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Au procès du viol de Mazan, la difficile défense de l’accusé face à une victime « devenue une icône »

Les avocats des 50 co-prévenus de Dominique Pelicot ne contestent pas la matérialité des faits, tous filmés par le retraité, mais tentent de se positionner différemment. Avec plus ou moins de succès.

Jusqu’où un avocat peut-il aller pour défendre son client accusé de viol ? La question se pose depuis le début du procès de Dominique Pelicot et de ses 50 coaccusés, qui s’est ouvert le 2 septembre à Avignon. Une trentaine d’avocats représentent les 51 hommes poursuivis, en grande majorité, pour viols aggravés commis sur Gisèle Pelicot, droguée aux anxiolytiques par son ex-mari. Et certaines sorties récentes de ces robes noires, hors de la salle d’audience, ont suscité de très vives critiques.

Guillaume de Palma a d’abord déclaré que« Il y a viol et viol »affichant ainsi la ligne de défense de certains accusés, non sans une dose de provocation. Isabelle Crépin-Dehaene s’est également moquée sur LinkedIn de la cagnotte de soutien de l’ancienne star de téléréalité Nabilla à Gisèle Pelicot, avec un commentaire sexiste : « Elle aurait pu vendre ses seins en plastique. » Nadia El Bouroumi a une nouvelle fois déclenché un tsunami de désapprobation en se filmant sur les réseaux sociaux pour raconter plusieurs moments des audiences.

Ces déclarations, perçues comme maladroites, voire méprisantes à l’égard de la victime, s’ajoutent à des audiences déjà tendues, où certains avocats semblent marcher sur une corde raide et appliquer une stratégie de défense parfois fragile.

En raison des centaines de photos et vidéos conservées par Dominique Pelicot, les accusés ne peuvent nier avoir eu des relations sexuelles avec la victime. Ne pouvant contester la matérialité des faits, la majorité d’entre eux fondent leur défense sur l’absence d’intentionnalité de leur geste : ils soutiennent qu’ils n’avaient pas conscience de commettre un viol, disent avoir cru à un jeu libertin voulu par le couple, dans lequel Gisèle Pelicot faisait semblant de dormir. « Je comprends que cela soit un peu étrange, mais on peut avoir affaire à une personne timide. »Jacques C., 72 ans, a déclaré lors de son interrogatoire.

Quelques minutes plus tard, cette tentative de justification est anéantie par la diffusion de vidéos le concernant, dans une salle d’audience terrorisée. La victime, visiblement inerte, ronfle bruyamment. Louis-Alain Lemaire, l’avocat de Jacques C., s’emporte après la diffusion de ces scènes abjectes, dénonçant leur apparition “sensationnel”. Conscient, sans doute, de leur effet catastrophique sur sa défense. Car si l’argument d’un jeu libertin peut fonctionner avant l’arrivée de l’accusé sur les lieux, comment peut-on prétendre, une fois dans la salle, ne pas avoir saisi le problème ?

Comment expliquer que tous les hommes invités par Dominique Pelicot aient ignoré le consentement de cette femme allongée sur le lit ? Peu d’entre eux ont tenté de se justifier sur ce point. « J’ai été un peu lent à comprendre »osa Jacques C. Et d’ajouter : « Il existe différents niveaux d’endormissement. » « J’étais naïf, stupide, un imbécile, un âne »énumère Cyrille D., 54 ans, s’excusant abondamment auprès de Gisèle Pelicot, visiblement lasse de multiples tentatives de contrition auxquelles elle ne semble pas croire.

Les récits des accusés s’accumulent et se ressemblent, comme l’a relaté devant le tribunal l’enquêteur Stéphan Gal. Presque tous venaient la nuit, se déshabillaient dans le salon ou la cuisine, entraient sur la pointe des pieds dans la chambre et chuchotaient sur les vidéos, en prenant soin de ne pas réveiller la victime. La défense craint particulièrement cet effet globalisant, espérant que chaque personne sera jugée individuellement.

« On ne peut pas condamner quelqu’un qui n’a pas de casier judiciaire de la même manière que quelqu’un qui en a un, quelqu’un qui y est allé une fois, et quelqu’un qui y est allé plusieurs fois : c’est le travail titanesque du tribunal. »

Olivier Lantelme, avocat d’un des accusés

à franceinfo

Outre la répétition des faits, les avocats des 50 coaccusés doivent composer avec un adversaire redoutable : Dominique Pelicot. Assis dans son box, micro en main, il met à terre ses coaccusés à chaque occasion, soit à la fin de leurs interrogatoires, soit quand vient le moment d’entendre la version du principal instigateur. Invariablement, l’homme de 71 ans assure que ces hommes, contactés en ligne, savaient tous qu’ils venaient pour avoir des relations sexuelles avec une femme endormie.

Dès le 17 septembre, jour de son interrogatoire, le septuagénaire avait donné le ton : « Je suis un violeur comme ceux qui sont dans cette salle. (…) JeIls le savaient tous, ils ne peuvent pas dire le contraire. Ainsi, lorsque Lionel R., 44 ans, a répété qu’il n’avait en aucune façon violé Gisèle Pélicot “volontaire”Dominique Pelicot a pris soin de contredire plusieurs de ses déclarations. « Je lui ai dit que j’avais drogué ma femme au petit-déjeuner. »a-t-il assuré, précisant qu’il avait écrasé des comprimés de Temesta dans son café, Lionel R. étant l’un des rares accusés à s’être rendu chez les Pelicot en plein jour. « Il m’a même demandé comment ça allait, il s’est bien gardé de le dire. »ajouta-t-il d’un ton monocorde, mais toujours très assuré.

