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comment expliquer l’effervescence d’un secteur devenu illisible


Bien qu’il occupe désormais une place prépondérante dans l’enseignement supérieur français, le lucratif secteur privé complique l’offre de formation au point de la rendre parfois illisible pour les familles. Comment est-ce qu’on est arrivés ici ? Troisième et dernier volet de notre série sur les méandres de l’enseignement supérieur privé lucratif.

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« Personne n’a prévu tout cela. » Aurélien Cadiou, président de l’Association nationale des apprentis de France (Anaf), bien qu’il repense aux concertations qui ont précédé la mise en œuvre de la loi d’avenir professionnelle, il est catégorique : « Personne n’aurait imaginé que celle-ci générerait des revenus lucratifs. l’enseignement privé à exploser à ce point. Pas dans ces proportions, pas avec ces conséquences sur les finances de l’Etat”, a-t-il dit, déplorant l’avènement sur le marché de l’enseignement supérieur de “bureaux” d’établissements dont le but, dit-il, est de “récupérer le plus d’argent possible”. possible dès l’apprentissage ». Pourtant, quand on revoit le film, tous les ingrédients étaient là.

C’était en 2017. Emmanuel Macron, qui vient d’être réélu, annonçait une réforme de la formation professionnelle. Objectif : mieux intégrer les jeunes sur le marché du travail et ainsi réduire le chômage. Et, pour cela, le président a décidé d’ouvrir les vannes de l’apprentissage, un système jusqu’ici contrôlé par les régions. Ce dernier décidait du nombre de places à offrir en fonction des besoins et des moyens financiers disponibles. Avec la réforme, la tâche revient désormais à France Compétences, via les différents opérateurs de compétences (Opco), et ils savent se montrer généreux. Selon la Cour des comptes, 11,1 milliards d’euros ont été accordés en 2021 à l’apprentissage et 16,8 milliards d’euros en 2022. Pour les atteindre, une condition : proposer des formations en alternance et avoir obtenu le label Qualiopi, attestant d’une certaine qualité de la formation. fourni.

Un effet d’aubaine

Une aubaine pour les écoles et les organismes de formation, qui se sont tous lancés dans la création de leur centre de formation d’apprentis (CFA). «C’était l’occasion pour eux de conquérir une nouvelle clientèle, plus modeste, qui n’avait jusqu’alors pas les moyens de payer les frais de scolarité», explique Aurélien Cadiou. Et le résultat est là : chez Omnes Education, dont le chiffre d’affaires atteint 400 millions d’euros pour l’exercice 2022-2023, 148 millions d’euros, soit 37 %, proviennent du financement par l’apprentissage.

LIRE AUSSI « Va te faire foutre » : ESJ Paris, l’école qui ne veut pas payer ses profsPour 2024, le pourcentage lié au financement de l’apprentissage est estimé à 32%, indiquent les députées Béatrice Descamps (Liot) et Estelle Folest (MoDem) dans leur rapport sur l’enseignement supérieur privé à but lucratif, remis le 10 avril aux Affaires culturelles et à l’Éducation. Commission de l’Assemblée nationale.

Quant aux entreprises, attirées par la main d’œuvre bon marché que représentent les apprentis et la persistance des aides de l’État accordées après la crise sanitaire (l’aide de 6 000 euros par apprenti embauché a été prolongée jusqu’à fin 2024), elles se sont elles aussi mises en mouvement. Parfois avec abus. Antoine*, étudiant en école de commerce spécialisée dans l’environnement, passé un an comme « conseiller commercial » chez Truffaut.

“J’étais content d’avoir un salaire, mais c’est vrai que je n’ai pas appris grand chose et personne dans mon école n’a cherché à savoir ce que je faisais”, dit-il même si les CFA sont tenus de contrôler régulièrement les missions effectuées. par les étudiants. Et il n’est pas seul : sur les réseaux sociaux, de nombreux étudiants se plaignent d’avoir été livrés à eux-mêmes pendant leur apprentissage et de s’être retrouvés sur des missions très éloignées de leur formation.

La réforme de l’apprentissage n’est pas la seule raison de l’essor du secteur privé. Pour Hugo Harari-Kermadec, professeur de sociologie et d’économie à l’université d’Orléans, Parcoursup a également joué un grand rôle. “La complexité de la procédure, son caractère sélectif, et la précarité créée dans les familles ont poussé un certain nombre d’étudiants à se tourner vers des formations recrutant directement, sans sélection et à tout moment de l’année”, explique-t-il. Pour lui, alors que l’image de l’université se dégradait faute de financements suffisants, « le lucratif secteur privé se retrouvait face à un boulevard ».

Le marché va probablement continuer à se concentrer dans les années à venir.Le directeur d’une école d’ingénieurs

Conséquence : tout un tas d’entrepreneurs néophytes sont arrivés sur le lucratif marché de l’éducation. « Sauf que beaucoup ne connaissaient rien à ce milieu et ont lancé leur école comme lancer une start-up, sans penser aux conséquences pour les étudiants », dénonce un acteur du secteur. D’où les faillites en cascade de certaines écoles, comme celles de la Campus Academy, créée en 2019 par l’homme d’affaires, Michael Ohayopaset fermé en 2023, après de nombreuses aventures financières.

Un marché en croissance

Mais cela a surtout attiré de grands groupes, menés par des fonds d’investissement internationaux, qui se sont mis à racheter massivement des écoles familiales, parfois anciennes, en misant sur leur réputation. C’est ainsi qu’Emlyon, Penninghen et le Cours Florent se sont retrouvés entre les mains de Galilée ou que l’Inseec a été englouti par le groupe Omnes Education. Il existe aujourd’hui une quarantaine de groupes en France, de tailles très différentes. « Et ce n’est qu’un début. Le marché va probablement continuer à se concentrer dans les années à venir », prédit le directeur d’une école d’ingénieurs.

