Emmanuel Macron est revenu le 8 mai dans un entretien au Elle sur son « grand plan » contre le « fléau » de « l’infertilité » annoncé en janvier dernier. Le chef de l’Etat a réaffirmé sa volonté de “générer une natalité dynamique” en promettant d’améliorer l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) et en instaurant un “bilan de fertilité” remboursé par l’Assurance maladie vers 20 ans.
Des propos avec lesquels l’ancienne ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn a pris ses distances ce dimanche dans les colonnes du Figaro.
« Il convient de s’attaquer avant tout aux facteurs de risque et à leur prévention, plutôt que de vouloir médicaliser la question démographique », a-t-elle déclaré. “Il n’y a pas une épidémie d’infertilité mais des causes exogènes.”
Elle cite notamment les grossesses tardives des femmes pour des raisons d’études, de difficultés locatives, de carrière professionnelle ou encore la consommation de tabac et d’alcool dans la population et la complexité des “relations hommes/femmes”.
Une évaluation bénéfice-risque
Cette ancienne présidente de la Haute autorité de santé se dit « surprise » par l’idée d’un « bilan de fertilité » sans qu’aucune « évaluation » de cette mesure n’ait été faite au préalable.
« On ne décide pas des mesures de santé publique sans qu’elles soient scientifiquement validées, sur la base de critères précis reconnus internationalement », souligne-t-elle.
Avant d’ajouter : « Il faut évaluer les bénéfices attendus et les risques encourus, notamment psychologiques et éthiques. Il faut aussi prendre en compte leur efficacité, c’est-à-dire le coût pour la Sécurité sociale en fonction, par exemple, du nombre de vies sauvées.
Soulignant que “la réserve ovarienne varie en fonction de facteurs exogènes (alimentation, tabac, surpoids, etc.)” et que “l’infertilité d’un couple est parfois la conséquence d’autres facteurs, notamment psychologiques”, elle affirme que seules les “circonstances” ” d’une telle évaluation doit être médicalement interrogée.
« Certains voient dans la congélation des œufs un marché lucratif »
Pour réduire les délais d’attente pour la procréation médicalement assistée (PAM), le président de la République a annoncé son intention d'”ouvrir l’autoconservation des ovules aux centres privés”, “jusqu’ici réservés aux hôpitaux”.
Agnès Buzyn tire alors la sonnette d’alarme : “Il faut se garder de défaire les barrières que nous avons érigées dans la loi de bioéthique”.
Elle explique qu’en 2021, « le Parlement a choisi de limiter cette activité au secteur public car l’éthique française repose sur des principes fondamentaux dont la non-marchandisation du corps humain ».
Sachant que selon l’ancien ministre on “assiste actuellement à une financiarisation de la santé, très difficile à réguler”, il faut “craindre des dérives à long terme”, d’autant que “certains voient dans la congélation des ovocytes un marché lucratif”.
“Le seul moyen de régulation est de réserver tout ce qui touche aux fragments du corps humain – transplantations d’organes, ovocytes ou embryons – à un secteur qui n’en tire aucun bénéfice commercial”, affirme-t-elle, précisant que “pour répondre à la demande » de la PMA, il vaudrait mieux « mettre de l’argent dans le secteur public ».
“C’est un discours qui exploite les femmes”
Le professeur d’hématologie estime que contrairement à ce que laisse entendre Emmanuel Macron, « ces mesures » ne sont pas « féministes ».
«C’est un discours qui exploite les femmes, leur fait payer d’une certaine manière leur autonomie retrouvée et les essentialise», estime-t-elle.
La « généralisation » de la congélation des ovules – devenue un « droit » dans la loi de bioéthique de 2021 et non « un devoir » – fait peser « une charge mentale supplémentaire sur les femmes » et « ne prend pas en compte les luttes féministes pour l’égalité entre les femmes et les hommes ». hommes qui doivent porter avant tout sur la place des femmes dans la société ».
« La réponse au déclin démographique ne peut être une médicalisation excessive de la fertilité des couples », assure l’ancien président de l’Institut national du cancer.
“Ces propos ne sont pas féministes”
A un mois des élections européennes “si l’objectif est de rallier les voix féministes”, répète Agnès Buzyn, “ces propos ne sont pas féministes”. “Au lieu de remettre en question la place des femmes dans la société, ils les ramènent à leur rôle de procréatrice”, précise-t-elle, s’inquiétant de “l’usage politique de tout ce qui touche à la procréation” qui pourrait conduire à “des dérives”.
Elle ajoute : “Si la démographie doit être une préoccupation collective et donc politique par essence, la fonction de procréation doit rester une préoccupation individuelle, d’ordre intime.”
Dans son entretien avec Elle, le chef de l’Etat a également précisé les contours du futur congé de naissance qui remplacerait le congé parental. Ce nouveau congé serait de “trois mois pour les mères, trois mois pour les pères, cumulables pendant la première année de l’enfant et indemnisés à hauteur de 50% du salaire jusqu’au plafond de la Sécurité sociale”, soit 1.900 euros.
Cette mesure devrait entrer en vigueur en août 2025, et une consultation sera lancée par le gouvernement à partir de ce mercredi 15 mai sur ce sujet entre syndicats, patronat et associations.
Article original publié sur BFMTV.com