Au procès de l’ancien patron de la drogue, François Molins attaque ses méthodes

“Informations déloyales”, gestion problématique des “informateurs” : l’ancien procureur de Paris, François Molins, a vivement critiqué mardi les méthodes de l’office des stupéfiants sous la direction du commissaire François Thierry, qui défendait son bilan au deuxième jour de son procès à Lyon.

Le doyen des magistrats, entendu comme témoin, et l’ancien superflic se sont indirectement affrontés à la barre du tribunal correctionnel du Rhône, qui décortique cette semaine le placement en garde à vue, en 2012, d’un important trafiquant de cannabis, Sophiane Hambli.

La procédure était fictive et visait à faire sortir de prison cet « informateur » François Thierry afin qu’il puisse téléphoner depuis un hôtel et informer la police d’une livraison de drogue en Espagne.

Le commissaire de 56 ans est jugé pour “falsification de documents par personne dépositaire de l’autorité publique” pour cette manœuvre dont il conteste l’illégalité, affirmant avoir agi avec l’aval du parquet de Paris.

– “Dés pipés” –

Pour preuve, selon lui, un magistrat lui avait demandé de “maquiller” l’extraction de Sophiane Hambli en garde à vue pour sécuriser la procédure, et un autre a validé la prolongation de la mesure.

Appelé à témoigner, François Molins, qui n’a eu connaissance de l’opération qu’en 2017, a estimé que “les dés étaient pipés” et que ses collègues n’avaient pas eu accès à tous les éléments du dossier.

“Comme toujours au cours de ces années avec l’Ocrtis, nous avons eu des informations compartimentées, soit fragmentaires, soit injustes”, a-t-il affirmé, attaquant plus largement les méthodes de l’Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants, que François Thierry a dirigé de 2010 à 2016.

Pour le haut magistrat, “dans tous les gros dossiers de l’OCRTI, nous avons eu des informateurs qui donnaient les plus petits sans déranger ceux qui généraient le trafic”, mais aussi une tendance chez les policiers au “forum shopping” qui consiste à contacter le parquet de leur choix.

Plus fondamentalement, il critiquait la méthode des « livraisons surveillées » développée par l’Office à l’époque, qui consistait à laisser entrer de la drogue en France afin de démanteler les réseaux de revente.

« On avait le sentiment qu’on priorisait les saisies sans toujours démanteler les réseaux », explique François Molins.

– “Soldats grecs” –

La veille, François Thierry, qui risque 15 ans de prison, avait nié être un « cow-boy » solitaire.

Mardi, il a réitéré qu’il n’avait « jamais eu l’intention de cacher quoi que ce soit aux autorités judiciaires ».

Le commissaire a défendu les résultats de la dizaine de “livraisons surveillées” menées sous sa direction. Elles ont permis 429 arrestations, la saisie de 93 tonnes de résine, d’environ 200 véhicules et d’une trentaine d’embarcations, a-t-il énuméré.

« Nous n’avions rien à cacher avec ce système », même si « le professionnalisme nous a conduit à une certaine réserve sur les détails opérationnels », a-t-il déclaré, avouant avoir « du mal à accepter » les questions sur « le but poursuivi ».

Ces opérations furent baptisées Myrmidon, du nom de « soldats grecs dont la détermination leur aurait permis de remporter des batailles malgré leur petit nombre », se souvient-il. Comme eux, « nous étions peu nombreux à tenter des choses extrêmement ambitieuses ».

François Thierry, qui dirige actuellement la stratégie numérique de la police nationale, sera précisé vendredi dans cette affaire, qui n’est que le premier volet d’une enquête tentaculaire.

Dans une autre affaire principale, instruite à Bordeaux et liée à la saisie en 2015 au coeur de Paris de sept tonnes de résine de cannabis appartenant à Sophiane Hambli, il devra répondre de complicité de trafic de stupéfiants. La date du procès n’a pas encore été fixée.

Ces scandales ont conduit au démantèlement de l’Ocrtis, remplacé en 2019 par l’Office de lutte contre les stupéfiants (Ofast).

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