Il faut dire que le secteur de l’éducation, boosté par la croissance démographique des dernières décennies, présente de nombreux atouts. D’abord parce que l’éducation est un poste sur lequel les ménages ne lésinent pas. Même en temps de crise, les familles n’hésitent pas à se serrer la ceinture pour offrir un avenir à leur enfant. C’est aussi un secteur rentable (environ 8 000 euros par an et par étudiant en moyenne) et durable. Lorsqu’un étudiant s’engage, il le fait pour au moins trois ans, voire cinq, et pour des sommes importantes. Et puis peu d’entre eux s’arrêtent en chemin. Finalement, c’est bon pour l’image. Former les dirigeants de demain est plutôt bien accueilli dans la société.

Le problème quand on est dans le profit, explique Hugo Harari-Kermadec, c’est qu’il faut savoir s’adapter aux aléas du marché. « Pour trouver sa place, il faut produire de la qualité pour se démarquer de la concurrence. Mais, sur le long terme, il faut avant tout être rentable. Les écoles misent donc sur une communication excessive pour recruter le plus d’étudiants possible, et commencent à rogner sur le reste : les horaires de cours, les salaires des professeurs, le personnel administratif ou encore les locaux. »

Une réglementation insuffisante

Et tout cela coûte cher à l’État. Dans une note consacrée à la formation professionnelle, publiée en juillet 2023, la Cour des comptes déplorait le cumul des déficits chez France Compétences, avec un écart qui pourrait approcher les 5,9 milliards d’euros en 2022. De toute évidence, une bombe à retardement. Et tout cela pour pas grand-chose puisque, observaient les Sages de la rue Cambon dans un document publié un an plus tôt, l’effet sur l’insertion professionnelle – qui est « très marqué du CAP au BTS » – reste « faible » de la licence. Pour eux, c’est une évidence : il faut mieux réguler.

France Compétences ne dispose pas de ressources humaines suffisantes pour les multiplier.Béatrice Descamps (Liot) et Estelle Folest (MoDem)

Certes, des contrôles existent. Depuis 2022, la certification Qualiopi est obligatoire pour bénéficier d’un financement public. Pour l’obtenir, il faut fournir des informations notamment sur l’intégration des diplômés, les locaux ou encore la qualité du processus éducatif. « Ceux qui disent qu’il est facile d’obtenir ce type de certification n’ont jamais monté de dossier ! » affirme le président exécutif d’Omnes Education, José Milano, qui vante également la « flexibilité » de la formation professionnelle.

« Lorsqu’on prépare des étudiants dans des spécialités en plein essor comme l’intelligence artificielle ou le développement durable, il faut savoir être réactif pour répondre rapidement aux besoins des entreprises et aux enjeux de compétitivité de notre pays. Le monde académique n’a pas toujours les moyens de faire aussi vite », explique-t-il. Et puis, dit-il, concernant les titres RNCP, qui attestent de l’insertion professionnelle des formations dispensées, « il y a peut-être eu des abus au départ, mais ceux-ci sont devenus beaucoup plus difficiles à obtenir ».

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En effet, France Compétences, qui est l’organisme chargé d’examiner les dossiers de candidature des établissements, a refusé 80 % des dossiers en 2022. Mais les enjeux liés à la qualité pédagogique occupent une place très modeste dans l’examen réalisé par France compétences. Il n’y a pas de critères liés au profil des enseignants recrutés ou au nombre d’heures dispensées par exemple.

Surtout, le renouvellement, qui doit être effectué tous les cinq ans par les organismes de formation, repose essentiellement sur une base « déclarative », soulignent les députées Béatrice Descamps et Estelle Folest dans leur rapport. « France Compétences n’effectue des contrôles qu’en cas de signalement et ne dispose pas de moyens humains suffisants pour les multiplier », écrivent-ils.

L’entreprise dans l’entreprise

Ce nombre insuffisant de contrôles apparaît d’autant plus problématique que de nombreuses pratiques posent des difficultés, ajoutent-ils. Parmi eux, la pratique des « titres parapluie RNCP », qui consiste à loger sous un même titre RNCP des formations aux titres variés, parfois très différents de la certification délivrée. Autre phénomène lunaire, dénoncé par de nombreux acteurs et mis en lumière par le rapport parlementaire : le développement de la « location » de titres, qui permet à une école déjà titulaire d’un titre de le « louer » à des établissements qui n’en disposent pas. Pas encore.

Un « commerce dans le commerce », opaque et mal contrôlé, dénoncent les députés, qui permet à certains organismes de compléter généreusement leurs fins de mois puisqu’un titre se loue entre 600 et 1.200 euros selon les compétences apportées. Et cette pratique n’est pas anecdotique : selon les députés, près de 13 % des dossiers RNCP sont concernés.

LIRE AUSSI Grandes écoles – Accréditations internationales : la quête du GraalSans surprise, les rapporteurs appellent également à une meilleure régulation du secteur, et à ce titre « saluent » le travail entrepris par le ministère de l’Enseignement supérieur pour créer un nouveau label dédié au secteur privé à but lucratif. Cependant, de nombreux points restent sans réponse, notamment la question de savoir qui sera chargé des contrôles préalables à son octroi. Réponse au printemps pour une mise en œuvre «dès la prochaine campagne Parcoursup», ont promis les proches de la ministre de l’Enseignement supérieur Sylvie Retailleau. En attendant que le brouillard se dissipe complètement, les familles devront, cette année encore, ne compter que sur elles-mêmes pour se frayer un chemin dans le fourré des stages.


Anna

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