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Anne Vogt-Bordure signe la première biographie de la couturière Jenny Sacerdote

Jenny Sacerdote, son vrai nom, Jeanne Adèle Bernard (1868-1962), est une jeune couturière périgourdine venue à Paris pour lancer sa carrière. Formée auprès de Jeanne Paquin, elle fonde en 1911 la maison de haute couture Jenny, rue Royale.

Figure majeure de l’entre-deux-guerres, pionnière dans de nombreux domaines, combative et féministe avant l’heure, elle révolutionne la mode par son approche artistique, mais aussi technique et colorimétrique. Elle était dansconnue internationalement pour l’élégance et la simplicité de ses créations dans les années 1930. Deuxième femme en France à être nommée chevalier de la Légion d’honneur, elle mais n’a laissé que peu de trace dans le monde de la mode française.

Anne Vogt-Bordure, lui consacre une biographie, Une idée de Jenny aux éditions Récits, et a également lancé La Suite Jenny Sacerdote, marque membre de la Fédération française de couture sur mesure. Rencontre et découverte.

Quand avez-vous découvert Jenny Sacerdote, qui de 1909 à 1948 fut à la tête de l’une des maisons de haute couture les plus en vue de son époque ?
Anne Vogt-Bordure : Le tout premier souvenir que j’en ai, c’était lors d’une promenade à Périgueux, en Dordogne. Il y avait une pancarte avec son nom devant un lieu abritant une exposition consacrée aux femmes. Je me demandais qui était cette personne et je voulais en savoir plus. Au début, j’ai acheté des livres sur la mode et j’ai trouvé peu de choses qui en faisaient mention, ce qui a piqué mon intérêt. L’un des tout premiers témoignages que j’ai trouvé alors, c’est celui d’un historien dans un article publié sur le site culture Franceinfo.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la femme qui habillait Arletty, mais aussi la sœur et la mère de Fred Astaire, Mary Pickford ou encore la comtesse Greffulhe, la reine d’Egypte Om Habibeh et l’impératrice du Japon ?
J’ai fait une école de commerce en gestion financière et, en parallèle, m’intéressant à l’art, j’ai fait un master sur les artisans du meuble anglais du XVIIIe siècle. J’ai poursuivi par un DEA pour lequel j’ai travaillé sur les femmes artistes à travers l’histoire d’Helen Frankenthaler, une expressionniste abstraite américaine, moins connue que Mark Rothko ou Jackson Pollock. Puis, à l’École des hautes études en sciences sociales, j’ai poursuivi mes recherches sur les trajectoires des femmes artistes : c’est certainement pourquoi, des années plus tard, Jenny Sacerdote m’a intéressée.

Cela m’est resté en tête jusqu’au jour où j’ai décidé de revenir à la source de cette histoire. Je lisais des magazines de la période 1904 à 1960 qui pouvaient parler de mode, d’actualité, de théâtre, d’art… J’en avais retracé les grandes lignes et, au temps du Covid, face à toutes ces archives, j’ai eu l’idée de reconstituer plus en détail son histoire en lui consacrant un livre.

Vous avez mené une enquête de cinq ans, recueilli plus de 500 articles de presse, documents administratifs, témoignages familiaux, procès-verbaux.
Oui, j’étais chaque semaine à la Bibliothèque nationale de France puis aux Archives de Paris. J’ai découvert tous les dessins et modèles qui avaient été déposés aux prud’hommes, car à l’époque ils n’étaient pas déposés à l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) et j’ai pu avoir accès à tous ses coffrets, dont certains sont encore scellé. J’ai ainsi retrouvé son premier acte de mariage avec Lucien Moreau qui explique tout ce qu’elle a apporté au foyer, puis son procès de divorce qui a duré cinq ans. C’est incroyable, dans une lettre, elle lui explique qu’elle ne peut pas vivre avec un goujat et, malgré la police, cela se passera comme elle le souhaite ! J’ai aussi retrouvé une autre lettre intitulée “Vive la France”, écrite à sa nièce, à la fin de la guerre, où elle l’encourage à reprendre goût à la vie.

Était-elle proche des artistes et se considérait-elle comme une artiste ?
Elle voulait devenir enseignante, mais son destin a changé suite à son premier mariage. Je pense qu’elle avait une vraie sensibilité pour l’art et la littérature : elle côtoyait beaucoup de metteurs en scène et d’auteurs de pièces de théâtre. Elle était ainsi proche de Georges Courteline, qui la considérait comme une artiste, et dans son entourage, il y avait aussi Lucien Guitry. Peut-être était-elle une personnalité inspirante de son époque puisqu’elle a été peinte par Gervex, Domergue, Van Dongen.

Était-elle une femme de caractère, une battante ?
C’était une personne dynamique qui voulait se venger de la vie, étant née d’un père inconnu. J’imagine qu’elle avait une force de caractère, une soif d’apprendre et une grande curiosité. Elle fut alors mariée à Achille Sacerdote qui lui conseilla certes de trouver le bon notaire, les bons avocats pour rédiger les statuts de sa société, de s’entourer des bons banquiers, mais c’est elle l’entrepreneur qui faisait les prêts.

