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Alberto Fujimori, ancien président du Pérou, est décédé

L’ancien président péruvien Alberto Fujimori est décédé mercredi 11 septembre, à l’âge de 86 ans, à Lima, au Pérou. « Après une longue bataille contre le cancer, notre père, Alberto Fujimori, vient de partir à la rencontre du Seigneur. Nous demandons à ceux qui l’ont aimé de nous accompagner d’une prière pour le repos éternel de son âme. Merci pour tout, Papa ! »a écrit ses enfants Keiko, Hiro, Sachie et Kenji Fujimori sur le réseau social X.

L’ancien autocrate, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant dix ans, avait été libéré de prison neuf mois plus tôt, libéré par une décision de la Cour constitutionnelle en décembre 2023, alors qu’il purgeait une peine de vingt-cinq ans de prison pour des crimes de violations des droits de l’homme et de corruption, survenus sous sa présidence entre 1990 et 2000.

Alberto Fujimori est sans doute l’une des figures les plus controversées de l’histoire du Pérou. Détesté par certains, idolâtré par d’autres, le sort d’Alberto Fujimori n’a cessé de déchaîner les passions dans un pays divisé quand il s’agit de l’ancien président.

Né le 28 juillet 1938 à Lima, ce fils d’immigrés japonais était pourtant totalement inconnu lorsqu’il se présenta à l’élection présidentielle de 1990. Ancien recteur de l’université agraire de La Molina, il n’avait aucune expérience politique et, face à la campagne millionnaire de l’écrivain Mario Vargas Llosa soutenue par les forces de droite, sa candidature semblait vouée à l’échec. Pourtant, l’ingénieur agronome créa la surprise en atteignant le second tour de l’élection en avril 1990. Sa campagne menée dans les quartiers les plus pauvres, comme sa figure d’outsider opposé aux politiciens traditionnels, séduisit.

Le Pérou traverse alors une crise économique. L’inflation atteint 7 500 % tandis que le conflit armé lancé en 1980 entre les forces de sécurité et les guérillas d’extrême gauche du Sentier lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru s’approfondit sans trouver de solution. Dans ce contexte, la candidature du désormais populaire « Chino » (« Chinois » en référence à ses origines asiatiques) provoque une vague d’espoir chez les Péruviens qui, contre toute attente, l’élisent à la tête du pays avec le soutien des partis de gauche.

« Le choc du Fuji »

Deux semaines après son investiture, Alberto Fujimori prend pourtant ses électeurs de court en annonçant la mise en place d’une politique économique de choc pour sortir le pays de la crise. Inattendue, la mesure est encore plus drastique que l’austérité prônée par ses adversaires pendant la campagne et qu’il avait vivement critiquée. Le « choc Fuji » est le premier virage à 180 degrés observé par le nouveau président. Autre décision contestée : la fermeture forcée du Congrès le 5 avril 1992, qualifiée d’« auto-coup d’État ». La mesure est populaire mais va à l’encontre de tout fonctionnement démocratique. L’opposition crie à la dictature, sans succès. Dans la foulée, Fujimori convoque une assemblée constituante pour rédiger une nouvelle loi fondamentale, approuvée par référendum. Une Constitution qui donne à l’État un rôle subsidiaire par rapport à l’activité privée.

Réélu en 1995, Fujimori bénéficie d’un large soutien, notamment dans les quartiers les plus défavorisés, qui lui en sont reconnaissants : de nombreuses écoles et routes ont été construites durant son mandat dans les quartiers défavorisés. Grisé par le pouvoir qu’il incarne, M. Fujimori brigue une troisième élection en 2000 malgré l’interdiction constitutionnelle, et l’emporte sous des accusations de fraude. Tout s’effondre alors autour du président péruvien. Son bras droit et grand allié depuis le début des années 1990, Vladimir Montesinos, est impliqué dans de nombreux scandales de corruption, pour lesquels il est condamné à vingt-cinq ans de prison quelques années plus tard.

