Avec la guerre, l’Ukraine a redécouvert son voisin roumain

L’invasion russe a fait redécouvrir à l’Ukraine un voisin qu’elle avait oublié : la Roumanie. Suite à la fermeture des ports ukrainiens de la mer Noire le 24 février 2022, les exportations et importations ukrainiennes, y compris l’aide militaire, sont devenues plus dépendantes que jamais des routes commerciales passant par la Pologne et la Roumanie.

Le port (roumain) de Constanta est ainsi devenu un hub, d’importance comparable à celui de Jasionka, près de Rzeszow (ville polonaise proche de l’Ukraine dotée d’un aéroport international). Il en va de même pour les routes terrestres du Danube et de la Roumanie.

La Roumanie n’a pas été épargnée par les drones russes. L’un des dragueurs de mines roumains a été endommagé par une mine.

« De tous les pays de l’OTAN, la Roumanie est le plus proche de la guerre. Lviv (près de la frontière polonaise) est rarement bombardée. Odessa, située près de la frontière roumaine, est en revanche l’une des principales cibles des attaques russes. note le commentateur et politologue ukrainien Oleh Saakian.

Trous perdus

Avant 2022, Roumains et Ukrainiens se tournaient le dos. Vue de Kiev, la frontière roumaine semble très lointaine et sans intérêt. La frontière longe la région d’Odessa, à laquelle aucune route proprement dite ne mène depuis des années, et la région presque inhabitée du delta du Danube est sans pont. Quant à la Transcarpatie ou à la Bucovine (régions situées à la frontière entre les deux pays), elles sont synonymes de trous perdus. Vus de Bucarest, les Ukrainiens sont des voisins bien moins importants que les Moldaves, qui parlent la même langue.

Les relations bilatérales furent également placées sous le signe de la dispute sur l’île des Serpents. A cela s’ajoutent la délimitation conflictuelle du plateau continental de la mer Noire, l’élargissement du canal de Bystroe, dans le delta du Danube, qui concurrence les routes roumaines, et enfin l’enseignement de la langue roumaine en Ukraine.

Alors que les Ukrainiens regardaient avec méfiance la minorité roumaine de Bucovine qui prenait des passeports roumains, Bucarest était en colère contre Kiev pour avoir reconnu la spécificité de la langue moldave. De tous ses voisins, Bucarest fut le dernier à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine, le 8 janvier 1992, un mois après la Pologne. Kiev a également entretenu de bonnes relations avec les séparatistes de Transnistrie, en Moldavie, ce qui a eu le don d’irriter la Roumanie. Ce n’est qu’après l’invasion russe que le pays a fermé sa frontière avec cet État autoproclamé et a complètement changé de rhétorique.

Le conflit autour de la frontière maritime s’est terminé en 2009 avec un arrêt de la Cour internationale de Justice, qui a attribué 80 % des eaux contestées aux Roumains. Le reste de la polémique a été étouffé après le 24 février 2022, ouvrant la voie à une amélioration des relations. « Au début, les Ukrainiens avaient peur de fuir la guerre vers la Roumanie. Ils pensaient vraiment que les Tsiganes allaient les voler. Tout a changé en deux semaines, lorsqu’il s’est avéré que la Roumanie était un pays normal, avec des gens prêts à aider. Au total, deux millions de réfugiés sont passés par la Roumanie. précise Alexandru Greceniuc.

Pour les Ukrainiens de Roumanie, cet homme de 30 ans vivant à Cluj, la capitale de la Transylvanie, est une institution. Greceniuc est un militant de la minorité ukrainienne, président du Congrès mondial des organisations de jeunesse ukrainiennes, membre du Conseil de la jeunesse du président Volodymyr Zelensky et représentant de la Chambre ukrainienne de commerce et d’industrie en Roumanie. Il travaille également comme architecte. Greceniuc a étudié à Cluj, mais il est originaire d’une petite ville qui s’est retrouvée ségréguée