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Bruno Retailleau a-t-il triché pour faire gagner le Puy du Fou à « Intervilles » ? – Libération

Le scandale a eu un retentissement national. Pour cause, il avait terni un programme regardé à l’époque, en moyenne, par près de 7 millions de téléspectateurs. Programme culte de la fin des années 90, interrompu successivement puis relancé quatre fois de 1962 à 2009, passant de TF1 à France 2, Intervilles est un jeu télévisé mettant en scène la confrontation entre deux villes françaises au travers d’épreuves essentiellement physiques. À l’été 1997, le public français est fasciné par l’édition remportée par le Puy du Fou, pour la deuxième fois après une victoire déjà décrochée l’année précédente – une exception puisqu’il s’agit d’un parc d’attractions et non d’une ville. Mais quelques semaines après la finale, les fans de l’émission déchantent : les succès du Puy du Fou auraient été truqués, orchestrés avec l’aide d’un des animateurs de‘IntervillesOlivier Chiabodo. Ces révélations ont alimenté ce qui reste le plus gros scandale autour d’un jeu télévisé en France. Et si elles refont surface aujourd’hui, c’est parce qu’un nouveau venu au gouvernement a été mis en cause dans l’affaire. Nommé ministre de l’Intérieur, jusqu’alors patron des sénateurs républicains, Bruno Retailleau était accusé de sa contribution à la tricherie.

Le point de départ de toute cette histoire est le soir du 2 juillet 1997. En Vendée, le Puy du Fou accueille comme adversaire le Pays d’Ancenis, communauté de communes de Loire-Atlantique. Après s’être affrontées au jeu de la vache puis sur un tapis recouvert de savon noir, les deux équipes, composées chacune d’une cinquantaine d’individus, passent la main à leurs trios d'”intellectuels”, chargés de répondre à trois ultimes questions de culture générale. Le groupe d’intellectuels du Puy du Fou est composé d’un journaliste local, du président de l’association du Puy du Fou, Jean-Marie Delahaye, qui fait office de “porte-parole” de l’équipe, ainsi que du directeur de la Cinéscénie, le spectacle phare du Puy du Fou mettant en scène l’histoire de la Vendée… Bruno Retailleau.

«Deux c’est deux»

En fait, l’actuel ministre a commencé sa carrière politique avec Philippe de Villiers, qu’il a rencontré au Puy du Fou alors qu’il était cavalier bénévole à la Cinéscénie, à l’âge de 16 ans. Les deux hommes se lient d’amitié, au point que Bruno Retailleau se voit plus tard confier la mise en scène du spectacle, voire la gestion du parc de loisirs créé par Philippe de Villiers. En juillet 1997, Bruno Retailleau est metteur en scène de scène, tout en étant vice-président du conseil général de Vendée, et vient de terminer un mandat de député à la suite d’une élection partielle.

Lors du quiz de culture générale, Jean-Pierre Foucault pose les questions inscrites sur des petits cartons tenus par son acolyte Olivier Chiabodo, positionné à côté de lui. Pour le Puy du Fou, Jean-Marie Delahaye opte pour une première question à trois points, sur l’histoire et la géographie. Pendant que Jean-Pierre Foucault lit le titre, Olivier Chiabodo glisse une main le long de sa cuisse, puis forme deux fois le chiffre trois avec ses doigts. Jean-Marie Delahaye se tourne vers ses coéquipiers pour les sonder sur la réponse à donner, et déclame à la fin du chronomètre : « Un peu au hasard, on s’accorde pour donner le chiffre 3 ». C’est vrai. Lors de la deuxième question, Olivier Chiabodo sort du champ de la caméra. Une fois encore, l’équipe répond par un chiffre : 2 cette fois, qui correspond là encore à la bonne réponse. Pourtant, Jean-Pierre Foucault n’a jamais associé les réponses proposées à un chiffre. L’essentiel est fait pour le Puy du Fou : il récolte suffisamment de points pour atteindre la finale.

