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Ces peines entendues au procès Mazan, si symptomatiques de la culture du viol

Cette semaine, la cour d’assises d’Avignon a été le théâtre de débats houleux entre Gisèle Pelicot et les avocats de plusieurs accusés. Certains propos de la défense ont choqué l’opinion publique.

Depuis l’ouverture du procès pour viol de Mazan, Gisèle Pelicot est devenue l’un des symboles français de la lutte contre les violences sexuelles. Malgré tout, dans l’enceinte de la cour d’assises d’Avignon, elle est soumise à des questions de plus en plus inquisitoriales de la défense ; et à des propos considérés comme contribuant à la « culture du viol ». Comme le souligne l’essayiste Noémie Renard (et auteure du livre Mettre fin à la culture du viol) dans une interview avec Monde « La culture du viol désigne l’ensemble des stéréotypes et des faits sociaux qui favorisent le passage à l’acte dans les cas de violences sexuelles et empêchent qu’elles soient identifiées comme telles une fois l’acte commis, en les faisant passer pour des relations sexuelles « normales ».

« Madame était consentante et joueuse »

Mercredi 18 septembre, 27 photos intimes de Gisèle Pelicot – toutes issues du disque dur de Dominique Pelicot – ont été dévoilées devant le tribunal correctionnel d’Avignon, où son ex-mari est jugé pour avoir violé et fait violer sa femme par une cinquantaine d’autres hommes, jugés à ses côtés. Franceinfo la septuagénaire apparaît tantôt nue, tantôt en sous-vêtements. Cette série de photos dévoile des gros plans sur ses parties intimes, plusieurs scènes de sexe (avec son ex-mari, parfois avec d’autres hommes), et des poses extrêmement suggestives d’elle-même avec des sextoys.

Comme le raconte l’histoire Le Figaro deux avocats de la défense – Isabelle Crépin-Dehaene et Philippe Kabore – ont insisté pour que le visionnement de ces photos ait lieu dans la salle d’audience, “utile à la manifestation de la vérité”, Selon eux. En plus de contredire les déclarations de Gisèle Pelicot qui affirme que ces photos ont été prises à son insu, elles prouveraient qu’il y avait “au sein du couple Pelicot, un jeu sexuel”, assure Isabelle Crépin-Dehaene. Avant d’ajouter que “certaines de ces photos auraient pu être partagées par M. Pelicot”, et auraient pu laisser penser à certains des hommes aujourd’hui dans le box des accusés que “Madame était consentante et joueuse pour aller partager un moment à trois”.

Gisèle Pelicot, de son côté, nie. Elle n’a jamais volontairement participé à de telles mises en scène. Pour elle, même quand elle a les yeux ouverts, elle est sous les effets d’une soumission chimique, infligée par son mari de l’époque. Elle insiste également sur le fait que ce n’est pas toujours elle sur les photos, rapporte notre confrère de FigaroElle en veut pour preuve la grosseur qu’elle a sur le ventre : « Si je dois dévoiler une partie de mon anatomie pour prouver que ce n’est pas moi sur ces photos, je vais le faire. » Dissuadé par le président, elle s’agace ensuite dans le box des accusés. « Que cherche-t-on dans cette salle ? Que je sois coupable ? On se demande qui est coupable dans cette salle d’audience ! » Réponse de Me Nadia El Bouroumi, avocate de la défense : « Vous êtes dans une position où vous dites : “Mon mari a tout fait à mon insu”. Mais si vous disiez : “J’ai fait ce que je voulais, j’ai pris des photos, c’est mon problème. Je prends un gode, et ça me fait plaisir”, ce serait votre droit. »

« Tu n’aurais pas de tendances exhibitionnistes ? »