Femme de caractère, pendant la Première Guerre mondiale, elle n’a pas licencié un seul de ses ouvriers, imaginant des possibilités pour faire fonctionner sa maison et continuer à vendre et à produire dans des pays qui n’étaient pas en guerre. En 1923, elle a levé des fonds alors que, encore aujourd’hui, les femmes entrepreneures ont du mal à lever des fonds. Elle possédait deux bâtiments où se trouvaient plus de 1 000 ouvriers.

Est-elle à l’origine des coupes et des méthodes encore utilisées aujourd’hui ?
Oui. Elle adopte par exemple très vite l’asymétrie, elle sort la robe tunique, la même année que Patou. Elle a inventé une robe manteau tout-en-un et la robe tablier qui s’ouvre sur le devant. Pendant la Première Guerre, elle confectionne des robes à partir de rubans, faute de matière, puis elle se met à confectionner des robes entières à partir de bandes. Par la suite, elle a conservé ces effets de bandes qu’elle a détournés pour des ornements sur les manches, sur le bas de la robe.

Dès la Première Guerre mondiale, elle utilise des franges (ne faisant pas l’ourlet) et conserve ce côté effiloché des finitions sur le bas de la jupe, sur les manches des vestes. C’était très contemporain. En 1923, pour réduire les coûts et pour que le plus de femmes possible aient accès à ces créations, elle remplace les perles du bas des jupes par des plis bijoux.

Son œuvre a été oubliée par l’histoire alors que certaines de ses créations se trouvent dans des musées du monde entier ?
Il y a eut, il y a quelques années, une très belle exposition aux Arts Déco consacrée à la Comtesse Greffulhe où était présentée une de ses robes : toute rose, elle était somptueuse, brodée sur le devant et dotée d’une longue traîne.

Vous n’avez pas seulement écrit sa biographie, vous avez relancé sa marque en 2018.
Ma mère était couturière et mon arrière-grand-mère avait sa petite entreprise de couture, donc depuis toute petite, je fais des choses, mais à un niveau ultra basique. J’ai créé une entreprise en sourcing d’artisans français pour travailler en circuit court à Paris. Je laisse faire le travail à de vrais professionnels, mais l’ordinateur reste à la portée de mes capacités : je me suis formé au modélisme avec un système ultra contemporain de Lectra pour redessiner des modèles et réaliser des patrons 2D. Mes tissus proviennent de stocks dormants de maisons de couture.

Jenny a collaboré à un magazine, Les mécènes de la Grande Couture : ainsi, j’ai retrouvé ses patrons. Et à partir de photos, grâce à des dessins enregistrés dans les Archives de Paris, nous disposons de descriptions et en réunissant tout cela, nous pouvons recréer des pièces le plus fidèlement possible. J’ai réalisé entre autres un manteau de 1924, une robe tablier de 1928 et la robe asymétrique Grand Prix de l’Elégance composée de plusieurs empiècements et datant de 1928.

N’est-ce pas compliqué de réaliser des modèles qui ont plus d’un siècle ?
C’est tout l’intérêt d’utiliser les matières d’aujourd’hui : j’ai par exemple réalisé la célèbre robe Grand Prix de l’Élégance en lin et coton biologique. Et on ne se rend pas compte qu’il s’agit d’une robe conçue dans les années 30 ! C’étaient les années Art Déco et tout est ultra géométrique, mais en retravaillant le velours, la laine, le coton, le denim, le lin, cela propulse le modèle dans une époque contemporaine.

J’ai vendu mes modèles à des amis, à des personal shoppers, à des créateurs d’images ainsi qu’au concept store Sauvage Poetry de Burton de Londres. J’ai une boutique en ligne où je vends des accessoires comme des foulards et des costumes, que Jenny a développés à partir de 1922.

Ces deux dernières années, j’ai mis la marque en pause, car j’avais à cœur de finaliser ce travail, mais j’ai quand même lancé des prototypes pour des événements organisés par la Fédération Française de la Couture Sur Mesure comme l’exposition Coiffant à l’hôtel Sofitel Paris Le Faubourg (15 rue Boissy d’Anglas, à Paris). Jusqu’en juillet, elle présente une série de robes et pièces plissées confectionnées par les membres de la Fédération française de couture sur mesure, dont bien sûr un modèle de Jenny.

Projets ?
C’est une aventure passionnante, mais j’ai besoin de plus de temps et d’une équipe. J’espère que le livre suscitera l’intérêt des musées pour montrer davantage d’œuvres de Jenny. Je vais continuer évidemment à faire revivre ce patrimoine à travers des expositions, des événements et pourquoi pas sortir un catalogue et ouvrir un tiers-lieu ! Déjà, au début, La Suite Jenny Sacerdote sera présente de juin à septembre 2024 dans la boutique Another Fashion is Possible, au 21 rue de Turenne, à Paris.

Juliette

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