Alberto Fujimori, lui aussi mis en cause, a profité d’un voyage à Brunei en septembre 2000 pour fuir au Japon, dont il avait la nationalité. Alors que des manifestations contre lui faisaient rage au Pérou, il a démissionné de la présidence le 19 novembre 2000, envoyant un fax depuis Tokyo, où il s’est installé.

Impunité totale au Japon

Une nouvelle vie commence donc pour l’ancien président, qui jouit d’une totale impunité sur le sol japonais. Invoquant sa nationalité japonaise, le Japon refuse de l’extrader malgré des accusations de corruption, de détournement de fonds et de crimes contre l’humanité formulées au Pérou. Pourquoi a-t-il décidé de quitter son exil japonais en 2005 pour se rendre à Santiago du Chili ? Personne ne le sait vraiment.

L’ancien président pensait-il se présenter à l’élection présidentielle péruvienne de 2006, prévue quelques mois plus tard ? Une chose est sûre : son arrivée à Santiago, le 6 novembre 2005, a pris tout le monde de court et a créé un véritable séisme politique dans la région. S’en est suivie une longue bataille juridique pour l’ancien président.

Arrêté par les autorités chiliennes à son arrivée à Santiago, Alberto Fujimori est placé en détention. Le Pérou dépose une demande d’extradition que le Chili finit par accepter en 2007. Immédiatement transféré à Lima dans un centre de détention spécialement conçu à cet effet, l’ancien président fait alors face à un méga-procès réunissant toutes les accusations portées contre lui. Le 7 avril 2009, Alberto Fujimori, qui plaide son innocence, est finalement condamné à vingt-cinq ans de prison pour corruption et violations des droits de l’homme.

Le tribunal a jugé Fujimori responsable des massacres de Barrios Altos et de La Cantuta, perpétrés en 1991 et 1992 par le « Groupe Colina », un commando secret composé de militaires qui a perpétré de nombreux assassinats dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les tueries ont fait 25 morts, hommes, femmes et enfants. Au terme d’un procès jugé exemplaire, le tribunal a déterminé que l’ancien chef d’État était non seulement au courant de l’existence du groupe Colina mais qu’il dirigeait ses opérations.

Le verdict est salué par les ONG : c’est la première fois qu’un chef d’Etat est condamné par la justice de son pays pour des violations des droits de l’homme. Les opposants à M. Fujimori saluent également la condamnation d’un dictateur qu’ils accusent d’avoir détruit le système de représentation du Pérou et d’avoir généralisé la corruption aux plus hautes sphères de l’Etat.

La sentence est toutefois loin d’être unanime. Au Pérou, une partie de la population attribue la fin du terrorisme dans les années 1990 à Alberto Fujimori. C’est sous son gouvernement que le leader du Sentier lumineux, Abimael Guzman, fut arrêté en 1992, une détention qui marqua le début de la fin de la guérilla d’extrême gauche.

Sa fille, son héritière politique

De nombreux Péruviens estiment également qu’en menant une politique économique libérale fondée sur une vague de privatisations massives, Alberto Fujimori a non seulement restauré un pays en ruine à la fin des années 1980, mais a aussi été à l’origine de la croissance économique qu’a connue le pays jusqu’à la fin des années 2010. Des arguments que sa fille et héritière politique Keiko a repris lors de sa campagne présidentielle en 2011 et 2016. Deux élections qu’elle a perdues de justesse, mais qui ont montré la force du fujimorisme, un mouvement principalement basé sur le culte de l’ancien président.

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Affaibli par des affaires de corruption et accusé d’être gangrené par une organisation criminelle, le mouvement a toutefois pâti de la détention provisoire, en octobre 2018, de Keiko Fujimori, dans l’affaire Odebrecht, du nom de cette entreprise brésilienne de BTP accusée d’avoir versé des pots-de-vin dans toute l’Amérique latine. En janvier 2020, Fuerza Popular, son parti, n’a conservé que 15 des 73 sièges qu’il détenait depuis 2016.

