au Bachkortostan, « peur de l’inconnu » après une répression massive

Il y a plus de trois mois, des manifestations d’une ampleur rarissime ont secoué la république russe du Bachkortostan. Une répression brutale s’ensuit, brièvement évoquée à Moscou et à l’étranger.

Idel Alsynov, dont le frère était au cœur des événements, vit depuis dans « la peur de l’inconnu ». « Vous essayez de regarder vers l’avenir et vous ne comprenez rien », a-t-il déclaré à l’AFP fin avril, via une messagerie cryptée.

Bien que motivées par des questions environnementales, les manifestations survenues à la mi-janvier semblent avoir fait craindre au pouvoir une contestation plus large à l’approche de l’élection présidentielle russe, dans une région qui a largement contribué sur le front ukrainien.

S’il avait dénoncé la mort en Ukraine de nombreux soldats bachkirs, le frère aîné d’Idel, Faïl ​​Alsynov, 37 ans, était d’abord connu pour défendre les espaces naturels et la culture du Bachkortostan.

Ce territoire à population majoritairement turque (Bachkir et Tatar), situé à 1 300 km à l’est de Moscou, au pied des montagnes de l’Oural, est réputé pour sa nature sauvage et les richesses de son sous-sol qui suscitent les convoitises.

Le 17 janvier 2024, après avoir été qualifié d’« extrémiste » par les autorités, Faïl ​​Alsynov est condamné à quatre ans de prison pour « incitation à la haine ethnique », sur la base d’un discours contre l’exploitation des mines d’or. de l’or dans le district de Baimak, à sept heures de route d’Oufa, la capitale régionale.

Alors que les manifestations de l’opposition devenaient exceptionnelles en Russie, des milliers de personnes sont venues le soutenir lors de son procès. Lorsque le verdict a été annoncé, ils ont été réprimés à coups de matraque et de gaz lacrymogènes.

Le Kremlin a assuré qu’il s’agissait de protestations « individuelles », « et non d’émeutes ou de manifestations de masse ».

Dans la foulée, quelque 80 personnes arrêtées ont été poursuivies pour « troubles de masse », un délit passible de lourdes peines. Deux d’entre eux sont morts en détention dans des conditions peu claires et un autre a eu une vertèbre fracturée, ont déclaré leurs familles aux médias locaux.

– Accusations de séparatisme –

Lorsqu’une équipe de l’AFP a interrogé Idel Alsynov en personne fin janvier à Oufa, dans une atmosphère oppressante, il avait déjà peur.

Près de la grande statue de Salavat Yulaev, héros national bachkir et résistant contre l’empire tsariste, Idel s’était arrêté pour appeler un proche d’une personne qui venait d’être arrêtée.

Après l’interview, l’auteur de ces lignes a été harcelé, filmé, menacé et suivi jusqu’à sa chambre d’hôtel par deux inconnus, un modus operandi déjà utilisé contre d’autres journalistes occidentaux. Il a dû interrompre ses reportages au Bachkortostan.

Malgré les risques, Idel Alsynov, 30 ans, a voulu défendre son frère.

« En véritable fils du peuple bachkir, Faïl ​​​​a toujours été préoccupé par son peuple, sa langue, son histoire… » a expliqué cet homme élancé, les yeux voilés de larmes.

Humilié par les manifestants, le leader de la région, Radi Khabirov, a affirmé n’avoir puni que les « extrémistes » et les « séparatistes ».

Mais « Faïl n’a jamais pensé que les Bachkirs étaient meilleurs et supérieurs aux autres groupes ethniques, il s’est battu pour le bien de notre république au sein de notre grande Russie », soulignait Idel Alsynov en janvier.

Ancien allié de Faïl ​​Alsynov, Rouslan Gabassov, accusé en Russie de « terrorisme, désigné « agent étranger » et exilé, milite certainement pour l’indépendance du Bachkortostan.

Mais cette demande est très minoritaire, selon un militant bachkir qui a requis l’anonymat.

« Nous ne voulons pas nous séparer de la Russie. Ce Gabassov sème la zizanie depuis l’étranger », a-t-elle déclaré à l’AFP via une messagerie cryptée. Son mari, également militant écologiste, a été arrêté fin janvier et risque huit ans de prison.

– L’intervention de Poutine –

En effet, plusieurs partisans de Faïl ​​Alsynov déclarent ne pas être opposés à Vladimir Poutine. Perpétuant le mythe du « bon tsar » capable de stopper les excès de ses subordonnés, certains lui demandent même d’intercéder en leur faveur. À l’été 2020, c’est ce qu’a fait le président russe.

A l’époque, Faïl ​​Alsynov co-dirige un mouvement pour préserver le mont Kouchtaou, emblématique du Bachkortostan, dont les autorités veulent exploiter le calcaire.

Après l’intervention de M. Poutine, les travaux ont cessé sur cette majestueuse colline, vestige de récifs coralliens formés il y a 250 millions d’années.

Les défenseurs de l’environnement semblaient alors parmi les rares militants encore susceptibles de s’imposer face aux autorités locales en Russie, à condition de ne pas s’en prendre au Kremlin.

Le leader bachkir Radi Khabirov, selon ses détracteurs, voulait se venger de cet affront.

Les persécutions contre les partisans de Fail Alsynov se sont intensifiées. Et M. Khabirov a réclamé publiquement que des poursuites aient abouti à la condamnation de M. Alsynov, confirmée en appel mi-avril.

Quant aux propos tenus par Faïl ​​Alsynov contre l’offensive en Ukraine, s’ils ne semblent pas avoir été la principale raison de ses ennuis, ils n’ont pu qu’aggraver son cas.

Comme dans de nombreux territoires défavorisés, de nombreux hommes du Bachkortostan sont partis se battre.

Selon un décompte non exhaustif mis à jour fin avril par la BBC et le site Mediazona, déclaré « agent étranger », au moins 1.856 soldats de la région sont morts en Ukraine, ce qui en fait l’une des régions les plus sinistrées du pays. .

À l’automne 2022, Faïl ​​Alsynov avait critiqué cette tuerie. Cela lui a valu une amende pour « incitation à la haine ». Il a notamment déclaré que le conflit entre Moscou et Kiev n’était « pas la guerre » du peuple bachkir.

rco/bur/mr