Le même jour, un autre avocat demande à Gisèle Pelicot : « Vous n’auriez pas des tendances exhibitionnistes que vous n’avoueriez pas ? » « Je ne vais même pas répondre à cette question, car je trouve cela très insultant ! Je trouve cela dégradant et humiliant », proteste la victime. À la lecture de ces témoignages, la stratégie de la défense intrigue. Même scandaleuse. La journaliste Victoire Tuaillon (créatrice, entre autres, du podcast Des boules sur la table) partage ses sentiments sur X : « Le pays découvre donc comment les victimes de violences sexuelles sont souvent piétinées devant les tribunaux. C’est horrible, n’est-ce pas ? »

« Vous êtes également responsable de cette diffusion »

L’interrogatoire se poursuit : Me Nadia El Bouroumi interpelle Gisèle Pelicot sur le fait qu’elle a demandé que les audiences ne se déroulent pas à huis clos, afin que « la honte change de camp » selon son avocat Me Stéphane Babonneau. « Il y a eu un débat sur la présentation publique de ces photos. Je suis une femme, je suis gênée ! On ne voulait pas que ce soit diffusé devant tout le monde. Vous êtes en colère, mais vous êtes aussi responsable de cette diffusion ! », invective Me El Bouroumi, lit-on encore dans le rapport de Juliette Campion pour Franceinfo.

Cette même Nadia El Bouroumi, qui représente deux accusés dans le procès Mazan, a également créé la polémique ces derniers jours. Et pour cause : sur son compte Instagram suivi par près de 50 000 abonnés, elle prend publiquement position sur l’affaire sur les réseaux sociaux et donne de nombreux détails. Le monde “Face à face bruyante de la défense”, elle a posté jusqu’à une vingtaine de stories sur Instagram. A la sortie de l’audience ou au volant de sa voiture, elle revient sur les échanges parfois tendus qu’elle a eus avec Gisèle Pélicot. “Pourrait-on interdire à cette avocate-influenceuse de faire des stories sur le procès du viol de Mazan ? Outre le fait que ses arguments sont méprisables (Gisèle Pélicot aurait été “à moitié consciente”), la façon dont elle se présente est intolérable”, s’alarme la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie sur X.

Face aux critiques, Nadia El Bouroumi a répondu à sa manière, toujours sur les réseaux sociaux et toujours au volant de sa voiture : en dansant au son de Réveille-moi avant de partirle coup de Wham!. “A tous les extrémistes de pensée qui tentent de me museler ! Pour vous !”, a-t-elle ajouté dans un commentaire. Celle qui s’est immédiatement attirée les foudres des internautes a depuis annoncé avoir déposé une “plainte pour harcèlement”.

« Il y a viol et viol »

Guillaume De Palma, avocat de plusieurs accusés dans le procès Mazan, a lui aussi provoqué la stupeur avec cette position sur le viol : « Il y a viol et viol », a-t-il déclaré, semblant minimiser l’intention réelle de certains accusés. « A partir du moment où il y a une intention coupable, à partir du moment où on peut prouver que celui qui a commis les actes de viol avait conscience de commettre des actes de viol, il y a viol. Sinon, il n’y a pas de viol et c’est ce que nous disons depuis le début pour tous nos clients. »

Au milieu d’une nuée de journalistes armés de micros, il est interrogé sur « l’absence de consentement ». « Nous ne sommes pas dans le droit américain, insiste l’avocat. C’est-à-dire qu’en France, il n’est pas nécessaire d’avoir obtenu le consentement de la victime pour s’assurer forcément qu’il n’y a pas de viol. Pour qu’il y ait viol, il faut démontrer l’intention coupable de l’auteur. Si l’auteur s’est trompé, ou a mal compris, la Cour de cassation dit qu’il n’y a pas de viol. »

Fortement critiqué, Me De Palma est depuis revenu sur ses propos controversés : « J’ai expliqué qu’il y avait eu viol dans son acception médiatique et juridique. Que les propos vous aient blessé, aient pu vous choquer, j’en suis désolé. Ce n’était pas mon intention. Mon intention était de rappeler les règles de droit », a-t-il déclaré devant Gisèle Pelicot, comme le souligne un article de Monde .