Les gestes d’Olivier Chiabodo n’ont pas échappé à l’oeil du Canard enchaînéDans son édition du 17 septembre 1997, le journal satirique dénonce la tricherie, en glissant dans ses pages des photos montrant l’animateur avec ses trois doigts formés dans le dos de Jean-Pierre Foucault. Olivier Chiabodo et l’association du Puy du Fou s’en prennent Le canard enchaîné en diffamation. Ceci est suivi par une nouvelle démonstration de tricherie, dans l’émission Arrêt sur image diffusé sur La Cinquième (l’ancêtre de France 5), le 21 septembre 1997. Ayant visionné l’intégralité de la séquence, les journalistes constatent que, durant les 30 secondes de réflexion qui suivent la lecture de la deuxième question, on lit sur les lèvres de Bruno Retailleau : «Deux, c’est deux.» Un article de Libérer commentaires: “(Jean-Marie Delahaye) a affirmé qu’il ne voyait pas les doigts de l’arbitre-hôte Olivier Chiabodo indiquant la bonne réponse puisque Jean-Pierre Foucault leur barrait le passage. Avec l’aide de Bruno Retailleau, cela aurait donc été possible.” En parallèle, Le Parisien se procure les enregistrements de l’émission et souligne que lors de la finale de 1996, remportée par le Puy du Fou, l’animateur semblait déjà envoyer des signaux avec ses doigts aux candidats vendéens. « J’ai vu Chiabodo se tordre et agiter ses mains »puis témoigne de Libérer le maire de Pont-Saint-Esprit, petite commune du Gard qui affrontait le Puy du Fou lors de cette finale, s’est montré très en colère contre l’attitude de l’étoile montante de TF1. « Il faut savoir que ce spectacle coûte 4 millions de francs collectés par le producteur, que chaque concurrent paye 300 000 francs, et dans le cas du Puy du Fou c’est 900 000 francs »indique France 3 Pays de la Loire dans son journal du soir du 24 septembre 1997.

Victime d’un système ?

Les années suivantes sont marquées par une bataille juridique, notamment entre la chaîne et son présentateur. TF1 s’engage à visionner soixante-dix heures de cassettes deIntervillesLa Une dépose plainte contre X, classée sans suite par le ministère public. Surtout, elle procède au licenciement de sa jeune pousse. Devant les prud’hommes, Olivier Chiabodo obtient néanmoins que la « faute grave » caractérisée par TF1 soit requalifiée en « faute réelle et grave ». En 2006, alors qu’Olivier Chiabodo menace de faire appel car il estime que son honneur n’est toujours pas en sécurité, TF1 préfère conclure avec lui un mystérieux accord de confidentialité. En échange de son silence, elle lui confie la direction de la programmation de Jet, une chaîne éphémère dédiée aux jeux, avant le rôle de conseiller du directeur de la communication du groupe. Il faudra attendre 2017, et le licenciement définitif d’Olivier Chiabodo, pour que l’animateur donne sa version de l’affaire.

Commencer par déposer une plainte pour « harcèlement moral » sur une période allant de 1997 à 2017, les rapports Variateur de vitesse dans son numéro du 5 octobre 2017. Selon l’enquête publiée par le magazine, Olivier Chiabodo considère que « Son ancien employeur a non seulement ruiné une carrière que l’on disait prometteuse, en le faisant porter seul la responsabilité, qui était manifestement trop lourde pour lui, «scandale deIntervilles”, mais a également délibérément entretenu un climat de peur, de menaces et de pression psychologique afin qu’il «ferme ta bouche.” Le présentateur assure qu’il ne faisait qu’exécuter les ordres de la production. “Pourquoi fallait-il alors privilégier l’équipe vendéenne ? Victorieux en 1996, le Puy du Fou inaugurait, dans les règles du spectacle, la nouvelle saison le 2 juillet 1997. Deux apparitions en prime time, deux surmédiatisations pour la production de Philippe de Villiers.” Olivier Chiabodo se présente comme la victime d’un système. Et appuie sa démonstration en citant l’ouvrage Jackpot du jeu téléviséde François Viot, où Gérard Louvin, l’ancien producteur deIntervillesconfie : « On a triché tout le temps. Quand le candidat ne tombait pas, on faisait avancer le tapis plus vite. » Dans une interview avec parisientoujours en 2017, Olivier Chiabodo attribue les manœuvres pour truquer l’émission à Gérard Louvin. « Sur les plateaux, j’avais une oreillette, et j’obéissais à ses ordres. C’est lui qui m’a demandé de privilégier le candidat du Puy du Fou. » Et, “pour mémoire”nomme la personne concernée : « C’était Bruno Retailleau ».

Contacté, Olivier Chiabodo n’a pas répondu. Malgré l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris, il a choisi de « Laisse cette histoire de côté »expliquait-il fin 2019 sur Europe 1.

Quant à Bruno Retailleau, il n’a jamais nié les faits. Invité sur France Inter le 10 octobre 2017, le chef de file des sénateurs LR a même ri de bon cœur en écoutant la tribune de l’humoriste Charline Vanhoenacker. “Quand même, à côté de Balkany, Guéant, Woerth et tous les cas, n’as-tu pas un peu honte, toi, avec ton histoire de tricherie ? Intervilles

Anna

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