Ce qu’il faut savoir sur cette aide qui divise le gouvernement et que Bruno Retailleau veut réformer

C’est depuis des années l’une des cibles favorites de l’extrême droite. L’Aide médicale d’Etat (AME), créée en 1999, est dans le collimateur du Rassemblement national et d’une partie de la droite. Selon eux, elle incite les étrangers à venir en France pour en bénéficier.

Le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a annoncé lundi soir au journal de 20 heures de TF1 qu’il souhaitait la réformer en Aide médicale d’urgence (AMU). “Nous sommes l’un des pays qui donne le plus d’avantages. Je ne veux pas que la France soit le pays le plus attractif d’Europe pour un certain nombre de prestations sociales d’accès aux soins”, a-t-il expliqué. Un argument déjà avancé en 2019 par le RN, lorsque sur Yahoo, Jordan Badella avait proposé de supprimer l’AME et de la remplacer par un fonds d’urgence, pour “enrayer ces pompes à aspiration d’immigration que constituent les AME”.

Un domaine dans lequel il pourrait avoir la capacité d’agir puisque Michel Barnier a déclaré lors de sa nomination qu'”il n’y a pas de tabou, ni de totem, il y a simplement le souci de traiter cette question avec fermeté et humanité. Je voudrais aussi aborder un sujet qui coûte très cher, qui est celui de la fraude fiscale, bien sûr, mais aussi de la fraude sociale”, a déclaré Michel Barnier au journal de 20 heures de France 2.

Une décision qui pourrait être la première fracture au sein du gouvernement fraîchement nommé. En novembre dernier, la nouvelle ministre de la Santé Geneviève Darrieusecq signait une tribune dans La Croix pour demander le maintien de l’Aide médicale d’État en plein débat sur le projet de loi sur l’immigration et alors que les sénateurs républicains défendaient la suppression de l’AME. Ce mardi, la ministre Agnès Pannier-Runacher a estimé qu’une “suppression” de l’Aide médicale d’État (AME) ne serait “pas acceptable”, reconnaissant que “tous les systèmes sont améliorables”

Au-delà du gouvernement, le sujet pourrait aussi diviser la fragile coalition gouvernementale, certains députés EPR et Horizons ayant déjà annoncé publiquement leur opposition à la suppression de l’AME.

Une suppression à laquelle s’oppose également l’ensemble du monde médical, des parlementaires qui en sont issus comme Frédéric Valletoux jusqu’à l’ONG Médecins du Monde, en passant par l’association Aides et les syndicats de médecins.

L’Aide médicale d’Etat garantit aux étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français depuis au moins trois mois et disposant de revenus inférieurs à 9.500 euros par an une prise en charge des soins médicaux et dentaires, des frais d’analyses, d’hospitalisation et d’interventions chirurgicales, ceux liés à la contraception, à l’interruption volontaire de grossesse et les frais relatifs à certaines vaccinations ainsi que ceux liés à certains dépistages, rappelle Ameli.

Un rapport sénatorial publié début 2023 estimait le nombre de bénéficiaires de l’AME à 423 000 en 2022, en hausse de 43 % par rapport à 2019, pour un coût global de 1,140 milliard d’euros à la charge de l’Assurance maladie. Un chiffre qui ne représente que 0,5 % des dépenses totales de santé en France.

Les quelques éléments disponibles sur l’AME ne donnent pas du tout raison à Bruno Retailleau ni aux détracteurs de l’AME. En 2019, l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) a mené une enquête auprès de plus de 1 000 étrangers éligibles à l’AME sur les raisons de leur venue en France.

En tête de liste figurent les raisons économiques (43%), les raisons politiques (22%), les raisons privées (14%) et enfin la santé (10%). « Dans l’enquête, personne ne nous a dit ‘je suis venu en France parce que je sais qu’il y a un système qui me permet de me faire soigner’ », explique à France Info Florence Jusot, chercheuse associée à l’Irdes. Selon la même étude, seuls 51% des étrangers éligibles à l’AME en bénéficieraient. Et parmi les 49% qui n’en ont pas bénéficié, un tiers déclare n’en avoir jamais entendu parler.

« Ces résultats suggèrent que la plupart des migrants ont peu de connaissances sur l’AME et n’ont pas tous la capacité d’utiliser un système complexe. Même après cinq ans ou plus de résidence en France, 35 % des personnes sans titre de séjour ne disposent pas d’AME », écrivent les auteurs de l’étude.

En 2023, un rapport rédigé à la demande du gouvernement par l’ancien ministre socialiste de la Santé Claude Évin et par Patrick Stefanini, ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, ne préconisait pas la suppression de ce système mais esquissait des pistes de réforme.

Les deux hommes écrivaient notamment que « l’utilité sanitaire (de l’AME) est confirmée » et soulignaient un « risque important d’abandon de soins », en cas de suppression du dispositif, qui « aurait le triple impact d’une dégradation de l’état de santé des personnes concernées, d’éventuelles conséquences sur la santé publique et d’une pression accrue sur les établissements de santé ». Ainsi, l’AME permet notamment de prévenir le VIH, la tuberculose ou les hépatites et ainsi de limiter leur développement et les infections au sein de la population générale.

En 2019, l’accès à l’AME a été durci, notamment avec l’introduction de la condition d’être en situation irrégulière sur le territoire depuis trois mois.

Depuis janvier 2021, certains soins et traitements non urgents sont pris en charge après un délai de 9 mois après l’admission à l’AME pour tout nouveau bénéficiaire majeur ou pour ceux n’ayant pas bénéficié de l’AME depuis plus d’un an, précise l’Assurance Maladie sur son site.

Dans leur rapport, Claude Évin et Patrick Stefanini proposent différentes pistes pour réformer l’AME : informatiser la carte d’ayant droit de l’AME pour lutter contre les refus de soins des soignants rebutés par la lourdeur de la gestion administrative, étendre sa durée de validité d’un à deux ans, étendre l’obligation pour ses bénéficiaires de déclarer leur médecin traitant, ou encore exclure du bénéfice de l’AME les personnes faisant l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire pour motif d’ordre public.

Anna

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