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«Depuis trente ans, les peintres sont méprisés»


Ilest une idée à la fois modeste et complètement folle, un projet théoriquement assez simple mais, bien sûr, ultra-complexe à réaliser. Le 19 septembre, 80 peintres contemporains de la scène française présenteront une de leurs œuvres, exposée temporairement au musée d’Orsay, et répondront toute la journée aux questions du public. C’est un peu comme si Monet, Degas ou Caillebotte eux-mêmes engageaient la conversation avec le visiteur, évoquant avec désinvolture leurs sources d’inspiration, leurs méthodes de travail, leurs joies et leurs difficultés de peintres.

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Bien sûr, nul ne peut prédire aujourd’hui, parmi ces 80 artistes, lesquels auront atteint, dans 100 ou 150 ans, une postérité équivalente à celle des impressionnistes. Mais tous, quelle que soit leur génération, leur style, leurs origines, de Nathanaëlle Herbelin à Hervé Di Rosa en passant par Françoise Pétrovitch ou François Boisrond, sont déjà des peintres reconnus, exposés et cotés : une sorte de équipe de rêve réunis en un même lieu, en une même journée et prêts, au cœur même des collections d’Orsay, à débattre librement de son œuvre.

Derrière ce projet fou ? Le peintre Thomas-Lévy Lasne, qui mène depuis trois ans de longues interviews en direct sur Twitch et sur sa brillante chaîne YouTube Les apparences avec les figures de cette scène artistique française incroyablement vivante, pourtant longtemps boudée par les institutions et largement méconnue du grand public. Un combat presque idéologique que cet ogre souriant, dont le grand rire fuse en permanence sous les hauts plafonds du musée d’Orsay, mène humblement… Mais sans mâcher ses mots.

Le point : Cet événement est-il finalement la revanche des peintres sur les artistes conceptuels ?

Thomas Lévy-Lasne : Sur les artistes, non, mais sur les institutions qui, depuis près de trente ans, méprisent les peintres, oui ! Cette façon de traiter la peinture comme un art démodé est une histoire bien française, nulle part ailleurs le rejet n’a été aussi violent. Quand j’étais aux Beaux-Arts, le directeur de l’époque, et je l’aimais beaucoup, m’a convoqué dans son bureau pendant deux heures pour me conseiller d’arrêter de peindre : selon lui, j’allais gâcher ma vie, la peinture était finie, il m’a conseillé d’utiliser l’hybride ou le cyberchrome, une technique photo qui, d’ailleurs, est aujourd’hui morte et enterrée. Autre exemple, plus récent : le projet de commande publique baptisé « Nouveaux Mondes », lancé à la demande d’Emmanuel Macron et porté par Bernard Blistène, ancien directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou. 430 artistes ont reçu 30 millions d’argent public… 30 millions, c’est beaucoup ! Bon, parmi eux, il n’y avait pas un seul peintre ! Et puis le Centre Pompidou a encore attendu près de vingt ans pour consacrer une rétrospective au peintre Gilles Aillaud, disparu en 2005, qui est un véritable génie. Aujourd’hui, les choses changent, la peinture est à nouveau à la mode, mais toute une génération de peintres a été délaissée, invisibilisée, peu soutenue…

N’est-ce pas un peu provocateur que l’événement se déroule à Orsay ?

Disons que c’est un camouflet, car c’est évidemment au Centre Pompidou ou au Musée d’art moderne de Paris qu’il faut accueillir les peintres d’aujourd’hui. Mais nous n’y sommes pas les bienvenus. Je n’ai évidemment rien contre l’art conceptuel, la vidéo, les performances, mais ce n’est pas aux institutions de dire ce qui est ou n’est pas de l’art, de décider de ce qui compte et, dans ce cas, de décréter, comme c’est le cas depuis si longtemps, que la peinture est finie. C’est aux pouvoirs publics et aux écoles d’art de s’adapter aux désirs des artistes, et non l’inverse. Aujourd’hui, 40 % des étudiants des Beaux-Arts sont peintres, mais on va les pousser vers la photographie ou les installations… D’ailleurs, de mon temps, aucun étudiant peintre n’a jamais reçu de félicitations de la direction.

C’est aux pouvoirs publics et aux écoles d’art de s’adapter aux désirs des artistes, et non l’inverse.

Mais cet écart entre le goût institutionnel et la réalité des artistes n’a-t-il pas toujours existé ? Les impressionnistes furent rejetés par le Salon officiel de Paris…

C’est vrai, mais les artistes étaient beaucoup moins passifs au XIXe siècle.et siècle qu’aujourd’hui. A l’exception de certains groupes, comme celui que Nathanaëlle Herbelin a formé avec ses amis des Beaux-Arts, on ne se connaît pas, on ne se soutient pas, on est un peu seuls dans notre coin face au marché et aux institutions. Et c’est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas de lieu où nous retrouver… Les photographes ont Paris Photo, le festival d’Arles, la Maison européenne de la photographie, le Jeu de paume… Les peintres n’ont rien. Ils souffrent aussi d’une image déformée, snob aux yeux du grand public, alors qu’ils sont souvent des gens formidables, des bombes de charme qui parlent bien, ont de la présence, de la culture. Vous savez, le monde du cinéma regarde beaucoup ma chaîne YouTube, car tous ces peintres sont des personnages incroyables… D’ailleurs, ces heures d’interviews sont aussi une manière de se constituer des archives inestimables pour l’avenir.

Le 19 octobre, toutes les générations et tous les styles de peintres seront réunis à Orsay. Diriez-vous que cette scène française très hétérogène a néanmoins quelques traits communs ?

Depuis le début des années 2000, il y a, on le sait, un retour indéniable au figuratif, comme si nous avions besoin d’atterrir, de montrer un attachement au réel et aux formes connues de ce monde qui, avec la crise climatique, nous file entre les doigts. Voyageant beaucoup, je crois pouvoir dire qu’en France, contrairement à New York par exemple, où tout ce qui a plus de 2 ans est immédiatement oublié, nous sommes très imprégnés d’histoire de l’art et nous référons sans cesse aux peintres qui nous ont précédés. Nous aimons aussi beaucoup analyser, produire un discours sur ce que nous faisons. Mais ce qui est surtout particulier à la scène française, c’est le souci de la matière, le goût des différentes textures, des effets de pâte, de flou, d’épaisseur. Et ça, c’est très XXIe siècle.et siècle. Matisse, Picasso, Léger ne s’intéressaient absolument pas à la qualité du matériau.

Encourager le public à venir vous parler ?

Pour les plus timides, il y aura un QR code pour suivre l’artiste et lui envoyer un message sur Instagram. Mais sinon, bien sûr, il faut venir nous voir. Nous avons l’habitude de parler de notre travail, nous aimons ça. Et vous verrez : les peintres sont des gens sympas !

*Jeudi 19 septembre, au Musée d’Orsay, « Journée des peintres », de 14h à 21h30


Anna

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