POLITIQUE – Le casting est connu. Mais les acteurs principaux compliquent l’Ă©criture du scĂ©nario. Maintenant que les nouveaux ministres se sont rencontrĂ©s, Ă Matignon ou Ă l’ÉlysĂ©e, le rĂ©alisateur Michel Barnier planche sur son discours de politique gĂ©nĂ©rale, prĂ©vu le 1er octobre comme vĂ©ritable lever de rideau de ce nouveau film.
Gouvernement Barnier : l’aile gauche de la Macronie mettra-t-elle cette fois sa menace Ă exĂ©cution ?
La tâche est pour le moins complexe. Le Premier ministre, en plus de n’avoir aucun programme en main pour appuyer la légitimité de son projet ou de ses propositions, doit composer avec les volontés d’un gouvernement censé être plus hétéroclite que jamais. De toute évidence, chaque sensibilité de cette équipe a tracé ses propres lignes rouges.
Problème : ils sont parfois contradictoires, voire incompatibles avec les limites fixĂ©es par leur voisin. Au point de contrecarrer les plans de Michel Barnier ? Le nouvel homme fort de l’exĂ©cutif sera inĂ©vitablement appelĂ© Ă trancher certains dĂ©bats (volcaniques), au risque d’ĂŞtre contraint Ă l’immobilisme.
Retailleau – Migaud, dĂ©jĂ de la friture au programme
Les tĂ©lĂ©spectateurs rĂ©guliers du journal de 20 heures de lundi soir ont pu constater la manifestation Ă©clatante de cette dangereuse scission. En première page, le ministre de l’IntĂ©rieur Bruno Retailleau a poursuivi son offensive pour « la commande “, quitte Ă mettre la pression sur son collègue de la Justice, l’ancien socialiste Didier Migaud. Il lui a rĂ©pondu en direct sur France 2.
” Il faut aussi sans doute revoir un certain nombre de cadres pour faire Ă©voluer une politique pĂ©nale qui, je crois, a permis Ă ce droit Ă la non-exĂ©cution des peines de s’installer depuis très longtemps. “, a ainsi estimĂ© le nouveau patron de la place Beauvau, suggĂ©rant fortement la crĂ©ation de nouvelles places de prison. Une nouvelle rĂ©ponse de son collègue de la place VendĂ´me, quelques secondes plus tard : “ Il doit savoir que la justice est indĂ©pendante dans notre pays et que c’est quelque chose qui est essentiel dans une dĂ©mocratie. “Aie.
En rĂ©alitĂ©, la relation entre Didier Migaud et Bruno Retailleau est Ă scruter de près. D’abord parce que le lien entre le ministre de la Justice et le ministre de l’IntĂ©rieur est souvent marquĂ© par des tensions, comme l’ont montrĂ© les premières semaines du duel Darmanin-Dupond-Moretti, devenu au fil des mois un duel. Ensuite parce que les deux nouveaux locataires auront fort Ă faire pour se comprendre, puisqu’ils sont issus de familles politiques diffĂ©rentes.
Le ministre de la Justice, qui est aussi le numĂ©ro 2 du protocole du gouvernement, est un ancien socialiste (avant 2010) attachĂ© au respect de l’État de droit et Ă la rigueur budgĂ©taire. Bruno Retailleau, lui, utilise depuis des annĂ©es le vocabulaire de l’extrĂŞme droite sur les questions de sĂ©curitĂ© et de migration, pour lutter contre la corruption. « une sorte de rĂ©gression vers les origines ethniques » ou de « processus de dĂ©civilisation ». Il dĂ©fend par exemple l’instauration d’une prĂ©fĂ©rence nationale pour l’accès aux prestations sociales, et ce contre l’avis du Conseil constitutionnel (y compris sur le fond). Difficile donc d’envisager un dialogue constructif entre les deux ministres.
AME, le totem qui se transforme en piège ?
Ce sont peu ou prou les mêmes questions qui sont évoquées dans les débats sur l’Aide médicale d’État (AME). Les Républicains, qui font de cette enveloppe réservée aux soins médicaux prodigués aux migrants un totem, ont rapidement mis le sujet sur la table. Alors que le ministre de l’Intérieur a confirmé lundi soir son souhait de la réformer, Michel Barnier explique de son côté que la question n’est pas « d’ordre public ». tabou. »
Problème cette fois-ci : c’est une ligne rouge claire pour la Macronie et une partie du camp prĂ©sidentiel. L’AME “ n’est pas un sujet d’attractivitĂ© pour l’immigration mais un enjeu de santĂ© publique “, a par exemple soufflĂ© la dĂ©putĂ©e Agnès Firmin Le Bodo (une proche d’Edouard Philippe et ancienne ministre de la SantĂ©) ce mardi sur le rĂ©seau social X, Ă l’unisson des groupes EPR (ex-Renaissance), Horizons ou MoDem.
Alors qui rĂ©ussira Ă censurer le scĂ©nario ? D’un cĂ´tĂ©, Bruno Retailleau proclame qu’il “ n’est pas ici pour faire semblant ” et pourrait, par consĂ©quent, difficilement assumer des renoncements majeurs Ă l’Ă©gard du projet qu’il dĂ©fend ardemment depuis plusieurs annĂ©es. En revanche, la ministre de la Transition Ă©cologique, Agnès Pannier-Runacher juge ce recul dĂ©magogique ” n’est pas acceptable ” Ce n’est pas une Ă©quation simple.
Le budget aussi, tracas assurés
D’autant que les donnĂ©es contradictoires ne s’arrĂŞtent pas lĂ : ces dĂ©saccords ne se limitent pas au pĂ©rimètre de Bruno Retailleau, le nouveau (et dĂ©jĂ irritant) ministre de l’IntĂ©rieur. Ils concernent aussi le budget et les questions liĂ©es Ă la fiscalitĂ©.
Pour contribuer au redressement des finances publiques, gravement dégradées et menacées de dérailler comme rarement auparavant, le Premier ministre Michel Barnier estime nécessaire de mener « prélèvements ciblés sur les particuliers fortunés ou certaines grandes entreprises »En bref : taxer les riches.
Une ambition qui, si elle se rĂ©alisait, irait Ă l’encontre de la doctrine fiscale des RĂ©publicains, et renverserait un totem de la Macronie, très attachĂ© Ă la rĂ©duction du « pression fiscale ” sur les gens modestes, comme sur les plus aisĂ©s. Reste que la situation est telle que les oppositions semblent faiblir, du camp prĂ©sidentiel au Medef, et qu’un point d’accord semble possible sur une hausse des impĂ´ts, certes, mais qui ne toucherait pas les classes moyennes.
Tous ces sujets seront, quoi qu’il arrive, sur la table du sĂ©minaire gouvernemental de vendredi Ă Matignon, pour le premier vrai moment de travail de cette nouvelle Ă©quipe. Suivront ensuite de nouvelles journĂ©es de dĂ©bats et de consultations pour aboutir Ă une feuille de route commune. L’avenir du mandat de Michel Barnier Ă Matignon dĂ©pend, entre autres, de ces discussions. Un court ou un long mĂ©trage ?
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