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Au procès Pelicot, ces femmes viennent soutenir leurs maris accusés

50 hommes sont jugés aux côtés de Dominique Pelicot pour le viol de son ex-femme, Gisèle. Des hommes ordinaires, pères de famille, intégrés socialement. Malgré les faits qui leur sont reprochés, leurs épouses ont décidé de les soutenir.

La famille revient d’un déjeuner à la terrasse d’un restaurant d’Avignon, à quelques tables de Gisèle Pelicot et de ses amis. Vêtu d’une veste de jogging vert kaki et d’une capuche sur la tête, l’homme serre sa fille dans ses bras avant d’entrer dans la salle d’audience du tribunal correctionnel du Vaucluse. Sa compagne est un peu en retrait, ayant témoigné en sa faveur au tribunal ce matin.

Le père comparaît depuis trois semaines devant ce tribunal : il fait partie des 50 hommes jugés aux côtés de Dominique Pelicot, accusé d’avoir violé l’ex-femme du septuagénaire. Comme d’autres proches, la mère et la fille estiment qu’il a été “manipulé” par le mari de Gisèle Pelicot – qu’il ne savait pas que la victime était sous l’emprise de médicaments.

“Pourquoi ne pas le croire, pourquoi croire tout le monde et pas lui ? On croit sa version, parce qu’on sait que ce n’est pas un violeur, on n’a aucun doute”, réagissent à l’unisson Valérie, la mère, et Erica, la fille.

Dans les couloirs du tribunal d’Avignon, la mère apparaît frêle, renfermée. La fille est vive, dynamique, mais aussi en colère. « On y pense tout le temps, tout le temps, tout le temps… C’est dur, mais on ne le lâche pas, on est convaincu, on est sûr que ce n’est pas un violeur. Sinon on ne serait pas là. On ne défend pas l’indéfendable. »

« Ce n’est pas un violeur »

Cyril D., 54 ans, s’est rendu au domicile des Pelicot, à Mazan, le 2 septembre 2019, pour avoir une relation avec « un couple consentant », a-t-il raconté aux enquêteurs. Ce soir-là, Valérie s’était offerte quatre jours de vacances avec sa fille. Pendant ce temps, son compagnon avait été filmé par Dominique Pelicot en train de forcer pénétrations et fellations à Gisèle Pelicot, droguée et endormie, s’étouffant même presque. – sans qu’il le sache, dit-il.

Les policiers notent cependant dans leur procès-verbal que lui, comme le mari, « font attention à ne pas faire de bruit ». Aux policiers venus l’interpeller le 9 février 2021, il a indiqué avoir constaté un problème mais ne pas s’être arrêté. Devant le tribunal correctionnel du Vaucluse, ce vendredi 20 septembre, il a de nouveau nié l’intention de viol.

« J’ai 54 ans et c’est vrai que j’ai dépassé les limites du consentement », a-t-il toutefois concédé.

“Les femmes n’appartiennent pas aux hommes, c’est là que je m’en veux”, a-t-il ajouté, reconnaissant que Dominique Pelicot lui avait dit qu’il donnerait des pilules à sa femme “pour se détendre”.

Pour Valérie, le monde s’est « effondré » le 9 février 2021, « c’est un euphémisme », dit-elle. Ce jour-là, elle était déjà au travail lorsque Cyril D. a été interpellé à leur domicile à 6 heures du matin.

Informée de cette arrestation deux heures plus tard, elle s’est rendue au commissariat avec sa fille. « Ils m’ont dit que mon compagnon était accusé de viol. J’ai compris que c’était un vol. J’ai dit ‘non, ce n’est pas possible, vous vous êtes trompé de personne’. Ils m’ont montré des photos de mon mari, je l’ai reconnu tout de suite », confie-t-elle d’une voix faible.

Les policiers lui ont proposé de lui prélever un échantillon de cheveux, pour vérifier si elle n’avait pas été droguée selon le même procédé que celui utilisé par Dominique Pelicot. “Je savais très bien que ce n’était pas vrai, ce n’était pas possible, pas possible”, écarte le quinquagénaire.

De nombreux échanges au parloir

« La première chose que nous avons voulu faire, c’était voir papa, poursuit sa fille Erica, la vingtaine. Nous avons immédiatement fait des demandes de visites. » La famille « soudée » n’aura droit à sa première visite qu’au bout de trois semaines. Une période durant laquelle de nombreuses questions se sont posées. L’une en particulier : Cyril D. savait-il que Gisèle Pelicot avait été droguée ?

Au parloir, « ses premiers mots ont été adressés à ma mère. Il nous a dit ‘ce n’est pas vrai, ce n’est pas ça, ce n’est pas ça, ce n’est pas ça’ », poursuit la jeune femme. Décrit comme un « gros gabarit » par sa famille, l’homme a perdu 15 kilos. « Il nous a dit qu’il avait tout de suite su pourquoi il avait été arrêté parce qu’il avait vu les médias (l’affaire du viol de Mazan était déjà connue publiquement, NDLR), mais s’il ne les avait pas vus, il n’aurait pas su pourquoi il était arrêté. »

Cyril D. veut alors savoir si sa famille le soutient. « J’ai eu beaucoup d’empathie », souffle Valérie, puis complète Erica, sa mère étant trop émue.

