais ce n’est pas nouveau pour moi : la mort fait partie de ma vie depuis tant d’années que j’y suis habituée », dit le Syrien de 28 ans. « Mon père est mort sous les bombes, ma sœur a été abattue. Mes amis sont morts aussi », il se déroule, le regard tourné vers le large, avec, à l’horizon, la côte britannique, vue plus comme la fin d’un calvaire que comme un Eldorado.

Installé au bord des quais de Calais, le jeune homme s’est isolé du reste du groupe venu recharger son téléphone portable grâce à l’installation mobile mise en place par l’association l’Auberge des migrants. Il dit avoir quitté la Syrie en 2015, puis vécu dans différents pays avant de s’installer en Allemagne. « Là-bas, j’ai vécu du racisme »Arrivé en France début septembre, Lucky n’a aucune envie de s’y attarder. En deux semaines, il a tenté cinq fois de traverser la Manche.

Sa dernière tentative, lundi, a une nouvelle fois échoué. « Il y avait environ 70 personnes à bord du bateau : des enfants et des femmes, dont les chaussures à talons hauts abîmaient la coque en plastique », se souvient-il. Le bateau surchargé s’est rapidement écrasé contre les rochers, sans faire de victimes. Les naufrages mortels survenus ces derniers jours ne l’ont pas dissuadé de retenter sa chance : “JEJe suis coincé. Que veux-tu que je fasse d’autre ? Déterminé à rejoindre l’Angleterre, Lucky envisage désormais de monter à bord d’un camion qui traversera le tunnel sous la Manche ou de monter à bord d’un ferry.

Pour comprendre cette détermination malgré le danger mortel, il faut mesurer le poids du traumatisme subi par ces exilés.. « L’Europe apparaît alors comme un havre de stabilité, où le bruit des bombes ne résonne pas »résume Yves-Pascal Renouard, adjoint au maire d’Ambleteuse.

« Ce sont des gens qui ont mis deux ans pour venir en France, qui ont connu la mort dans leur pays, la torture, et parfois le viol en chemin. »

Yves-Pascal Renouard, adjoint au maire d’Ambleteuse

à franceinfo

Assis dans sa mairie devant une table ovale “pas plus gros qu’un bateau de fortune”Stéphane Pinto, conseiller municipal et ancien pêcheur, est sous le choc. Il était sur le pont dès 1h50 du matin, dimanche 15 septembre, pour coordonner les différents services qui ont pris en charge les 53 migrants cette nuit-là. Trois jours après le drame, le chagrin du maire est aussi grand que ses cernes sont profonds. « Les gens qui cherchent à avoir une vie meilleure viennent finir leur journée sur ma plage, c’est quelque chose que j’avale à sec, c’est choquant »il affirme.

Mohammed, 16 ans, fait partie des rescapés de ce naufrage. Originaire du Koweït, il se trouvait dans la nuit de samedi à dimanche dans le navire de soutien – une « embarcation de petite taille » selon le nom des autorités – qui s’est échoué, tuant huit personnes. L’embarcation, partie de la Slack, le fleuve côtier près d’Ambleteuse, s’est déchirée sur la pointe rocheuse avant de se briser sous la pression, décrit-il, en mimant avec ses mains la trajectoire d’un bateau qui coule dans la nuit. « Il y avait des familles sur ce bateau. J’y pense tous les jours », “, souffle celui qui tentait alors sa première traversée. Ne sachant pas nager, l’adolescent est resté une heure, estime-t-il, dans les eaux glacées de la Manche, avant d’être secouru par des pêcheurs« Maintenant, je ne sais pas quoi faire », il continue.

« Au lendemain des naufrages, les rescapés tentent à nouveau leur chance, ils ne baissent pas les bras » confirme Mathilde Bequart, coordinatrice du « projet Info canal » mis en place par l’association l’Auberge des migrants, notamment pour permettre aux migrants d’accéder à du crédit téléphonique et de recharger leurs appareils électroniques. « Il y a de la tristesse chez eux après ces drames, mais ils n’ont plus le choix : pour la plupart, leur demande d’asile a été refusée », elle explique.

Consciente de l’inexorabilité des départs, Mathilde Bequart prodigue des conseils sur « réduction des risques en mer » :quel numéro appeler en cas d’urgence, comment partager sa position même lorsqu’il n’y a pas de réseau, mais aussi s’assurer que le bateau dispose d’un moteur et vérifier les conditions météorologiques. « A chaque séance de sensibilisation, il y a foule. Les candidats à la traversée sont inquiets et veulent des informations »elle souligne.

« Les gens conçoivent la possibilité de mourir, c’est une réalité pour eux. »

Nikolai Posner, membre de l’association humanitaire Utopia 56

à franceinfo

Selon une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) publiée en 2022, une personne sans titre de séjour sur six souffre de trouble de stress post-traumatique en France. « Pour les personnes sans titre de séjour, la migration peut avoir donné lieu à des expériences traumatisantes sur le parcours migratoire ou dans le pays d’accueil, qui peuvent s’ajouter à des traumatismes plus anciens survenus dans le pays d’origine »décrire les chercheurs.

Bavard et sociable avec ses compagnons d’infortune, “Lucas”, le prénom qu’il porte Choisi lors de son séjour au Danemark, il élude soigneusement toute question sur son rapport à la mort. Parti du Koweït en 2009, le trentenaire est passé par l’Irak, la Turquie, la Grèce, la Suède, puis le Danemark où il est resté trois ans, avant d’arriver en France avec l’espoir de rejoindre son grand frère en Angleterre. « Je ne supporte plus d’être seule, j’ai besoin de retrouver ma famille »il confie. Sa décision est prise, il va tenter sa chance “dans les prochains jours.” Avec, au fond, l’espoir que la traversée se terminera sous de meilleurs auspices. A quelques mètres de lui, ses amis dansent la dabke syrienne. Un sursaut de vie au milieu d’une mer de tristesse.

*Le prénom a été modifié et choisi par la personne concernée.

Anna

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