comment expliquer le manque de compréhension du fonctionnement de l’UE en France ?

Si élus et spécialistes mettent en avant le rôle de l’école et des médias, la responsabilité est aussi politique.

Connaissez-vous le nom et la fonction d’Ursula von der Leyen ? Si la réponse est oui, vous faites partie d’une minorité. Dans le baromètre européen publié par l’institut ViaVoice* en décembre 2021, seuls 23 % des Français interrogés déclarent connaître le nom et le rôle du président de la Commission européenne. Vingt-deux pour cent ont déclaré avoir entendu parler d’elle et 48 % ne savaient rien d’elle.

En matière d’information sur les questions européennes, la tendance ne semble pas être à l’amélioration. Dans l’enquête Eurobaromètre dévoilée le 6 décembre 2023 par l’Union européenne (UE), 47 % des Français interrogés déclarent ne pas savoir quand auront lieu les élections européennes, organisées en France le 9 juin 2024. Elle est supérieure de 17 points à la moyenne européenne. CONTREComment expliquer une telle méconnaissance de l’UE en France ?

Une éducation insuffisante sur l’Union européenne

L’eurodéputée verte Karima Delli a sa propre idée. Pour elle, l’inquiétude réside dans l’absence d’évocation des enjeux européens en dehors des échéances électorales. « Commencer à parler de l’Europe au moment des élections européennes, c’est déjà trop tard », déplore l’élu. Pour Valérie Hayer, eurodéputée Renew et tête de liste de la majorité présidentielle à l’élection de juin, ce manque de compréhension des institutions européennes soulève “une question civique et politique européenne.

“Oui, le système européen est complexe et il faut tout faire pour que les Français le comprennent.”

Valérie Hayer, eurodéputée et tête de liste de la majorité présidentielle

sur franceinfo

Les spécialistes et députés européens interrogés par franceinfo s’accordent sur le fait que le système scolaire français a sa part de responsabilité. “L’Union européenne est beaucoup moins enseignée en France” que dans les autres pays de l’UE, explique la politologue Virginie Van Ingelgom, professeur à l’Université catholique de Louvain (Belgique). Le thème est néanmoins présent dans le programme destiné aux élèves de troisième à à travers un cours de géographie intitulé “La France et l’Union européenne”et un chapitre de l’histoire nomméAffirmation et mise en œuvre du projet européen”. « Mais cela n’est pas suivi dans le cursus et tombe dans l’oubli »dénonce l’eurodéputée socialiste sortante Sylvie Guillaume.

En mars 2022, la commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen avait également présenté un rapport sur le déploiement de mesures en faveur de l’éducation civique. Elle y va dit “préoccupé par l’attention limitée accordée aux aspects européens et mondiaux de la citoyenneté dans les programmes scolaires nationaux”.

La politologue Virginie Van Ingelgom déplore également la tendance du système scolaire français à privilégier une lecture du fonctionnement de l’UE à travers les intérêts nationaux et non européens. “L’Europe s’enseigne avec des termes nationaux, on apprend l’Union européenne à travers le prisme de la France”, elle explique.

Une présentation d’autant plus problématique que “L“L’Union européenne peut paraître atypique pour certains citoyens français” en raison de son fonctionnement politique, observe l’historien de la construction européenne Sylvain Kahn. “Il y a une spécificité dans la culture française avec un régime semi-présidentiel” où le chef de l’Etat détient un pouvoir fort sous la Ve République, explique-t-il. A l’inverse, au sein de l’UE, le pouvoir est davantage partagé entre les différentes institutions qui la composent, notamment le Parlement européen.

Le traitement médiatique de l’UE pointé du doigt

Outre l’éducation, les médias ont également une part de responsabilité dans ce manque de sensibilisation. Selon une étude du Fondation Jean-Jaurès* publié en juin 2023, seuls 2,6 % des sujets d’information télévisée et radiophonique du panel étudié étaient consacrés aux enjeux européens entre 2020 et 2022.

Le constat est sans équivoque pour Sylvain Kahn : les médias français souffrent d’un “manque de curiosité” pour les sujets européens. Een 2020, leétude* réalisé par ViaVoice pour l’association Mouvement Européen déjà établi que 55% des Français s’estimaient mal informés concernant l’UE. Toutefois, près de 72 % déclarent vouloir être davantage informés à ce sujet.

