A la tête d’une filmographie d’une rare cohérence, comme celle d’un Kubrick ou d’un Fellini, David Cronenberg détient un record de films sélectionnés en compétition sur la Croisette. Pour la septième fois consécutive, il vaut la peine de revenir sur onze longs métrages majeurs de sa filmographie.
Les Linceuls (Linceuls), avec Vincent Cassel, Diane Kruger et Guy Pearce, aborde le sujet de la résurrection des morts. Cronenberg aborde ce sujet du corps depuis ses premiers films. Frissons, Chromosome 3, Scanners, Vidéodrome, La Zone Mortejusqu’à la consécration avec VolerAlors De faux prétextes, La fête nue, Accident, Histoire de la violence, Cartes vers les étoilesparticipez à la filmographie de l’un des cinéastes les plus singuliers du cinéma.
« Shivers » : une horreur viscérale, gore et violente
Après deux courts et deux longs métrages expérimentaux inédits en France, David Cronenberg conquiert le monde avec son premier succès commercial, révélé au Festival du Film Fantastique d’Avoriaz en 1975. Des frissons (Le meurtre parasitairer) est un pur film d’horreur viscéral, gore et violent.
Dans un bâtiment high-tech, un chirurgien inocule à un patient un parasite développant des pulsions sexuelles et violentes. Transmise par les baisers, elle entraîne la contamination de tous les habitants, saisis d’une fureur meurtrière et sexuelle. Tout Cronenberg est déjà dans ce film où apparaît son thème majeur et durable de la mutation physique et de ses conséquences sur les gens et leur entourage.
« Chromosome 3 » : une génération spontanée exterminatrice
Cronenberg décroche deux étoiles pour jouer Chromosome 3 sorti en 1979 : Oliver Reed et Samantha Eggar. Le premier est un célèbre psychiatre qui a développé une méthode permettant à ses patients d’extérioriser leur pathologie dans des stigmates physiques. L’un d’eux génère ainsi une portée d’enfants mutants, à croissance accélérée et très agressifs. Au sujet central du corps, Cronenberg ajoute son rapport à l’esprit, sur lequel le réalisateur reviendra sous d’autres avatars, mais toujours dans ses conséquences corporelles.
Dans Chromosome 3, il associe son sujet de prédilection à la naissance d’une génération spontanée dont la vocation est d’exterminer l’humanité. Toujours très cru dans l’image gore, et pessimiste dans ses conclusions, Chromosome 3 complète une première partie de la filmographie du cinéaste canadien.
« Scanners » : maturité
En 1981, Scanners, avec Jennifer O’Neil, Patrick McGoohan et Michael Ironside, révèle un budget nettement plus élevé dont dispose le cinéaste. Cameron Val, détenteur de puissants pouvoirs télépathiques, est recruté par une société de sécurité pour identifier d’autres personnes comme lui. Il rencontre David Revok, un puissant télépathe aux instincts guerriers dont le pouvoir pourrait plier la planète à sa volonté.
Cronenberg atteint une maturité de tournage et de réalisation jamais atteinte auparavant. Toujours sanglant et violent, mais avec moins de sexe, Scanners est le film qui ouvrira le réalisateur à des budgets plus confortables. Scanners est un nouveau départ, son prochain film, Vidéodromes’avérant être un manifeste de son cinéma.
« Vidéodrome » : film manifeste
Pour Vidéodrome, David Cronenberg s’offre en 1983 l’acteur James Wood, alors en pleine ascension, et la chanteuse du groupe Blondie, Deborah Harry, qui débute alors une carrière d’actrice. A la tête d’une petite chaîne de télévision érotique, Max Renn découvre des programmes sadomasochistes dont le visionnage provoque des hallucinations, voire des mutations corporelles. En fait manipulé par les programmeurs, Max se voit entraîné dans un vaste complot visant à prendre le contrôle des populations.
Film manifeste et complexe, Vidéodrome n’est quasiment jamais sorti en France, ce qui a rebuté les distributeurs qui voyaient pourtant un fort potentiel commercial dans ses deux acteurs principaux. Le film constitue pourtant un acte majeur du maître sur le thème du pouvoir des images et de leurs répercussions sur le public, avec les conséquences sociétales et politiques qu’elles peuvent entraîner : un des meilleurs films de Cronenberg.
« La Zone Morte » : une reconnaissance publique
La zone morte est le film qui ouvrira David Cronenberg à la reconnaissance d’un public plus large, jusqu’ici limité aux amateurs de films fantastiques. Auteur de tous ses scénarios originaux, c’est la première fois qu’il accepte l’offre du producteur Dino De Laurentis pour adapter La zone morte de Stephen King (Ed. Jean-Claude Lattès), que tout Hollywood se déchire. Après cinq ans dans le coma suite à un accident, Johnny Smith (Christopher Walken) se découvre un don de prémonition, dans un monde qui n’est plus le sien. Se mettant spontanément au service de ceux qui sont dans le besoin autour de lui, l’exercice de son don réclame une énergie qui diminue ses capacités physiques. Lorsqu’il perçoit le projet d’assassinat du principal candidat à l’élection présidentielle américaine, il se trouve confronté au dilemme de sa possibilité d’agir sur l’histoire.
On retrouve dans La zone morte le thème de la dégénérescence physique, dans le handicap grandissant de John Smith, proportionnel à la pratique de ses prémonitions, véritable cadeau empoisonné. Moins violent et moins sanglant, La zone morte rencontre le public et propulse Cronenberg au sommet du box-office.
