De quand datent ces tensions ?
Les relations entre les gouvernements indien et canadien se sont particulièrement détériorées entre 1974 et les années 1990, explique Serge Granger. Cette période coïncide « avec une résurgence du mouvement séparatiste sikh » au Canada, explique-t-il. Certains membres de cette communauté, qui compte plus de 750 000 personnes dans le pays, réclament la création d’un État, le Khalistan. Cette dernière inclurait notamment le Pendjab, région à majorité sikh partagée entre l’Inde et le Pakistan, à laquelle l’Inde est fermement opposée.
Pourquoi l’Inde veut-elle le Canada ?
« L’Inde reproche donc au Canada d’être « un peu mou » face à cette résurgence du mouvement séparatiste sikh dans le pays », résume Serge Granger. Rappelons que la pire attaque terroriste de l’histoire canadienne, celle du vol d’Air India, qui a tué 329 personnes en 1985, a été attribuée aux extrémistes sikhs. Qui plus est, « l’Inde reproche au Canada de ne pas protéger ses diplomates face aux intimidations de ces séparatistes sikhs », une accusation récurrente depuis les années 1980, indique-t-il. Toutefois, les événements récents justifient d’une certaine manière ces craintes, notamment la tenue de référendums au Canada sur l’indépendance du Khalistan, au cours desquels des actes de violence passés auraient été célébrés, souligne Serge Granger. Un de ces événements a eu lieu au temple de Surrey, en Colombie-Britannique, où Hardeep Singh Nijjar a été tué par balle à la mi-juin.
L’ingérence étrangère n’est-elle pas une recette pour les dictatures ?
En effet, la perception populaire et la couverture médiatique mettent l’accent sur les États hostiles et non démocratiques comme source d’ingérence étrangère. En tête de liste : la Chine, la Russie et l’Iran. Mais de nombreux rapports d’universitaires et de spécialistes identifient plusieurs autres pays comme sources d’ingérence au Canada, parmi lesquels des alliés stratégiques ou commerciaux comme la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Inde, souligne Thomas Juneau. « L’ingérence étrangère est un concept très large. Il n’est pas toujours évident de savoir où cela commence et où cela se termine. Ce sont des activités qui vont de légèrement inquiétantes à très intenses, comme des assassinats », explique-t-il. Dans le cas de l’Inde, Thomas Juneau identifie l’intimidation des militants séparatistes sikhs au Canada comme la « principale » source d’ingérence du pays.
Comment cette annonce de Justin Trudeau peut-elle nuire aux relations entre le Canada et l’Inde ?
Cela retardera certainement la signature des accords commerciaux sur lesquels travaillaient l’Inde et le Canada et retardera la participation de ce dernier à certaines organisations internationales dont l’Inde est partie. « Cela repoussera un rapprochement indo-canadien très souhaité par le milieu des affaires. Les échanges commerciaux entre le Canada et l’Inde sont sous-performants, juge Serge Granger. Nous pourrions exporter trois fois plus (vers l’Inde), il y a donc une marge d’amélioration. » Il va sans dire que la population indienne est en croissance et continuera de croître jusqu’en 2070, pour atteindre 1,7 milliard d’habitants, d’où son rôle central sur la scène mondiale. De plus, rien qu’en 2022, le Canada a accueilli 118 000 migrants en provenance de l’Inde. « Il faut avoir des relations un minimum cordiales avec ce pays », estime Serge Granger.
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