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Comment une « révolution citoyenne » a mobilisé l’île contre la vie chère

En quelques mois, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC) a multiplié les rassemblements, s’appuyant sur les réseaux sociaux plutôt que sur les syndicats et les politiques. Mais les négociations avec les services de l’État piétinent.

Un morceau de tissu rouge accroché à l’antenne des voitures, des tee-shirts rouges de toutes les marques, un désormais célèbre bob rouge… En quelques semaines, cette couleur est devenue un incontournable dans les dizaines de rassemblements organisés contre la vie chère en Martinique. Une teinte devenue signe de ralliement. Celle de « L’Armée du Ruban Rouge ».

Les manifestations ont commencé au début de l’été, lorsqu’une nouvelle organisation a fait la une des journaux en Martinique : le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (RPPRAC). Elle a appelé, dès le 1er juillet, les grandes enseignes de la distribution de l’île à aligner leurs prix sur ceux de la métropole. Le mouvement citoyen leur a donné deux mois pour agir, alors que les prix des denrées alimentaires sont en moyenne 40 % plus élevés en Martinique qu’en métropole, selon l’Insee.

Cet ultimatum va faire ressortir la colère latente des habitants face à la cherté de la vie sur l’île. Et en coulisses, plusieurs militants préparent leur action. « C’est une somme d’injustices sociales et économiques qui nous a poussé à créer ce groupe »explique Aude Goussard, secrétaire du RPPRAC. « Nous avons mis un an et demi à chercher les raisons de ces inégalités et de ces prix élevés, retrace le parcours de ce membre fondateur, rompu au militantisme. Alors on s’est dit qu’il fallait agir.

Quelques jours avant la date butoir fixée par le mouvement, le syndicat de la grande distribution a répondu dans une longue lettre. « Nous partageons le constat qu’il existe des différences de prix avec la France métropolitaine »les distributeurs disent, avant de réfuter tout « marges excessives » et de blâmer les autres « contraintes structurelles »comme le coût de l’expédition.

Parallèlement, le RPPRAC dénonce la « Des connotations colonialistes dans la propriété de la grande distribution » en Martinique, selon les propos d’Aude Goussard. Un constat partagé par la commission d’enquête sur le coût de la vie en outre-mer, qui rappelle, dans son rapport publié en 2023, que la« L’esclavage et l’histoire coloniale » a « d’emblée, les inégalités de ces territoires se sont consolidées par rapport à la métropole ».

Dans ce contexte, le mouvement citoyen veut faire pression sur les autorités afin d’obtenir des changements structurels. Une grande manifestation est prévue le 1er septembre à Fort-de-France. Mais la veille au soir, le président du RPPRAC, Rodrigue Petitot, est interpellé par la police et placé en garde à vue. Selon des sources policières, la figure montante du mouvement aurait tenté de voler un bus. Une version rejetée par son avocat. « Nous avons dû continuer sans lui, mais nous avons réussi à mobiliser la population »se souvient Aude Goussard. Plusieurs centaines de personnes ont défilé ce jour-là vers le port de Fort-de-France.

Le lendemain, Rodrigue Petitot a été libéré sous le statut de témoin assisté. « L’important c’est la cause »a lancé dès sa sortie celui que l’on surnomme « le R ». Cet épisode mouvementé a accru sa notoriété sur l’île. A 45 ans, ce père de trois enfants qui vit entre l’Alsace et la Martinique est devenu une figure de la lutte contre la vie chère.

« Je suis l’enfant du peuple. Celui qui traîne un peu dans la rue, qui a eu de mauvaises expériences, celui qui sait faire le meilleur comme le pire. »

Rodrigue Petitot, président du RPPRAC

à Zitata TV

Dès son apparition sur la scène publique, une partie de son passé a rapidement été reprise par ses adversaires. Avant de se lancer dans l’activisme, Rodrigue Petitot a passé plusieurs années en prison pour trafic de drogue. « J’ai tiré des leçons de mon incarcération »il l’admet sans fioritures. « Aujourd’hui, je ne veux pas que les jeunes tombent dans les mêmes pièges que moi »dit celui qui signe « défavorablement connu » sur les réseaux sociaux.