« Nabilla aurait pu vendre ses seins en plastique »

Une autre avocate de la défense, Isabelle Crépin-Dehaene, a également provoqué un tollé il y a quelques jours en partageant sur le réseau social LinkedIn un article sur la cagnotte lancée par l’ex-star de téléréalité Nabilla Benattia Vergara en soutien à Gisèle Pelicot (que cette dernière a refusée), avec le commentaire : “Dommage. Elle aurait pu vendre ses seins en plastique.” Un message qu’elle a ensuite supprimé.

Quelques jours plus tôt, à l’ouverture du procès le 2 septembre, elle avait déjà fait la une des journaux après avoir critiqué la manifestation féministe qui s’était déroulée devant le palais de justice d’Avignon, qualifiant l’action de “manifestation complètement ratée”. “J’espère qu’elles ne se sont pas levées trop tôt et qu’elles n’ont pas raté la rentrée de leurs enfants pour finir comme ça”, peut-on lire sur son post LinkedIn.

« Aucune femme n’est morte »

Mardi 17 septembre au soir, ce sont les propos de Louis Bonnet, le maire de Mazan, qui ont fait réagir les internautes. Dans une interview accordée à la BBC, le maire a minimisé les actes subis par Gisèle Pelicot depuis près de dix ans : « Cela aurait pu être plus grave, il n’y a pas eu d’enfants impliqués, aucune femme n’est morte. » Puis il a enfoncé le clou : « Quand il y a des enfants impliqués, ou des femmes tuées, alors c’est très grave parce qu’il n’y a pas de retour en arrière. Dans ce cas, la famille va devoir se reconstruire. Ce sera dur. Mais ils ne sont pas morts, donc ils peuvent encore le faire. »

Joint par téléphone par La Matinée Dauphiné Libéré/Vaucluse Louis Bonnet a regretté ses propos « qui ont été repris dans une interview qui a duré 20 minutes ». « J’ai dit quelque chose que je n’aurais certainement pas dû dire. Une fois que c’est dit, c’est dit, et le journaliste l’a souligné parce que ça lui a plu. (…) mon but était de montrer que Mazan n’est pas un village de violeurs, mais un village paisible, sans couvre-feu, ni de gens qui ont peur, comme je l’ai dit dans tous les médias. Pour cela, j’ai utilisé des mots qui n’étaient pas tout à fait appropriés, je l’avoue. Quand je dis “personne n’est mort”, il est vrai que Mme Pelicot n’a pas été tuée. Dans les affaires de viol, il y a souvent des meurtres derrière. Elle aurait pu être tuée s’ils avaient continué, si son mari avait continué à augmenter la dose pour l’endormir, dans quelques années. » Maladresse ou pas, le mal est déjà fait.

L’affaire Mazan, le procès de la culture du viol

Il n’en demeure pas moins que ces phrases – sexistes ou émaillées de critiques à l’égard de Gisèle Pelicot – semblent discréditer sa parole de victime. Mais elles illustrent surtout une chose : la culture du viol, dans laquelle hommes et femmes ont toujours été plongés. Le mondeL’essayiste Noémie Renard partage cette réflexion : « Le fameux « elle l’a cherché », qui resurgit dans chaque cas de violences sexuelles, est une conséquence directe de cet inconscient collectif. Non seulement on trouve des excuses à l’agresseur, mais il est fréquent que les victimes, qui baignent elles aussi dans cette culture du viol et peuvent donc adhérer à certaines de ses croyances, se sentent responsables des violences sexuelles qu’elles ont subies. On assiste alors à un transfert de responsabilité de l’acte des agresseurs vers les victimes. » La philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury abonde dans le même sens et dénonce, pour sa part dans un billet pour Humanité que « les violences basées sur le genre permettent tous les abus et tous les crimes ». « Concernant le viol, depuis la nuit des temps, c’est le devoir de la victime d’échapper au violeur », écrit-elle. Visiblement, le spectre de la culture du viol n’a pas fini de planer sur le procès Mazan.

Anna

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