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Jade Lacroix
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Comment un mari peut-il faire ça ? La personnalité de Dominique Pelicot, l’homme qui a drogué, violé et fait violer sa désormais ex-femme par 50 coaccusés entre 2011 et 2020, est interrogée lors de son procès historique qui s’est ouvert le 2 septembre 2024.
D’autant que les analyses de son profil ne présentent pas Dominique Pelicot comme un prédateur sexuel en marge de la société, mais plutôt comme un homme ordinaire, bien intégré, « un ami précieux » et sans pathologie mentale. Un profil déconcertant au vu des atrocités commises, qui montre également la banalité des violences sexuellessouvent commis par un proche, en privé.
Un accusé qui « ment beaucoup »
Lundi 9 septembre, la personnalité et les attirances sexuelles de ce septuagénaire ont été analysées par deux psychologues et deux psychiatres, à la barre du tribunal correctionnel de Vaucluse.
Après un parcours scolaire jugé “médiocre” par la psychologue Marianne Douteau, l’accusé a travaillé comme ouvrier dans une entreprise d’électricité avant de se lancer dans l’immobilier, avec un succès mitigé.
Il est décrit comme ” honorable mari, père et grand-père, ami estimé« Un père indéniablement aimant et présent », décrit le psychiatre Dr Paul Bensussan. Mais en même temps, l’homme est « très manipulateur » et « ment beaucoup ».
“C’est une personnalité à deux facettes : d’un côté, c’est un patriarche, sur lequel ses proches peuvent compter, (…) mais de l’autre, il est assez irresponsable dans sa gestion financière, usant de mensonges et de secrets”, expliquait dans la matinée la psychologue Marianne Douteau, parlant de quelqu’un qui est “colérique” et “inspire la peur”. Des traits similaires à ceux de son père, qu’il détestait.
Le 17 septembre, de retour au tribunal correctionnel de Vaucluse, il a lui-même reconnu « être un violeur » et repris l’idée d’une double personnalité :
Il y a un côté A et un côté B, je ne cache rien, c’est le même homme. Sauf qu’il y avait une addiction. J’avais des besoins, j’ai tout pesé sans réfléchir, comme un imbécile, comme un égoïste, et j’ai honte.
« Deux personnalités complètement opposées peuvent cohabiter au sein d’un même individu. C’est un clivage qu’il mènera simultanément à travers deux vies parfois opposées », selon Paul Bensussan.
Loin du mythe, un homme ordinaire
Car jusqu’à ce que les faits soient découverts à l’automne 2020, Dominique Pelicot n’éveillait pas les soupçons : il aidait ses petits-enfants, faisait du vélo avec ses voisins…
Evoquant le concept de « banalité du mal », théorisé par la philosophe Hannah Arendt, le psychiatre Laurent Layet a confirmé « l’écart parfois difficile à imaginer entre un individu assez ordinaire et ses actions qui ne le sont pas.
Dominique Pelicot ne souffre « d’aucune maladie mentale quelle qu’elle soit », prévient le Dr Bensussan.
Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les prédateurs sexuels comme Dominique Pelicot sont des hommes ordinaires, contrairement au cliché souvent véhiculé.
« Dominique Pelicot n’est pas un monstre »insiste suractu.fr Charlotte Buisson, doctorante en sciences de l’information et de la communication, spécialisée dans les cas médiatiques de violences sexuelles. « Mais on présente rarement les auteurs de violences sexuelles comme ça. »
C’est un mécanisme de protection, une façon de ne pas penser qu’on est entouré de violeurs. Et aussi une façon de ne pas s’identifier.
C’est aussi une façon de cacher les relations de pouvoir qui gouvernent notre société, et donc de ne pas les aborder. « C’est plus facile de présenter ces hommes comme des monstres, loin de la société », constate Charlotte Buisson.
C’est aussi le cas des accusés, les hommes qui ont violé Gisèle Pelicot. Ce sont des infirmiers, des journalistes, des pompiers, des militaires… bref, des hommes que l’on croise tous les jours, bien intégrés dans la société.
