Dès 1935, la « dispute des vitraux » de Notre-Dame au cœur d’une exposition inédite à Troyes

La création contemporaine a-t-elle sa place dans les monuments historiques ? A moins de trois mois de la réouverture de Notre-Dame de Paris, où les futurs vitraux contemporains suscitent la polémique, une nouvelle exposition à Troyes (Aube) lève le voile sur une querelle commencée en 1935 autour de cette question.

“Non ! S’il vous plaît, pas de vitraux modernes à Notre-Dame !”, titrait le journal l’Époque. “Provocation et menace”, ajoutait Le Figaro.

En ligne de mire : des vitraux figuratifs, inspirés des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle (Picasso, Mondrian, Delaunay…) et conçus en 1935 par 12 maîtres verriers de renom, dont une femme, Valentine Reyre, pour remplacer les vitraux incolores, qu’ils jugeaient “trop ​​ternes”, de l’architecte du XIXe siècle Eugène Viollet-Le-Duc.

Appelées “grisailles” et fidèles aux techniques traditionnelles, elles ont reçu “un accueil mitigé à leur époque”, un siècle plus tôt, explique Julia Boyon, commissaire scientifique de l’exposition avec Marie-Hélène Didier de la direction des affaires culturelles d’Île-de-France.

– Survivants –

Rescapés de l’histoire et pour certains de l’incendie de 2019 qui a ravagé la cathédrale où ils étaient entreposés, une quinzaine de ces vitraux monumentaux des années 1930 sont exposés jusqu’en mars à la Cité du Vitrail, dans une chapelle où la lumière naturelle magnifie leurs couleurs vibrantes.

A leurs côtés, maquettes, croquis, cartons peints et documents d’archives (plans, photographies, articles de presse…) illustrent la virulence des débats qui se poursuivent jusqu’en 1965.

« Ce fut l’un des premiers jalons du débat autour de l’insertion d’œuvres d’art contemporaines dans un bâtiment ancien. Il a mobilisé un très grand nombre d’acteurs du patrimoine, la presse et l’opinion publique de l’époque », précise Mme Boyon.

« Les partisans du projet vantent ensuite le savoir-faire des maîtres verriers les plus renommés, louent la représentation de personnages en pied, colorés, rappelant la tradition médiévale, et l’idée que chaque siècle doit apporter quelque chose à l’édifice », ajoute-t-elle.

Un cardinal, auteur d’un « programme iconographique moderne », appelle à un « renouveau spirituel à travers des créations contemporaines » et le peintre Maurice Denis publie une tribune de soutien dans la presse.

– La peur d’un précédent –

Les détracteurs, « moins nombreux mais plus virulents, fustigent le manque d’harmonie de l’ensemble, certains parlant de cacophonie ». Pour eux, les vitraux modernes devraient être réservés aux églises contemporaines. Ils craignent aussi de créer un précédent qui ouvrirait la voie à une diffusion déraisonnée d’œuvres contemporaines dans des édifices anciens, souligne Anne-Claire Garbe, conservatrice à la Cité du vitrail et commissaire générale.

Présenté à l’Exposition internationale de 1937, le projet de vitrail contemporain fut plusieurs fois rejeté par la commission des monuments historiques, qui l’adopta finalement en janvier 1939.

C’est la Seconde Guerre mondiale qui va définitivement l’enterrer. Les vitraux seront alors démontés pour être protégés, cachés en zone libre ou disparaître.

Seul Jacques Le Chevallier (1896-1987), auteur en 1937 d’une version du credo sur la vie éternelle exposée à Troyes, s’est vu confier la commande d’une composition abstraite qui fut intégrée à la cathédrale en 1965 avec le soutien d’André Malraux, alors ministre de la Culture, et qui resta en place jusqu’à l’incendie du 15 avril 2019.

Alors que les travaux de reconstruction de Notre-Dame touchent à leur fin, huit binômes d’artistes et maîtres verriers, dont Daniel Buren en association avec la manufacture Vincent-Petit de Troyes, ont été retenus pour remplacer les vitraux réalisés par Viollet-le-Duc dans six chapelles du bas-côté sud de la nef, côté Seine, d’ici 2026.

Initié par le président Emmanuel Macron, et soutenu par l’archevêque de Paris, Mgr Laurent Ulrich, ce projet, qui doit être figuratif et dont le fil conducteur doit être l’arbre de Jessé (un motif fréquent dans l’art chrétien, qui représente schématiquement l’arbre généalogique de Jésus, ndlr), a reçu un avis défavorable de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, qui reste consultatif.

Une situation qui rappelle une vieille querelle, souligne Mme Garbe.

« Avec la grande différence, souligne-t-elle, qu’il existe désormais une charte internationale interdisant en principe le remplacement d’oeuvres existantes par de nouvelles créations. » Cette charte n’est toutefois pas contraignante.

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