« Il ne faut pas négliger l’importance des médias, qui relaient et vulgarisent les enjeux européens », juge l’eurodéputée Sylvie Guillaume à ce sujet. Pour la leader de Renaissance, Valérie Hayer, « la dimension européenne de l’actualité est très riche, mais encore trop reléguée aux pages internationales des médias ». Sylvain Kahn estime quant à lui que l’actualité européenne est trop traitée au prisme de la polémique. “Même la presse écrite dite “sérieuse” privilégie un type d’information où il y a du drame”, déplore l’historien.

« Le journalisme est un pilier de nos démocraties et nourrit le débat civique et politique. Les médias portent une responsabilité très importante dans la perspective des élections de 2024.»

Sylvie Guillaume, députée européenne socialiste

sur franceinfo

Toutefois, la politologue Virginie Van Ingelgom nuance cette explication. Selon elle, l’insuffisance de la médiatisation des questions européennes serait aussi la conséquence d’une mauvaise communication des partis politiques sur ces mêmes questions. « La responsabilité des médias existe, mais c’est aussi la faute des acteurs politiques : c’est un cercle vicieux. » note-t-elle.

Des acteurs politiques, pas présents à la réunion de l’UE ?

« Les élections européennes sont considérées comme des élections de second ordre » tant par les citoyens que par par les hommes politiques eux-mêmes, dit le politologue. Les partis français ont également tendance à « mélanger les échéances et faire des élections européennes de 2024 les élections présidentielles de 2027 »dénonce Sylvie Guillaume.

Les responsables français sont également enclins à “invisibiliser l’Union européenne lorsque ses mesures sont appliquées au niveau national et local, même lorsqu’elle finance les politiques en question”, fait valoir la politologue Virginie Van Ingelgom. Bien que souvent perçue comme complexe et éloignée des territoires, l’Union européenne distribue des subventions qui servent à concrétiser de nombreux projets, comme la ligne C du métro de Toulouse, qu’elle a financée à hauteur de 220 millions d’euros.

Sylvie Guillaume souligne également un “petit jeu du gouvernement, qui élude souvent ses difficultés en rejetant la faute sur les dysfonctionnements européens, autant qu’il s’approprie les victoires de l’Union européenne pour son compte personnel”. “Quand ça ne va pas, c’est à cause de l’Union européenne, mais quand ça va bien, c’est grâce au niveau national”résume Virginie Van Ingelgom.

Les sujets européens, facteurs de mobilisation

Même s’ils connaissent peu le fonctionnement de l’UE, les Français ne se désintéressent pas des questions européennes. La récente colère des agriculteurs, qui visait particulièrement la politique agricole commune, en est le dernier exemple. “Les agriculteurs qui ont manifesté au pied du Parlement européen, c’était aussi le signe que cette profession, très liée à la politique européenne en la matière, sait qui agit sur quoi”, note Valérie Hayer.

Karima Delli, députée européenne verte ne pense pas “que les Européens sont aussi désintéressés de l’Union européenne qu’on pourrait le penser, mais qu’ils ne sont pas suffisamment entendus.” L’élu en cite notamment pour preuve la mobilisation autour de la réautorisation du glyphosate pour dix ans par la Commission européenne en novembre 2023, alors même qu’en 2016, une initiative citoyenne européenne avait récolté plus d’un million de signatures pour interdire l’usage du glyphosate. ‘herbicide.

Sylvie Guillaume le constate également constante dans la politisation” sur les questions européennes. « Même si le fonctionnement de l’Union européenne semble abstrait, lointain ou difficile pour certains, cela ne semble pas être un obstacle à l’implication dans tel ou tel dossier. » elle remarque. Il n’en reste pas moins que le taux de participation aux élections européennes tend à être faible. Il a atteint 49,9% lors des dernières élections de 2019. L’ampleur de la participation citoyenne est l’une des principales inconnues du scrutin du 9 juin.

*Les liens suivis d’un astérisque renvoient vers des documents PDF.

Charlotte

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