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« Au Maroc, la réforme du Code de la famille et celle du Code pénal doivent aller de pair »


La réforme du Code de la famille franchit une étape importante avec l’achèvement de la mission de l’Autorité chargée de la révision de la Moudawana, le Code de la famille au Maroc, dont les propositions d’amendements ont été soumises au roi Mohammed VI, par le chef du gouvernement. Dans ce sillage, l’essayiste Asma Lamrabet, figure internationale du féminisme musulman, connue pour ses positions progressistes notamment en faveur d’une réforme des successions, insiste sur la nécessité de mettre les textes de la Moudawana en conformité avec les dispositions de la Constitution. , dont l’article 19 qui établit la pleine égalité entre les femmes et les hommes.

Point Afrique : Lors d’une de vos interventions, vous avez dit que « la question des femmes reflète l’impasse politico-théologique de la pensée musulmane contemporaine », pensez-vous que cette révision de la Moudawana se heurtera une fois de plus à l’impasse du « caractère sacré » du droit musulman, assimilé à une loi divine ?

Asma Lamrabet : Globalement, dans la pensée musulmane, avant la colonisation, il existait une jurisprudence très patriarcale, mais qui était beaucoup plus souple, car il ne s’agissait pas d’un code de droit, mais plutôt d’une éthique. Or, aujourd’hui, avec ce qu’on appelle le « droit musulman », qui est un droit colonial non encore décolonisé, on a tendance à penser qu’il s’inspire de la charia et du Coran. , ce qui laisse penser qu’on n’a pas le droit d’y toucher. C’est une réforme qui n’a pas encore été engagée au niveau du monde musulman, puisque ce débat, visant à revisiter la jurisprudence islamique et à proposer des solutions adaptées au contexte actuel, n’a pas encore eu lieu en terres d’Islam. . Il faut savoir que le Coran n’apporte pas de solutions clé en main à tous les problèmes qui se posent aujourd’hui dans les sociétés musulmanes. Il faut, comme l’ont fait les juristes d’antan, rechercher des solutions qui s’inscrivent dans le cadre spatio-temporel. Cela est désormais possible grâce au droit positif, en vigueur au Maroc et applicable dans plusieurs domaines, sauf lorsqu’il s’agit de la question de la famille, par extension de la femme, devenue le dernier bastion identitaire à défendre. . Je pense que malgré tout, 20 ans après l’adoption de la Moudawana, il y a une certaine évolution en termes de mentalités.

Tu dis dans ton travail Islam et libertés fondamentales comment une présentation sur l’égalité des sexes basée sur le cadre coranique lors d’une conférence internationale en 2014 a suscité l’indignation des théologiens marocains. Aujourd’hui, 10 ans après cet incident, pensez-vous que, dans le Maroc de 2024, le principe d’égalité est encore perçu comme un concept importé et imposé par le modèle hégémonique occidental ?

Malheureusement oui. Cette « passion identitaire » est bien palpable lorsqu’il est question des droits des femmes, d’autant plus que les concepts relatifs aux libertés individuelles et aux droits de l’homme viennent de l’Occident, dont le discours se vide de plus en plus de sa substance, comme le révèlent les tensions géopolitiques actuelles. Ces idéaux sont encore plus remis en question lorsque l’on voit ce qui se passe dans le monde, en particulier l’injustice subie par Gaza. On n’arrive plus à faire la distinction entre les valeurs universelles et les politiques de certains pays occidentaux. Ce qui met finalement à mal la question des femmes et son évolution. Au-delà de cela, il faut savoir que des principes universels ont toujours existé dans le cadre islamique, non seulement au niveau du texte coranique, mais tout au long de l’histoire de cette civilisation, et c’est ce que j’essaie de démontrer dans mon travail. .

Après une décennie de gouvernance aux mains d’une coalition conservatrice, le Maroc dispose désormais d’un gouvernement ouvertement moderniste qui a l’opportunité d’écrire l’histoire. Toutefois, si certains partis de gauche se sont montrés favorables à de véritables réformes, le parti islamiste menace d’une « millionième marche ». Quelles sont les limites de ce que la société marocaine peut intégrer en matière de changements dans le domaine religieux ?

C’est assez complexe. Nous n’avons pas encore de visibilité là-dessus. D’après ce que j’ai compris, suite au débat au Maroc, il me semble que de nombreuses questions seront abordées. Par exemple, la tutelle légale de l’épouse fait quasiment l’unanimité au sein des partis politiques ; même le mouvement islamiste n’y est pas opposé, à l’exception de quelques extrémistes. Cette réforme pourrait également inclure la loi permettant de prouver la filiation des enfants nés hors mariage.

