Depuis l’effondrement de la monnaie locale, « les affaires tournent au ralenti »

Vendeurs de vêtements dans le quartier historique de Merkato à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 14 septembre 2024. (Amanuel Sileshi)

La scène s’est répétée ces dernières semaines dans la petite boutique de Medanit Woldegebriel. « Combien coûte cette robe ? », demande une cliente. « 4 500 birr » (environ 35 euros), répond la propriétaire. Un prix qui a presque doublé et qui fait immédiatement fuir les gens.

Les vêtements féminins que cette vendeuse d’Addis-Abeba importe de l’étranger sont devenus inaccessibles depuis que l’Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, a procédé en juillet à une douloureuse libéralisation de sa monnaie.

En moins de deux mois, le birr s’est effondré.

“Il n’y a plus de clients et les affaires tournent au ralenti”, se plaint auprès de l’AFP Woldegebriel, 36 ans, propriétaire d’un magasin dans le vaste marché de Merkato.

Comme de nombreux pays, notamment africains, l’Ethiopie est déjà confrontée ces dernières années à une inflation très élevée (jusqu’à 30% en 2022 par rapport à 2021), conséquence cumulative de la crise du Covid, de la guerre en Ukraine, mais aussi d’une grave sécheresse et de la guerre au Tigré.

Et pour les 120 millions d’Ethiopiens, la situation s’est aggravée depuis le 30 juillet, lorsque les autorités de cette économie encore largement contrôlée ont annoncé une réforme du birr.

Jusqu’ici ultra-contrôlé, son taux peut désormais être fixé librement par les banques commerciales.

Immédiatement, la Banque commerciale d’Éthiopie (CBE), la principale institution financière publique du pays, a abaissé la valeur du birr de 30 % par rapport aux principales devises.

Depuis, la valeur de la monnaie éthiopienne n’a cessé de baisser (de 1 dollar pour 55 birr avant la libéralisation, à 112 aujourd’hui à la CBE) et s’est rapprochée du taux du marché noir, très dynamique dans le pays d’Afrique de l’Est.

– “Difficile à avaler” –

Les effets se sont rapidement fait sentir pour Medanit Woldegebriel, qui importe principalement ses vêtements de Turquie ou des Émirats arabes unis. « Cette robe qui coûtait 2 500 birrs est aujourd’hui à 4 500. Ces chemises étaient vendues 1 500 birrs, elles sont aujourd’hui à 2 500 », énumère-t-elle.

Des prix prohibitifs dans un pays où 34,6% de la population vit sous le seuil de pauvreté (moins de 2,15 dollars par jour), selon la Banque mondiale.

Tewodros Makonnen Gebrewolde, économiste spécialiste de l’Éthiopie pour l’International Growth Centre (IGC), basé à Londres, reconnaît que « c’est une pilule difficile à avaler à court terme ».

Mais il estime que les effets seront bénéfiques à long terme.

« Les autorités ont promis un meilleur accès aux devises étrangères pour les entreprises, ce qui leur permettra d’augmenter leur productivité et ainsi de pouvoir produire davantage », note-t-il.

Pendant des années, l’Éthiopie a sévèrement restreint l’accès des entreprises aux devises étrangères, en raison d’une pénurie structurelle liée à sa forte dépendance aux importations.

Ces derniers (carburants, produits manufacturés, etc.) s’élevaient à 23 milliards de dollars en 2023, contre 11 milliards de recettes d’exportation (fleurs, thé, café, etc.), selon les données de la Banque mondiale.

En conséquence, de nombreuses entreprises n’ont pas fonctionné à pleine capacité ces dernières années en raison d’un manque de matières premières ou de machines importées.

– Une réforme «indispensable» –

Qualifiant cette réforme d'”indispensable” lors de son annonce, le Premier ministre Abiy Ahmed a insisté sur l’effet d’attractivité attendu pour l’économie éthiopienne, en levant “les contraintes sur l’investissement et la croissance du secteur privé”.

Une autre conséquence attendue devrait être une augmentation des exportations, grâce à une monnaie plus compétitive.

En outre, en raison des restrictions, certaines exportations ont été détournées vers des réseaux de contrebande ces dernières années, selon Tewodros Makonnen Gebrewolde.

« La libéralisation devrait les ramener aux canaux officiels, ce qui signifie une augmentation des recettes », estime l’économiste.

La réforme du taux de change était attendue depuis de nombreuses années par les institutions internationales, FMI et Banque mondiale en tête, alors que les autorités éthiopiennes avaient longtemps refusé de la mettre en œuvre.

Quelques jours après cette annonce, le FMI a accordé un programme d’aide de 3,4 milliards de dollars sur quatre ans, suivi par la Banque mondiale (plan de financement de 1,5 milliard).

Mais les Éthiopiens sont encore loin de voir les fruits de ces réformes.

Abrish (nom modifié) termine ses courses dans les ruelles de Merkato : « Tous les produits sont plus chers qu’il y a quelques semaines », déplore ce fonctionnaire.

« Sans notre famille vivant à l’étranger et capable de nous envoyer des devises étrangères, nous ne serions pas en mesure de survivre », a-t-il déclaré.

dyg/md/sva/sba

Anna

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