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avant même la sortie du film, une victime avait témoigné

“Nous n’avons eu aucune alerte. Nous n’avons été informés de rien.” Wassim Beji, producteur de Abbé Pierre, une vie de lutte dit toujours “sous le choc”un peu plus de deux mois après la publication du rapport d’enquête Egaé dans lequel des femmes racontent les attouchements sur l’abbé Pierre. Mains posées sur les seins, baisers forcés. Il y aura aussi des témoignages de masturbation et de fellation forcée. Attaques contre des femmes et des mineurs vulnérables, dont un jeune enfant. “J’ai le sentiment d’avoir été dupé, profondément trahi par l’abbé Pierre”réagit le producteur.

L’équipe du film reçoit ces révélations d’autant plus violemment que la promesse du biopic était justement de raconter l’histoire de l’homme privé derrière la légende. Le « vrai » abbé Pierre. “Ses défauts, ses défauts, toute sa complexité” explique, lors de la promotion, l’acteur qui l’interprète à l’écran, Benjamin Lavernhe. “Quand nous avons découvert la vie de l’abbé, ce que nous avons voulu, c’était raconter toute sa vie, pas seulement la figure totémique”» ajoute le réalisateur Frédéric Tellier au public du festival Atmosphères de Courbevoie. Dans son film, l’abbé Pierre est un homme au corps fragile, qui vacille sous le poids des responsabilités. Un abbé Pierre courtisé par les femmes, qui rompt son vœu de chasteté.

Pour se rapprocher “au plus près de la vérité historique”Frédéric Tellier, s’est plongé pendant près de deux ans et demi dans les biographies et les archives. Il rencontre des compagnons des communautés Emmaüs, des responsables de la Fondation Abbé Pierre, et interviewe des personnes qui ont connu l’abbé. “Nous n’avons jamais eu le moindre soupçon de suspicion. Personne ne nous a dit ‘fais attention, tu devrais dire ceci ou cela ou rencontrer telle ou telle personne…’. J’ai passé des moments intimes et sincères avec ces gens, les yeux dans les yeux. “. Lorsqu’il a appris l’existence de toutes ces femmes, Frédéric Tellier, dévasté, a déclaré : “le sentiment de tomber dans un trou dégoûtant, d’être un peu sale aussi et de ne pas avoir complètement fait ce qu’il fallait faire.”

Qui savait quand le film était en préparation ? Selon nos informations, au cours de l’année précédant la sortie en salles, s’est produit un événement qui allait tout changer. Dès mai 2023, Emmaüs France reçoit le témoignage d’une femme, prénommée « A » dans le premier rapport. Elle raconte “des contacts sur sa poitrine, lorsqu’elle était mineure, au domicile familial”. Un baiser forcé aussi plus tard, lorsqu’elle sera adulte : “il a inséré sa langue dans ma bouche d’une manière brutale et totalement inattendue”. Des avances lourdes et insistantes qu’elle doit rejeter, même des années plus tard. Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre seront informés de ce témoignage à partir de juin 2023.

J’ai rencontré cette femme en septembre 2023, avec d’autres managers”se souvient l’ancien président d’Emmaüs France, Antoine Sueur, qui s’exprime pour la première fois sur le sujet. “Pour moi, l’idée était de l’écouter positivement, de ne pas se méfier. Et ça a été comme un coup de poing. Elle a été très marquée par ce qui lui était arrivé. Je sentais que ça allait être le point de départ de quelque chose. Elle a dit : Je suis sûre que je ne suis pas seule, je vous demande de faire un travail d’enquête, des recherches, des vérifications.. A l’issue de cette rencontre, Emmaüs France, Emmaüs International et la Fondation Abbé Pierre ont convenu de poursuivre les recherches. C’est ce qui donnera lieu à l’enquête du groupe Egaé.

A cette époque, le film n’était pas encore sorti. Mais il a été présenté au Festival de Cannes et la presse lui a fait beaucoup de bruit. Lors de la rencontre avec « A », deux participantes se souviennent également très bien qu’elle s’était interrogée sur ce biopic. Comment sera-t-il soutenu par Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre ? “Je lui ai confirmé que ce n’était pas notre film, pas un film de commande”se souvient Antoine Sueur. L’ancien patron d’Emmaüs France participe à quelques avant-premières, mais a minima. Seulement “deux interventions dans les débats”il a dit, “soit moins que lors de la sortie du précédent film sur l’abbé avec Lambert Wilson en 1989. Et à l’époque, je n’occupais que des fonctions locales”.