« Il lui disait : ‘Ne me quitte pas, reste avec moi’ », se souvient-elle. « Elle lui répondait que ce n’était pas la chose la plus importante, que le plus important était de le faire sortir de prison. »

Valérie a fini par ne plus avoir de doutes sur son conjoint au fil de leurs rencontres au parloir. « Il ne m’a jamais forcée, il m’a toujours respectée », insiste l’épouse de l’accusé. D’ailleurs, elle assure que le couple était très soudé, qu’ils passaient leur temps ensemble. La tentative de suicide de Cyril D deux semaines après son incarcération a fini de les convaincre. « C’était à cause de la culpabilité envers Gisèle Pelicot », veut croire sa fille. « La culpabilité de ne pas avoir su, pour cette chose qu’il a faite malgré lui, il ne voulait pas lui faire ça. »

« Une vie qui s’écroule » pour ces femmes

Valérie et sa fille ne sont pas les seules à venir témoigner leur soutien à leur proche jugé depuis le 2 septembre. Devant la salle d’audience, une femme dit aussi croire en l’innocence de son mari. « Peu importe la sentence, c’est notre père, on a besoin de lui », murmure aussi le fils d’un autre accusé au banc des accusés.

Me Crépin-Dehaene défend deux accusés, mariés avant les faits, qu’elle qualifie de “victimes infidèles”. “Les femmes, les fils, les filles ne sont responsables de rien. Eux aussi souffrent”, tient-elle à souligner.

« Les femmes de mes clients me disent : ‘c’est un homme bien, on est ensemble depuis des années, on a eu des enfants mais il y avait ce gros con (Dominique Pelicot)’. Il y a de la colère envers lui.’

« On a essayé de comprendre comment notre père en était arrivé là, confirme Erica. On ne nie pas qu’il aurait dû se rendre compte (que Gisèle Pelicot était droguée). Mais c’était préparé, la présentation qui a été faite était celle d’un couple libertin. Il est arrivé dans une maison, c’est dans le noir. Quand il ferme la porte, il s’aperçoit que Dominique Pelicot a un visage pervers. Mais il était venu pour avoir des relations… et il ne se retourne pas. Il est pris dans la spirale. Après, à part se taire, que vouliez-vous qu’il fasse ? »

Un expert psychologique a estimé que Cyril D. n’était pas « sexuellement déviant mais que la barrière des interdits cédait très facilement par rapport à son impulsivité, à son désir ».

Me Biscarrat défend également deux autres prévenus. Malgré les accusations, « l’épouse d’un de mes clients a toujours su qu’il ne s’agissait pas d’un viol », « elle arrive à accepter qu’il ait été piégé », assure l’avocat, décrivant un couple « vaguement libertin » par le passé – d’où ce qu’il présente comme une certaine « permissivité » dans leur relation.

Pour la psychiatre Christine Barois, spécialiste du stress, de l’anxiété et de la dépression, La réaction de ces femmes s’explique par « plusieurs mécanismes qui entrent en jeu ». « Des mécanismes qui, selon (son) expérience, s’apparentent à la réaction des mères qui assistent à un inceste. »

« Il y a un déni parce qu’il faut penser l’impensable, il faut penser à la dépendance affective mais aussi financière (envers son conjoint) », explique-t-elle. « Il y a un arrangement avec la réalité monstrueuse qu’il faut mettre en place. »

La spécialiste rappelle que c’est « une existence qui s’effondre pour ces femmes ». « Il y a aussi une dissonance cognitive qui peut se manifester pour faire cohabiter quelque chose d’acceptable avec quelque chose d’inacceptable. En bref, la personne se dit ‘tout ce qui adhère à ma thèse je le vois, tout ce qui n’y adhère pas, je ne le vois pas’ ». L’étape du procès pourrait, selon le Dr Barois, « faire place dans leur esprit à l’acceptation de l’inacceptable ».

« Coupable de m’avoir trompé »

Me Crépin-Dehaene confirme. Si l’épouse d’un des accusés qu’elle défend est restée, “il y aura toujours une trace”. “Il y a infidélité mais avec les conséquences très graves que cela a sur la victime”, note-t-elle. “Au prochain affrontement, c’est sûr que ça va ressortir. Il y a une blessure profonde.”

« Il est coupable de m’avoir trompée, mais pas du reste », murmure pour l’instant Valérie. « Je suis une femme, je ne cautionne aucun acte criminel contre qui que ce soit », scande sa fille.

Interrogées, mère et fille assurent évidemment penser à Gisèle Pelicot et avoir de l'”empathie” pour elle. Valérie et Erica assurent avoir reçu le soutien de certaines personnes de leur village. “On nous regardait aussi de travers. Beaucoup de gens me demandaient pourquoi je ne l’avais pas jeté dehors. Mais non, je ne voulais pas qu’il finisse à la rue, sans rien. Il ne méritait pas ça.”

Aujourd’hui, Valérie est séparée de son compagnon. Même si elle « a beaucoup d’affection pour lui », le poids de l’affaire, les conséquences pour Cyril D., les séjours en hôpital psychiatrique, ont été trop lourds à porter pour elle. Mère et fille ne réclament pas un acquittement mais une peine adaptée. « On demande qu’on ne fasse pas de généralité. Que les monstres soient punis », disent-elles à l’unisson.

Anna

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