Cinq ans après la dernière attaque, comment La Réunion a supprimé le « risque requin »

Entre 2011 et 2019, onze personnes ont été tuées par des requins à La Réunion et plusieurs autres grièvement blessées. Mais depuis cinq ans, aucune attaque n’a été enregistrée : la raison, une stratégie complexe de réduction des risques.

Sur le bateau de la Réunion Surf League, Norbert Sénescat envoie ses plongeurs à l’eau pour un test rapide : huit mètres de visibilité, la zone est validée. Un message sur les réseaux sociaux et, dès 9h00, drapeau vert hissé, les surfeurs afflueront.

Sous l’eau, les plongeurs arpenteront inlassablement ce spot de surf de Trois-Bassins, à l’ouest de l’île, jusqu’à 15 heures, à l’affût du moindre requin bouledogue ou requin tigre, les deux espèces s’attaquant à l’origine aux humains.

Au même moment, deux bateaux patrouillent en surface et des caméras sont immergées pour observer le monde sous-marin. Sur terre comme en mer, un duo de chefs d’équipe scanne en permanence les images, prêts à tirer la sonnette d’alarme si un requin est aperçu.

Mis en place il y a une dizaine d’années, d’abord de manière artisanale, ce système appelé « vigie renforcée des requins », qui fonctionne désormais sept jours sur sept, a fait ses preuves. Depuis le 9 mai 2019, aucune attaque n’a été enregistrée à La Réunion. La fin d’une sombre série : entre 2011 et cette date, trente attentats, dont onze mortels, s’étaient succédés.

« Le bilan n’est que positif. Quand on voit le nombre de personnes qui retournent à l’eau, les manifestations, les associations qui ramènent les enfants… », sourit Norbert Sénescat, lui-même figure locale de la glisse.

– Une pêche préventive controversée –

Michael Hoarau, directeur des opérations au Shark Safety Center (CSR), salue « la plus longue période sans attaque à La Réunion depuis le début du recensement » des interactions avec les requins dans les années 1970.

C’est ce groupement d’intérêt public qui pilote la stratégie locale de réduction des risques depuis 2016. Vingt-six millions d’euros lui ont déjà été alloués.

Le cœur du système est un programme de pêche préventive qui divise extrêmement entre ceux qui voudraient plus d’échantillons et ceux qui dénoncent un scandale écologique.

Pour désamorcer le débat, la CSR promeut un outil artisanal baptisé « Pavac », équipé d’un appât « technologique » qui alerte les pêcheurs en cas de capture. Ils ont ensuite 90 minutes pour s’y rendre, accompagnés de scientifiques qui veilleront à ce que la capture soit relâchée correctement s’il ne s’agit pas d’un requin tigre ou bouledogue.

Le CSR annonce un taux de survie des « prises accessoires » de plus de 82 %, quand la pêche préventive en Australie ou en Afrique du Sud n’atteint pas les 30 % de survie. « Nous avons pêché 59 requins bouledogues de 2018 à aujourd’hui : ce n’est pas le massacre dont on nous accuse », assure Michael Hoarau.

« Il y a beaucoup de prises accessoires, y compris des espèces en danger critique d’extinction », répond Bernard Bonnet, de l’association Vie Océane, estimant que les animaux relâchés, même vivants, « ne sont pas indemnes ».

– Trop plein –

Loin de ces débats, le surf revient à la mode à La Réunion.

Le nombre d’écoles, passé d’une douzaine en 2011 à deux, a augmenté ces deux dernières années et l’activité économique redémarre. Sur la plage de Trois-Bassins, Marin Meier, directeur d’une école qu’il a lancée en 2022, initie quelques adultes aux fondamentaux de la pratique sur un bout de sable, à l’écart de la foule.

« On a des gens qui ont eu très peur mais qui reviennent parce qu’on a mis tout un système en place », salue l’homme de l’île. Mais la croissance est telle que de nombreux surfeurs et enseignants se sentent à l’étroit.

Car un arrêté préfectoral de 2013 interdit la baignade et les « activités entraînées par la force des vagues » (surf et bodyboard) en dehors du lagon ou des zones spécialement aménagées, c’est-à-dire celles surveillées par des « requins guetteurs ».

Thierry Martineau, président de la Ligue de Surf de La Réunion, dit craindre désormais plus les blessures dues à la surpopulation des spots de surf que les requins.

Son objectif : « avoir deux places ouvertes simultanément pour pouvoir diluer ce nombre de personnes ». Cela n’impliquerait pas nécessairement une réduction du lourd système de surveillance qui emploie une dizaine de salariés par zone.

Mais pas question d’oublier les drames : « On sait que le risque requin sera toujours présent à La Réunion », reconnaît-il. Début mai, un requin bouledogue « agressif » a été aperçu par un plongeur au large de Saint-Leu, spot connu pour sa vague mondialement connue.

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