« The Fly » : une réussite totale
L’effet Zone morte ouvre à David Cronenberg les portes de ce qui deviendra son plus grand succès public en 1986, Voler, avec Jeff Goldblum et Geena Davis dont tout le monde raffole à Hollywood. Remake d’un film B de 1959 réalisé par Kurt Neumann (La mouche noire), cette nouvelle version reste l’un des films phares des années 80. Le réalisateur canadien s’approprie totalement le sujet qui recoupe sa thématique du corps mutant. Seth Brundle (Jeff Goldblum) expérimente le système de téléportation de son invention, mais se retrouve enfermé dans la cabine avec une mouche, entraînant une symbiose biologique entre l’homme et l’insecte.
Jeff Goldblum trouve avec Voler l’un de ses plus grands rôles, traduisant la dégénérescence tragique d’un génie progressivement réduit à une créature monstrueuse habitée par des pulsions primaires. Le film aura une suite, sans Cronenberg, d’un style bien moins ambitieux.
« Faux-semblants » : un nouveau tournant
Désormais dans la cour des grands, David Cronenberg tourne avec les acteurs et actrices les plus en vue. Son choix s’est porté sur Jeremy Irons et Geneviève Bujold dans De faux prétextes sorti en 1988. L’acteur incarne le double rôle des frères jumeaux Beverly et Elliot Mantle, dont la relation étroite va être mise à mal par l’arrivée d’une actrice qui viendra les séparer.
Jeremy Irons est remarquable dans cette double interprétation très psychologique, Cronenberg se distanciant de ses monstruosités habituelles, même s’il y succombe encore un peu. Le monstre ici, c’est cette double identité des frères Mantle qui vont s’éloigner. Inspiré d’un fait divers survenu au Brésil, De faux prétextes marque la distance que le réalisateur prend avec l’horreur, même si le fantastique demeure dans certains de ses futurs films. Faux prétexte marque un nouveau tournant dans la carrière du réalisateur.
« The Naked Feast » : adaptation ambitieuse, mais échec commercial
Il n’y avait que David Cronenberg pour adapter le célèbre roman inadaptable de William S. Burroughs, La fête nue, sorti sur les écrans en 1991. Cronenberg détourne quelque peu le roman en mélangeant des éléments biographiques de l’auteur, comme le meurtre accidentel de sa femme, conduisant à son exil dans un pays imaginaire du Maghreb, l’Interzone, en fait Tanger. S’ensuit une longue errance hallucinatoire conditionnée par sa dépendance à une drogue qui le fascine, la « viande noire » qui le pousse à agir comme un espion sous les ordres de sa machine à écrire identifiée à un insecte géant.
Romancier culte, William S. Burroughs trouve un équivalent cinématographique dans l’adaptation de son roman. Les fans de Burroughs et Cronenberg y trouveront leur bonheur, mais le film fut un fiasco mémorable. Avec un budget compris entre 17 et 18 millions de dollars, il n’en rapportera qu’environ 2,6.
« Crash » : une reconnaissance à Cannes
David Cronenberg s’approche, après William Burroughs, d’un autre auteur extraordinaire, en adaptant le roman de JG Ballard Accident en 1996. Publié en 1973, alors que l’Occident était devenu une civilisation automobile au faîte de sa puissance, le romancier anglais décrit une microsociété dont les membres s’identifient à une déviance sexuelle liée à leur fascination pour les accidents de voiture.
Prix du Jury à Cannes en 1996, avec James Spader, Holly Hunter, Rosanna Arquette, Deborah Kara Unger et Elias Koteas, Accident, déconcerte, dérange : du pur Cronenberg. L’inconfort que peut provoquer le film émane cependant d’une élégance très sophistiquée dont le désordre vient d’une froideur glaciale mêlée à un érotisme issu d’une fusion entre la chair et la machine, où le psychologique communique avec le physique.
« Une histoire de violence » : la révélation de Vigo Mortensen
En compétition au Festival de Cannes 2005, Une histoire de violence marque la distance de David Cronenberg avec le fantastique, encore teinté dans son précédent film araignée. Père de famille discret, Tom Stall (Viggo Mortensen) tue son agresseur dans un geste de légitime défense et devient le chouchou des médias. Adapté du roman graphique éponyme de John Wagner et Vince Locke, un nouveau Cronenberg se révèle, dans un thriller remarquable par sa concision et son efficacité.
Avec Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris et William Hurt, le réalisateur dirige un casting quatre étoiles qui passionne la critique et séduit le public. Avec Une histoire de violence, David Cronenerg acquiert une nouvelle notoriété qui l’éloigne de l’image d’un réalisateur cantonné à un fantasme déviant. Enthousiasmé par son jeu d’acteur, le réalisateur fera appel à Viggo Mortensen dans trois autres films : Promesses de l’ombreA Méthode dangereuseEt Crimes du futur.
« Maps to the Stars » : Hollywood désenchanté
Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2014, Julianne Moore joue dans Cartes vers les étoiles le rôle de Havana Segran, une actrice dont la carrière traverse une crise. Elle est également confrontée à son fils Benjie, un jeune acteur de 13 ans et déjà star, qui sort avec Agatha, récemment arrivée à Hollywood et qui devient l’assistante de l’actrice.
Plus discret, le thème du corps est cependant présent dans l’époque de Havana Segran qui a le sentiment d’avoir franchi un cap dans sa carrière. On le retrouve également dans le corps d’Agatha, marqué par les séquelles laissées sur son corps par sa tentative de suicide par le feu. Sans véritable intrigue, Cartes vers les étoiles va dans les coulisses d’Hollywood. Les relations entre les stars et leur environnement, et les gens ordinaires qui espèrent remporter le prix de l’usine à rêves, nourrissent un film désenchanté qui fissure l’image d’un Hollywood idéalisé.