Dans ses interventions, Antoine Sueur parle du mouvement Emmaüs, du combat qui reste à mener, du devoir de fraternité. Moins de l’homme, de la figure de l’abbé Pierre. “Je ne connaissais pas la face sombre de l’abbé Pierre, précise l’ancien directeur d’Emmaüs France, je ne vous cacherai pas qu’il m’a fallu un peu de temps pour absorber le choc”. Mais il ne prévient pas l’équipe du film : “Il faut comprendre qu’à ce moment-là, nous n’étions pas encore dans l’affaire et les révélations. Nous ne savions pas où nous allions. Est-ce qu’on fait toujours les bons choix ? J’ai fait au mieux, j’assume notre part d’erreurs et de responsabilité “.

La Fondation Abbé Pierre est plus directement liée à la préparation du film. Laurent Desmard, dernier secrétaire particulier de l’Abbé et président d’honneur de la Fondation, a joué un rôle consultatif. “On a beaucoup travaillé avec Frédéric (Tellier), il y a eu une belle histoire, une belle rencontre entre nous”dit-il dans les bonus du DVD du film. Il partage également ses anecdotes et souvenirs avec les comédiens Benjamin Lavernhe et Emmanuelle Bercot. Un travail “amical”, “non rémunéré” précisent la production et la Fondation Abbé Pierre. « J’ai l’impression, comme le carrier, d’avoir donné le bloc de marbre. Et ils en ont fait quelque chose de magnifique. ». Lors d’une précédente enquête de la Cellule d’Enquête, un ancien responsable d’Emmaüs a mis en cause Laurent Desmard : dans les années 2010, « il m’a dit qu’il fallait surveiller l’abbé Pierre quand il était avec des femmes. Il avait peur de poser brusquement ses mains sur leurs seins. ». Un témoignage démenti “fermement” par l’intéressé.

Lors de la promotion du film, Laurent Desmard a appris l’existence du témoignage de “A” et de l’enquête qui se déroulait en interne*. Il a également choisi de ne pas informer l’équipe du film. La promotion continue donc et il y participe, tout comme Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Sur France Inter, le 8 novembre 2023, ce dernier s’est dit « bouleversé par le film » qui montre « les fragilités » de l’abbé Pierre.

Pourquoi ne pas avoir ralenti la médiatisation autour du film ? “Arrêter la promotion du film impliquait de rendre public le seul témoignage dont nous avions connaissance à l’époque”, précise l’agence de communication des mouvements Emmaüs à la Cellule Investigation de Radiofrance. « Nous pensions, et continuons de penser, que communiquer avant d’avoir fait un travail d’enquête et recueilli plusieurs témoignages aurait été dangereux. Cela aurait fait supporter le poids de la révélation à une seule victime et aurait sans doute déclenché une immense résistance dans la société pour reconnaître la réalité des faits. ». En mars 2024, alors que le groupe Egaé travaille déjà au recueil de témoignages, la Fondation favorise toujours la sortie du film, en communiquant sur la sortie du DVD.

Seulement à la veille de la publication du rapport, en juillet 2024, “pour ne pas se faire prendre en pleine face” comme nous le raconte un membre de l’équipe du film, que Laurent Desmard prévient personnellement Benjamin Lavernhe et Frédéric Tellier.

“Je n’ai pas de comptes à régler mais je pense que si on l’avait su, cela aurait pu arrêter la sortie du film”, réagit le réalisateur : “ce qui est évident c’est qu’on n’aurait pas fait la même promotion”. Mais Frédéric Tellier comprend aussi les arguments d’Emmaüs et de la Fondation Abbé Pierre, qu’il respecte énormément. “Je ne les vois pas comme des manœuvres ou des menteurs, alors qu’ils aident constamment les plus démunis.il continue, J’ai fait un film en pensant que le sujet était là… et il n’est pas là. L’abbé Pierre a changé le monde de la pauvreté. Est-ce que toutes ces conneries annulent ses combats ? De toute façon, cela les souille. ».

L’avenir de Abbé Pierre, une vie de lutte ? Il ne le voit pas bien, sauf peut-être avec « utilisez la précaution et le décryptage ». “C’est sûr, on ne peut plus le voir ni le diffuser tel quel” ajoute le producteur Wassim Beji. Les deux hommes, à l’origine du projet, voulaient faire un film qui fasse du bien et incite à l’engagement. « Cela n’a plus de sens, reconnaît le producteur, mais nous ne sommes que des dommages collatéraux. Le plus grave, ce sont les victimes et ce qui s’est passé pendant des décennies. ».

* Après réflexion sur la méthode, c’est Emmaüs International qui demande officiellement à l’agence conseil Egaé de les accompagner le 9 février 2024.

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Juliette

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