Une semaine avant l’arrestation de Keiko Fujimori en octobre 2018, son père Alberto était lui aussi retourné en détention. Car Alberto Fujimori a passé les dernières années de sa vie à tenter de sortir de prison et à dénoncer ses conditions d’incarcération. Insistant sur l’état de santé fragile de l’ancien chef d’État, ses enfants avaient formulé une demande de grâce humanitaire en octobre 2012, qui avait été refusée huit mois plus tard par le président Ollanta Humala (2011-2016). Un rejet motivé notamment par le manque de repentir d’Alberto Fujimori envers les victimes du groupe Colina.

En décembre 2017, le successeur de M. Humala, Pedro Pablo Kuczynski (« PPK »), a accordé à l’ancien autocrate une grâce pour raisons médicales après 12 ans de prison. PPK s’était engagé lors de sa campagne présidentielle de 2016 à ne pas libérer M. Fujimori. « Ceux d’entre nous qui se considèrent comme des démocrates ne peuvent pas permettre qu’Alberto Fujimori meure en prison. La justice n’est pas la vengeance. »a justifié le président, évoquant ses problèmes artériels et cardiaques.

La décision controversée a suscité de nombreuses critiques à l’étranger et divisé l’opinion péruvienne, la moitié d’entre eux critiquant la grâce – l’exprimant à plusieurs reprises par des manifestations et accusant Kuczynski de l’avoir négociée en échange de son maintien au pouvoir avec le soutien du mouvement politique fondé par Fujimori – tandis que l’autre moitié estimait que l’ancien autocrate avait déjà payé sa dette et qu’il était temps de tourner la page des « années de plomb ».

« Responsable suprême et principal » des stérilisations forcées

En octobre 2018, la Cour suprême de justice a annulé cette grâce, jugeant recevable une demande des victimes des massacres de Barrios Altos et de La Cantuta et réfutant le caractère terminal de la maladie d’Alberto Fujimori. « La fin de ma vie est proche » “Je suis désolé, mais je ne suis pas sûr que vous allez bien”, a tweeté l’homme alors âgé de 80 ans lorsqu’il a annoncé son retour en prison le 23 janvier 2019, après avoir passé une centaine de jours à la clinique Centenario de Lima, suite à un malaise juste après l’annonce de la révocation de sa grâce.

En avril 2022, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) avait bloqué une nouvelle tentative de libération anticipée de l’ancien président, décidée par la Cour constitutionnelle trois semaines plus tôt, mais cette dernière avait finalement outrepassé l’avis de la CIDH en ordonnant sa libération en décembre 2023, pour raisons de santé.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Au Pérou, l’enquête sur les stérilisations forcées s’ouvre au pénal et les difficultés s’accumulent déjà

À la fin de sa vie, Alberto Fujimori était toujours poursuivi pour la torture et le meurtre de six villageois de Pativilca, au nord de Lima, par un escadron de la mort en 1992. Il avait également été impliqué dans le scandale des centaines de milliers de stérilisations forcées effectuées dans le cadre d’un plan de réduction du taux de natalité à la fin des années 1990. Après plus de vingt ans d’attente, l’affaire est arrivée en mars 2022 devant la justice pénale, qui a ouvert une enquête, dans laquelle M. Fujimori a été désigné comme le responsable. « responsable suprême et principal » de cette politique. Mais l’enquête a été annulée par la Cour suprême le 30 novembre 2023, renvoyant l’affaire à son point de départ.

Alberto Fujimori en quelques dates

28 juillet 1938 Né à Lima

1990 Président élu

1992 Dissout le parlement et suspend les garanties constitutionnelles

2000 Il démissionne de la présidence et s’enfuit au Japon

2007 Extradé vers le Pérou

2009 Condamné à vingt-cinq ans de prison pour corruption et violations des droits de l’homme

2023 Libéré par décision controversée de la Cour constitutionnelle

11 septembre 2024 Décès d’un cancer à 86 ans à Lima

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Anna

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