C’est un cas intéressant car il montre qu’à quelques kilomètres de chez lui, Dominique Pelicot a réussi à trouver plus de 90 hommes pour violer sa femme.
Le problème avec la présentation de ces hommes agresseurs comme les monstres à double visage, c’est qu’il masque une réalité. Deux victimes sur trois connaissaient personnellement leur agresseurcomme le rappellent les derniers chiffres du ministère de l’Intérieur.
Abus sexuels sur mineurs
En approfondissant le profil de Dominique Pelicot, on apprend qu’il a grandi dans un « environnement familial dysfonctionnel », « confronté à des situations de maltraitance psychologique, physique et sexuelle », explique le psychiatre Laurent Layet.
L’accusé affirme avoir été violé à l’âge de neuf ans par une infirmière lors d’un séjour à l’hôpital. Puis, à l’âge de 14 ans, il aurait été contraint de participer au viol collectif d’une jeune femme handicapée.
Le 17 septembre, l’accusé a déclaré ne se souvenir que de « chocs et de traumatismes » de la part de ce jeune.
Dans les cas de maltraitance sur enfant (comme ceux qu’aurait subis Dominique Pelicot), la reproduction des violences est fréquente. « Les sévices commis faussent la perception des notions d’intimité et de consentement », souligne la doctorante Charlotte Buisson, qui cite l’exemple de Marc Dutroux, condamné à la prison à vie notamment pour viols sur enfants, et qui avait vécu un inceste.
Dans cette affaire, Dominique Pelicot est également jugé pour des violences commises sur sa fille et sa belle-fille. Il affirme ne jamais les avoir «touchées, droguées et jamais violées».
Dorothée Dussy, anthropologue et directrice de recherche au CNRS, a publié Le berceau des dominations en 2013. L’ouvrage, qui fait référence sur le sujet, montre également la reproduction de la violence. À l’aide de schémas, l’auteur explique comment la « tache d’huile » de l’inceste affecte chaque génération.
Il est à noter qu’il ne s’agit en aucun cas de justifier les crimes sexuels commis par Dominique Pelicot. Il s’agit de mettre en lumière un système de violences sexuelles qui doit être pris en compte dans son intégralité pour que sa prévention soit efficace.
“En aucun cas il ne dit ‘S’il vous plaît, ayez pitié de moi, j’ai subi cela, donc forcément, vous devez me pardonner ce que j’ai fait à ma femme'”, a souligné mardi son avocate, Béatrice Zavarro.
Ce contexte pourrait toutefois avoir une incidence sur la décision de la Cour. Avec le principe d’individualisation des peines, c’est-à-dire la prise en compte des caractéristiques individuelles de l’accusé pour prononcer une sanction, il appartient au juge de peser plus ou moins le contexte de Dominique Pelicot dans sa décision, comme l’a relevé le Conseil constitutionnel.
« Fantasmes obsédants »
Les sévices décrits par Dominique Pelicot auraient pu former « une fracture dans sa psyché », selon l’experte Annabelle Montagne. Sur le plan sexuel,il souffre de « fantasmes obsessionnels »Il considère sa relation intime avec Gisèle Pelicot comme insatisfaisante, « normale ».
Il est plutôt porté sur le « voyeurisme », l’exhibitionnisme, le « candaulisme » (être excité en voyant son partenaire avoir des relations sexuelles avec d’autres), explique Paul Bensussan.
C’est en assommant sa femme avec des anxiolytiques, la rendant “totalement inerte, insensible”, que l’accusé a pu la faire violer par des dizaines d’hommes, principalement à leur domicile de Mazan. “Le fait que la personne soit totalement passive, cela pourrait renvoyer à des fantasmes de nécrophilie”, a poursuivi Annabelle Montagne.
« On est au paroxysme du mécanisme de contrôle où sa femme va être réduite à son objet sexuel pour sa propre satisfaction », estime Laurent Layet.
Avec l’AFP
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