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Combien de temps l’offensive russe dans le Donbass peut-elle durer ?


OOctobre 2023. Les forces armées russes, ayant résisté à l’offensive estivale ukrainienne dans l’oblast de Zaporijia au sud, contre-attaquent dans le Donbass à l’est. Avdiivka et ses environs deviennent l’épicentre de combats acharnés. La ville tombera en février 2024 sans que les Russes ne prennent de véritable pause opérationnelle.

Depuis, 1 057,79 km² sont tombés sous leur contrôle, selon les données de l’analyste War Mapper, principalement dans l’est de l’Ukraine. Au rythme actuel, il faudrait 114 ans à la Russie pour conquérir l’ensemble du pays. Ce lent grignotage s’est néanmoins accéléré, avec 350,66 km² pris rien qu’en août.

Bataille méthodique

Alors que l’Ukraine mène une offensive dans l’oblast de Koursk, la Russie poursuit son effort principal dans le Donbass. Après des pertes matérielles massives, l’armée russe a abandonné les chars et les véhicules blindés de transport de troupes. Elle s’est “infantérisée”, privilégiant les assauts limités à l’échelle de la compagnie (effectif théorique de 250 hommes) ou du bataillon (600 hommes), largement appuyés par l’artillerie et les bombes planantes.

Les Russes mènent depuis lors une bataille méthodique. Théorisée par l’armée française en 1918, elle consiste à mener une série d’attaques visant à marteler le front sans chercher de percée tout en restant à portée de son artillerie. « C’est une offensive de fort en fort où l’on va de ligne retranchée en ligne retranchée », explique Thibault Fouillet, directeur scientifique à l’Institut de stratégie et d’études de défense de l’université Lyon-3. « On ne cherche plus la grande bataille décisive qui vous renverse, mais la victoire aux points, en conservant l’initiative par une série d’attaques », ajoute Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine. Avec cette tactique, les forces russes se trouvent désormais à environ 8 km de la ville de Pokrovsk, un important nœud logistique sur le front ukrainien.

Grande consommatrice d’hommes et de moyens, elle impose néanmoins son tempo à l’armée ukrainienne. Malgré des lacunes dans son industrie de défense, la Russie peut compter sur des alliés fiables en Corée du Nord et en Iran, qui lui livrent régulièrement des obus, des drones et des missiles balistiques. Elle vit aussi de ses stocks de chars et de blindés de la guerre froide. Enfin, avec probablement plus de 500 000 hommes déployés, elle bénéficie de son avantage numérique, qui lui permet d’effectuer le remplacement de ses unités.

Faiblesses du commandement ukrainien

Succès incontestable en termes de communication à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Ukraine, l’offensive de Koursk n’a cependant pas réussi à attirer suffisamment de renforts russes pour freiner jusqu’ici leur avancée dans le Donbass. A l’inverse, les unités de brigades ukrainiennes engagées à Koursk n’ont pas suffi à repousser les assauts russes. Certaines tranchées se sont retrouvées vides, tandis que les villages n’ont subi que peu ou pas de bombardements avant leur prise. De plus, certaines relèves entre les unités de première ligne et celles qui devaient prendre leur place ont été mal coordonnées, conduisant à l’abandon de positions trop prématurément.

Ces erreurs mettent en évidence l’absence d’un C2 (commandement et contrôle) ukrainien de niveau intermédiaire. « En pratique, il aurait fallu créer un tel état-major à chaque fois que trois ou quatre brigades étaient constituées, et il devrait y en avoir une vingtaine désormais. On en est loin », explique Michel Goya dans une analyse détaillée des échecs ukrainiens. Un point de vue partagé sur X par le compte Tatarigami, tenu par un ancien officier ukrainien : « Malheureusement, le système de commandement actuel a conduit à de graves problèmes sur les lignes de front, notamment dans la région de Donetsk. C’est l’un des problèmes les plus difficiles à résoudre, car il repose sur les relations personnelles, la politique et la loyauté plutôt que sur des systèmes basés sur le mérite et les résultats. »

Le manque de munitions se fait également toujours sentir, alors que l’utilisation de missiles à longue portée sur le territoire russe, comme l’ATACMS américain, est soumise à conditions. « L’utilisation de drones, dont chacun ne transporte que quelques centaines de grammes d’explosifs, ne suffit pas à compenser l’artillerie conventionnelle avec des obus contenant plusieurs kilos. On manque aussi d’artillerie d’appui rapproché avec des mortiers », juge Michel Goya.

En maintenant une pression constante sur l’Ukraine, la Russie profite des erreurs de son adversaire et l’empêche de mener des réformes structurelles dans ses forces armées : licenciement des chefs d’unités incompétents, centralisation du commandement (divisé entre l’armée de terre, le corps des marines, l’assaut aérien et la défense territoriale), rationalisation des brigades (contre 17 types d’unités différentes, selon le décompte de Michel Goya).

Vers le point culminant ?

Après une année d’offensive russe continue, les experts se demandent : atteindra-t-elle bientôt son apogée ? Développé par Carl von Clausewitz (1780-1831) dans son ouvrage De la guerreCe concept repose sur le principe selon lequel toute offensive finit par s’essouffler après avoir engagé la majorité de ses forces. Poursuivre, c’est prendre le risque de subir une contre-attaque de l’ennemi.

L’arrivée de l’automne, avec son temps pluvieux, pourrait offrir aux forces ukrainiennes un ralentissement bienvenu de l’offensive russe. « Pluie ou ciel nuageux signifie moins de sorties aériennes, de frappes d’artillerie de précision, et aussi de drones en vol pour les deux camps », souligne Stéphane Audrand, consultant international en risques. Mais cette situation pourrait davantage handicaper l’attaquant que le défenseur.

L’une des principales inconnues reste le potentiel humain et matériel des deux camps. L’armée ukrainienne est désormais en infériorité numérique et doit attendre l’arrivée de nouvelles brigades formées à l’étranger, notamment en France. « Les Ukrainiens gardent quatre à cinq brigades blindées sous leur aile », explique Stéphane Audrand. Décimées dans les premiers mois de la guerre, les troupes professionnelles russes ont été remplacées par des conscrits et des volontaires formés à la hâte.

Le niveau tactique a certes baissé, mais l’expérience accumulée et les assauts limités suffisent, malgré les 600 000 pertes russes (tués, blessés, prisonniers) estimées depuis le début du conflit, à maintenir une masse d’infanterie. « Si les pertes finales (tués, blessés graves, capturés) dans l’armée russe sont supérieures à 30 000 hommes par mois, elle perdra sa capacité à renouveler ses unités », estime cependant Michel Goya. Or, le ministère britannique de la Défense a avancé le 5 septembre le chiffre de 1 187 soldats russes tués ou blessés par jour durant le mois d’août, soit près de 37 000 hommes.

« Les forces russes ne seront pas en mesure de maintenir l’initiative indéfiniment dans tout l’est de l’Ukraine », a déclaré l’Institut pour l’étude de la guerre le 6 septembre. « Les efforts offensifs intensifiés dans l’oblast de Donetsk, en plus des pressions opérationnelles persistantes causées par l’incursion de l’Ukraine dans l’oblast de Koursk, conduiront probablement à l’aboutissement des opérations offensives russes plus tôt que ne le souhaiterait le commandement militaire russe. »


Anna

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