LL’histoire des vacances est sans aucun doute l’un des principaux maux de la vie de bureau. Répéter sans cesse le même argument d’épiphanie à la machine à café vous fait perdre votre bronzage à grande vitesse (« Nous avons nagé avec les lions de mer au coucher du soleil. C’était in-croyable ! »), l’écouter vous fait encore plus vite pâlir. Fournisseurs d’informations intimes, vos vacances en disent long sur qui vous êtes et, de ce fait, leur débriefing est hautement stratégique : c’est pourquoi cet exercice est généralement aussi spontané qu’une réaction d’après-match de Didier Deschamps.
Mais, à mon retour de vacances, j’ai constaté que cet exercice obligatoire (et redouté) semblait subir un changement complet. Plutôt que de me parler d’un changement de décor inhabituel aussi surprenant qu’un mobile en bois flotté, un collègue rencontré par hasard dans un couloir m’a expliqué comment, lors de son séjour estival dans un camping des Rocheuses, il avait dû faire face à “la fosse”Ce terme, que l’on peut traduire par « le puits » en français, est utilisé pour désigner des toilettes collectives sans évacuation, et “même pas sec”Il m’a raconté que chacun était invité à venir déposer sa contribution dans un gigantesque tas de crottes. Par son caractère radical, ce parti-pris narratif m’a semblé très original et y a vu le signe d’un changement d’époque.
Jusqu’à présent, le récit de vacances reposait sur une sorte de marketing de la petite différence sur fond d’exotisme glamour. Vos collègues partaient pour l’île de Ré, vous alliez à Houat. Ils faisaient du karting de descente, vous optiez pour la via ferrata. Vous rentriez ainsi dans la carte postale commune, mais avec un petit pas de côté qui témoignait de votre singularité. Le problème, c’est qu’à l’heure où tout le monde fait méthodiquement le même pas de côté, tout le monde finit au même endroit. Alors que Santorin regorge de candidats au selfie en mode soudé, on ne peut plus se contenter d’un récit de vacances standard qui se contenterait de dire « J’étais là. »
La sobriété est en hausse
Raconter aux gens votre semaine de snorkeling dans le Golfe du Mexique ne sera plus un rêve devenu réalité, mais cela pèsera sur vous comme un soupçon d’écocidisme. « Nous comprenons que la réticence à voyager pour le plaisir, dans un contexte de crise climatique, peut avoir d’autant plus de poids que les déplacements forcés augmentent en parallèle – exils et migrations forcées, ô combien dramatiques »écrit la philosophe Juliette Morice dans Renoncer aux voyages. Une enquête philosophique (Presses universitaires de France, 248 pages, 20 euros).
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LL’histoire des vacances est sans aucun doute l’un des principaux maux de la vie de bureau. Répéter sans cesse le même argument d’épiphanie à la machine à café vous fait perdre votre bronzage à grande vitesse (« Nous avons nagé avec les lions de mer au coucher du soleil. C’était in-croyable ! »), l’écouter vous fait encore plus vite pâlir. Fournisseurs d’informations intimes, vos vacances en disent long sur qui vous êtes et, de ce fait, leur débriefing est hautement stratégique : c’est pourquoi cet exercice est généralement aussi spontané qu’une réaction d’après-match de Didier Deschamps.
Mais, à mon retour de vacances, j’ai constaté que cet exercice obligatoire (et redouté) semblait subir un changement complet. Plutôt que de me parler d’un changement de décor inhabituel aussi surprenant qu’un mobile en bois flotté, un collègue rencontré par hasard dans un couloir m’a expliqué comment, lors de son séjour estival dans un camping des Rocheuses, il avait dû faire face à “la fosse”Ce terme, que l’on peut traduire par « le puits » en français, est utilisé pour désigner des toilettes collectives sans évacuation, et “même pas sec”Il m’a raconté que chacun était invité à venir déposer sa contribution dans un gigantesque tas de crottes. Par son caractère radical, ce parti-pris narratif m’a semblé très original et y a vu le signe d’un changement d’époque.
Jusqu’à présent, le récit de vacances reposait sur une sorte de marketing de la petite différence sur fond d’exotisme glamour. Vos collègues partaient pour l’île de Ré, vous alliez à Houat. Ils faisaient du karting de descente, vous optiez pour la via ferrata. Vous rentriez ainsi dans la carte postale commune, mais avec un petit pas de côté qui témoignait de votre singularité. Le problème, c’est qu’à l’heure où tout le monde fait méthodiquement le même pas de côté, tout le monde finit au même endroit. Alors que Santorin regorge de candidats au selfie en mode soudé, on ne peut plus se contenter d’un récit de vacances standard qui se contenterait de dire « J’étais là. »
La sobriété est en hausse
Raconter aux gens votre semaine de snorkeling dans le Golfe du Mexique ne sera plus un rêve devenu réalité, mais cela pèsera sur vous comme un soupçon d’écocidisme. « Nous comprenons que la réticence à voyager pour le plaisir, dans un contexte de crise climatique, peut avoir d’autant plus de poids que les déplacements forcés augmentent en parallèle – exils et migrations forcées, ô combien dramatiques »écrit la philosophe Juliette Morice dans Renoncer aux voyages. Une enquête philosophique (Presses universitaires de France, 248 pages, 20 euros).
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