Pas de quoi contrarier les militants rencontrés lors des rassemblements. ” ‘R’ n’a jamais menti, il a toujours dit qu’il avait été en prison”explique Monique, 74 ans, toute de rouge vêtue. « Il a purgé sa peine. Maintenant, il a une voix. »ajoute Delphine, infirmière libérale, rencontrée dans un cortège à Fort-de-France.

Le leader de cette mobilisation contre la vie chère compte sur les réseaux sociaux pour faire grandir le mouvement. « Le R a réussi à mobiliser les jeunes par sa communication simple et franche. C’est une révolution citoyenne »analyse un activiste. Sur TikTok, certaines de ses vidéos dépassent les 100 000 vues et ses nombreux live filmés lors de rassemblements sont suivis par des dizaines de milliers de personnes.

Mais à la mi-septembre, des violences urbaines ont entaché le mouvement, malgré les appels à l’action du RPPRAC. “pacifique”. Face aux dégâts, la préfecture a renforcé les effectifs de police et décrété un couvre-feu partiel sur l’île, ainsi qu’une interdiction de manifester pendant plusieurs jours. « Ils essaient de nous museler »fulmine Rodrigue Petitot. Le mouvement appelle alors à des actions de “désobéissance civile” de continuer à mobiliser la population contre la vie chère.

Parallèlement, les négociations avec les autorités piétinent. Le RPPRAC a quitté à deux reprises les tables rondes organisées par la préfecture en raison de l’interdiction de filmer et de diffuser les débats. « Nous avons toujours répondu présent lorsque nous avons été invités. Mais nous posons toujours la même question : « Les gens peuvent-ils participer ? » Quand ils disent non, nous partons. »déclare Rodrigue Petitot. « Il faut de la sérénité pour les débats »rétorque le préfet, Jean-Christophe Bouvier.

« L’Assemblée nationale a une chaîne en direct. Pourquoi les politiques ici ne veulent-ils pas que nous suivions ces débats en direct ? »

Delphine, militante du RPPRAC

à franceinfo

Si cette revendication est si forte au sein du RPPRAC, c’est que le mouvement citoyen veut absolument se démarquer des syndicats. « En 2009, toutes les négociations se sont déroulées à huis clos »“Cette année-là, une grève générale de 40 jours avait paralysé l’île. De longues négociations avec les partenaires sociaux avaient permis quelques avancées, mais quinze ans plus tard, de nombreux Martiniquais sont amers. «Les syndicats n’ont rien fait depuis»raconte par exemple Yolande, devant un supermarché de l’île.

Des critiques difficiles à accepter de la part des syndicats. « Dire que nous n’avons rien fait n’est pas honnête »affirme Gabriel Jean-Marie, secrétaire général de la CGT en Martinique. En 2009, ce comptable à la retraite était l’un des négociateurs. « La salle de débat était pleine, on faisait des assemblées générales après chaque réunion, j’ai même dormi à la maison du syndicat »dit-il, un peu agacé.

Même distance courtoise avec les élus de l’île. « Je soutiens le mouvement social, mais je respecte son indépendance »assure le député de gauche Marcellin Nadeau. « Nous gardons une certaine distance critique si nécessaire »ajoute l’élu de Saint-Pierre, qui, comme la CGT, milite avant tout pour l’augmentation des revenus en Martinique.

Mais pour avoir une quelconque influence sur le gouvernement, le mouvement citoyen sait qu’il devra s’allier aux forces politiques et syndicales. Une mobilisation commune semble se dessiner sur l’île. La CGT a ainsi déposé un préavis de grève de vingt-quatre heures, renouvelable pour le jeudi 26 septembre. « Nous espérons que toutes sortes de professions nous rejoindront dans le mouvement »proclame Rodrigue Petitot. « Maintenant, nous devons trouver des solutions, tous ensemble. »

Anna

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