À Spin Boldak, le recyclage de l’or en suspens

Des ouvriers extraient de l’or d’appareils électroniques usagés dans un atelier à Spin Boldak, dans la province de Kandahar, le 25 août 2024 en Afghanistan (Wakil KOHSAR)

Assis par terre dans la chaleur étouffante d’un atelier délabré de Spin Boldak, à la frontière avec le Pakistan, les Afghans recyclent l’or des déchets électroniques des pays riches, une activité rentable mais vouée à l’échec.

Sans gants ni masques de protection, armés de pinces ou à mains nues, ces hommes, assis en tailleur dans leur tenue traditionnelle, le shalwar kameez, démontent de vieux téléviseurs, ordinateurs ou téléphones portables arrivant par camions entiers du Japon, de Hong Kong ou de Dubaï.

Mais de plus en plus, ces appareils n’ont plus d’or à offrir car l’électronique utilise moins, voire pas du tout, ce métal précieux en raison de son coût.

C’est une tâche laborieuse dans l’un des pays les moins « numériques » du monde : seulement 18,4 % des Afghans avaient accès à Internet début 2024.

“En un mois, on récupère 150 grammes d’or”, explique à l’AFP Sayed Wali Agha, un quinquagénaire propriétaire d’un atelier dans cette ville frontalière grouillante de commerces en tout genre et de circulation, où tricycles, minibus et poids lourds branlants se disputent les routes poussiéreuses.

« Nous vendons chaque gramme 5 600 afghanis », soit 72 euros, précise-t-il.

– “Un travail très fatiguant” –

Ce commerce a pu reprendre avec le retour des talibans au pouvoir en 2021, car l’utilisation de l’acide, qui permet de séparer l’or des autres métaux, « était interdite par le gouvernement précédent », rappelle-t-il. La hausse des prix de l’or a également été un incitatif.

Mais extraire ce métal précieux – bon conducteur thermique et électrique – des composants électroniques « prend beaucoup de temps car nous n’avons pas beaucoup d’équipements », poursuit M. Wali Agha.

“C’est un travail très fatiguant”, sans parler des vapeurs acides, explique le patron, dont l’un des 20 salariés dit gagner 150 euros par mois, un revenu généralement considéré comme décent dans le pays.

Après avoir extrait l’or, les ouvriers jettent de vieux circuits imprimés d’ordinateurs qui forment une petite montagne, tandis que d’autres tas s’entassent avec des restes de boîtiers de téléphones portables ou de GPS – les autres métaux seront revendus à d’autres recycleurs.

Au bout de la chaîne, un ouvrier a accumulé des microgrammes d’or dans une bassine en étain, et un autre le traite avec de l’acide.

A l’extérieur de l’atelier, une fumée jaune hautement toxique s’élève dans le ciel azur : l’or est libéré de ses impuretés.

Dans les pays riches, toutes ces opérations sont réalisées avec une technologie de pointe, rapidement, sans effort et en toute sécurité.

Dans l’atelier voisin, Rahmatullah emploie également une vingtaine d’hommes, dans des conditions de travail tout aussi difficiles.

“Il faut (démonter) 10 téléviseurs pour trouver un gramme d’or”, explique le patron de 28 ans. Comme son concurrent, il estime que recycler l’or “est une bonne affaire”.

Mais, ajoute-t-il, « cette profession n’a pas d’avenir ».

L’or de Spin Boldak arrive à une centaine de kilomètres de là, dans les ateliers des bijoutiers du centre de Kandahar, la capitale provinciale. Et notamment celui de Mohammad Yaseen.

“C’est de l’or de très bonne qualité, 24 carats”, explique le joaillier de 34 ans, tout en faisant fondre le métal précieux dans des coupelles en terre cuite au chalumeau sur un brasero antédiluvien.

– Noces d’or –

Mais le marché reçoit “de moins en moins d’or de Spin Boldak”, seulement “30 à 40 grammes par semaine”, précise le joaillier qui fond chaque jour 1 ou 1,2 kilo de métal jaune grâce à d’autres fournisseurs ou à l’achat de bijoux anciens.

« L’électronique japonaise contient de l’or, ce qui n’est pas le cas de l’électronique chinoise », explique-t-il. « La part de l’électronique japonaise diminue de jour en jour, alors que celle de l’électronique chinoise augmente. »

Ainsi, le recyclage de Spin Boldak, qui « souffre déjà », « va s’arrêter », prédit-il également.

Dans l’un des pays les plus pauvres du monde, le commerce du métal précieux est en plein essor, stimulé par des célébrations telles que les mariages, pour lesquels même les Afghans les plus pauvres s’endettent souvent pendant des années.

« Plus nous organisons de mariages, plus notre entreprise se porte bien », explique Mohammad Reza, un bijoutier de 36 ans, qui fabrique un diadème en or rose pour une fête de fiançailles derrière un minuscule établi dans son atelier.

Pour le vice-président du syndicat des bijoutiers de Kandahar, Ahmed Shekeb Mushfiqi, « la tradition en Afghanistan est de posséder de l’or ».

Dans sa boutique située près du vieux bazar de Kandahar, « nous avons deux types de clients », explique cet homme de 38 ans, « les citadins qui apprécient les modèles élaborés, et ceux de la campagne qui aiment les modèles plus simples ».

« Si nécessaire, ils peuvent revendre leur or. »

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Anna

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