Face à ces attaques de l’accusé principal, la défense s’efforce donc de démontrer que la plupart de ses clients se sont retrouvés sous la coupe d’un homme “impressionnant” Et “autoritaire”C’est sans doute sur ce terrain qu’elle peut espérer marquer le plus de points. Les experts psychiatres eux-mêmes ont présenté Dominique Pelicot comme une “manipulateur”avec une personnalité “pervers”Les amis du couple ont également noté que son tempérament autoritaire s’était renforcé lorsqu’ils avaient emménagé à Mazan, dans le Vaucluse, en 2011. C’est-à-dire lorsque Dominique Pelicot avait commencé à inviter des hommes à violer sa femme. Selon la défense, presque tous se seraient laissés berner par l’ancien agent immobilier et seraient ensuite restés, comme paralysés par la peur, dans la chambre conjugale.

À cette position difficile à assumer s’ajoutent des moments de l’audience qui ont été perçus comme particulièrement violents pour la victime. Comme la journée du mercredi 18 septembre. Ce jour-là, deux avocats, Isabelle Crépin-Dehaene et Philippe Kaboré, ont demandé que vingt-sept photos intimes de Gisèle Pelicot soient visionnées. « grande révélation » teinté d’humiliation dans le regard du septuagénaire, plus en colère que jamais au bar. Sur ces photos, la septuagénaire apparaît nue, dans des scènes très suggestives.

Pour Isabelle Crépin-Dehaene, il s’agissait essentiellement de prouver que, si ces images avaient été envoyées à certains accusés (ce que réfute Dominique Pelicot), elles pouvaient suggérer que Gisèle Pelicot avait consenti à une rencontre échangiste. « La défense, comme l’accusation, a le droit d’invoquer des éléments défavorables à l’une des parties. Après, il faut savoir interroger Mme Pelicot. »estime Patrick Gontard, qui représente l’un des accusés.

« On peut tout dire, mais il faut savoir le dire, avec la dignité qui sied à ces débats. »

Patrick Gontard, avocat d’un des accusés

à franceinfo

Isabelle Crépin-Dehaene assure avoir pris les précautions nécessaires. « J’ai fait très attention aux mots que j’ai utilisés pour expliquer pourquoi j’avais demandé le dépistage. J’ai essayé de ne pas utiliser de double sens ou de mots accusateurs. »“D’autres n’ont pas eu ces scrupules”, rapporte-t-elle à franceinfo. « Tu n’aurais pas des tendances exhibitionnistes que tu n’assumerais pas ? » a déclaré son collègue Philippe Kaboré. Et quand Gisèle Pelicot s’est mise en colère, appelant la question “très insultant”c’est Nadia El Bouroumi qui a ajouté. « Vous êtes en colère, mais vous êtes aussi responsable de cette émission ! » lui a crié l’avocat, faisant allusion au fait que la septuagénaire s’était opposée au huis clos.

Cette séquence, largement diffusée, a été vivement critiquée tant sur la forme que sur le fond. « Dans tous les procès pour viol, lorsque l’avocat de la défense se lève pour interroger la plaignante, cela est nécessairement vécu comme dérangeant, intrusif. »analyse Olivier Lantelme, avocat d’un des accusés. « On a l’impression qu’il n’est pas admis que l’on puisse exprimer le moindre soupçon sur des éléments du dossier »estime Isabelle Crépin-Dehaene.

« C’est insupportable, j’ai l’impression de revivre le procès d’Outreau, en pire, où la colère populaire a pointé du doigt les coupables dès le début du procès. »

Isabelle Crépin-Dehaene, avocate d’un des accusés

à franceinfo

Sur les bancs de la défense, l’image même de la victime paraît encombrante. « Gisèle Pelicot est devenue aujourd’hui une icône, elle est plébiscitée par la presse, elle est glorifiée. Il est donc très difficile de la détrôner ou de l’attaquer. »estime Patrick Gontard. « En une décennie, le procès pénal a évolué : on a désormais l’impression qu’il faut absolument protéger les victimes, même au prix du déraisonnable »ajoute Olivier Lantelme. Des positions qui expliquent le déluge de questions adressées à Gisèle Pelicot au tribunal d’Avignon. Elle-même résumait ainsi l’effet produit par la stratégie de défense. « J’ai l’impression que le coupable, c’est moi, et derrière moi, les 50 (co-accusé) sont des victimes”elle s’est indignée, largement soutenue, notamment sur les réseaux sociaux.

Les répercussions de la diffusion des images ont poussé les avocats de la défense à plaider vendredi pour que cela ne soit plus systématique. Et surtout, pour que les médias ne puissent plus les voir. Ce que le président, Roger Arata, a accordé. « Il ne sert à rien de débattre en projetant cela à la vue du monde entier. »estime Olivier Lantelme, qui salue cette décision. Selon lui, Gisèle Pelicot « Elle ne peut pas avoir les clés de la dignité, y compris sa propre dignité : ce n’est pas parce qu’elle dit ‘ça ne me dérange pas’ que le président doit acquiescer »C’est l’avocat qui décide. La victime continuera donc à assister à l’horreur des sévices qui lui ont été infligés, mais aucun journaliste ne pourra en rendre compte. Un avantage pour la défense.

Anna

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