Si de nombreuses attentes de la société civile autour du Code de la famille seront probablement satisfaites, celles liées au Code pénal risquent de prendre un chemin différent et c’est bien dommage. Selon moi, la réforme du Code de la famille et celle du Code pénal doivent aller de pair. On ne peut pas résoudre, par exemple, la question des enfants nés hors mariage sans décriminaliser la question des relations sexuelles hors mariage.

Par ailleurs, je pense que les réactions de certains partis conservateurs sont bien plus politiques que théologiques, car il y a un travail de réforme qui a été fait au sein de ces partis. De ce point de vue, je trouve qu’il s’agit d’un débat politique. Rappelons que les islamistes se sont opposés au projet de réforme du Code de la famille en 2004, mais dès leur arrivée au gouvernement, ils ont été les premiers à la défendre. Cette résistance au changement que l’on observe aujourd’hui de la part de certains conservateurs est à mon avis dangereuse car elle exploite la religion. Il faut cependant noter que le débat sur la V2 de la Moudawana est moins virulent que celui de 2004. Aujourd’hui, certains continuent de s’accrocher à la fameuse formule du « la société n’est pas prête », mais en réalité, la société n’est jamais prête à réformes, comme l’histoire en témoigne. C’est ce que je dis aux féministes qui sont de l’autre côté et qui trouvent « insuffisant » tout ce que nous avons réalisé jusqu’à présent, oubliant que les réalisations d’aujourd’hui étaient inimaginables il y a 20 ans. . C’est vrai que les mentalités évoluent difficilement, mais nous évoluons encore et nous ne pouvons pas revenir en arrière. Cela dit, par rapport aux autres pays arabo-musulmans, le Maroc dispose d’une forte volonté politique, ce qui constitue un atout majeur pour son avenir.

Les propositions de réforme émanant du collectif des libertés fondamentales que vous avez co-écrit soulignent que la règle du taâsib (héritage par agnation) n’a aucun fondement coranique, ce qui signifie qu’elle est un pur produit du « fiqh », la jurisprudence islamique. Peut-on espérer une réforme du droit des successions et mettre un terme à l’écart avec la constitution de 2011 qui prône l’égalité entre tous les citoyens ?

Je pense que cette question sera résolue mais sous conditions, car l’argument religieux est le même que pour l’héritage. Elle repose sur l’idée que les hommes ont des obligations et des responsabilités lorsqu’ils prennent soin des femmes. Ce qui est complètement aberrant dans une société moderne. Une famille sur cinq est matériellement soutenue par des femmes. Leur contribution financière au niveau familial est très importante. Etant donné que le principe de solidarité est inhérent à la famille marocaine, les femmes, même mariées, prennent parfois soin à la fois de leur famille et de leurs parents. Au vu de ces éléments, on ne peut plus refuser de voir la réalité, comme tentent de le faire certains conservateurs qui s’accrochent à des idéaux qui n’existent pas dans le contexte actuel.

L’annonce de la nouvelle réforme de la Moudawana, le 30 juillet 2022, par la plus haute autorité du pays, demandant une mise à jour de la législation dédiée à la promotion des droits des femmes, est un événement rare dans les pays à majorité musulmane. . Comment voyez-vous cette trajectoire prise par le royaume ?

C’est précisément ce qui rend le royaume chérifien unique. Le roi, en sa qualité de chef de l’État et Commandeur des croyants, reflète la symbolique de cette harmonisation entre le temporel et l’intemporel. Le souverain est à la fois l’arbitre et le facilitateur. Il s’agit d’une configuration unique dans l’espace géopolitique musulman. Malgré les réticences et les résistances au changement, cette volonté politique réformiste fait naître de l’espoir. Il est normal qu’il y ait des divergences, nous ne pouvons pas avoir de consensus sur une réforme du droit, nous ne le voyons dans aucun pays.

Au Maroc, il y a aujourd’hui des priorités, à commencer par la conformité des textes de la Moudawana aux dispositions de la Constitution, dont l’article 19 qui consacre la pleine égalité entre les femmes et les hommes. Les lois inégales sont donc inconstitutionnelles.

Pensez-vous que le débat sur les libertés fondamentales continue d’être l’apanage d’une certaine élite intellectuelle éloignée de l’opinion publique ?

Ce n’est pas tout à fait vrai. Il existe aujourd’hui de nombreux débats qui abordent ces questions sans censure. C’est aussi ce qui rend le Maroc spécifique et unique. Même au sein de certaines communautés musulmanes à l’étranger, on est incapable de parler des questions d’héritage, de liberté de culte, de liberté des femmes d’épouser des non-musulmans. Ce sont des sujets que nous abordons au Maroc dans les débats publics sur les plateaux de télévision, dans les conférences, au sein des universités, etc. C’est le reflet du degré d’évolution des mentalités. Critiquer et dénoncer se fait sans problème au Maroc, dans le respect à la fois des traditions et du cadre de référence universel.


Anna

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