des films à petit budget à la présidente du jury du Festival de Cannes, l’irrésistible ascension de Greta Gerwig

Le cinéaste américain occupera ce poste prestigieux lors de la 77e édition du festival, qui débute mardi. Une consécration pour celle qui s’est d’abord fait connaître comme actrice et scénariste.

« Pour moi, Greta Gerwig a la créativité et l’ouverture d’esprit d’une génération d’artistes qui bousculent les codes. » Le compliment est signé Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, dans un entretien au magazine américain Variété en avril. Le patron de la Croisette a confié le rôle prestigieux de président du jury de cette 77e édition, qui débute mardi 14 mai, à cette quadragénaire qui porte plusieurs casquettes : réalisatrice, mais aussi scénariste, actrice et productrice. Une femme qui incarne une nouvelle génération à Hollywood et qui a bousculé l’industrie avec le succès mondial de Barbie.

Avec Adaptation féministe des aventures de la célèbre poupée Mattel, Greta Gerwig est entrée dans un cercle plus que privé, puisqu’elle y siège seule : celui des femmes qui ont réalisé un film ayant accumulé plus d’un milliard de dollars de recettes au niveau mondial. box-office. Moins d’un an après son triomphe, la voici juge entre ses pairs à Cannes, un festival dont « elle incarne parfaitement l’esprit (…) à travers sa passion pour le cinéma et son brillant parcours tant dans le paysage de l’art et essai que hollywoodien »assure Thierry Frémaux.

Pourtant, le chemin vers le soleil et le tapis rouge cannois était loin d’être tracé. Si Greta Gerwig est originaire de Californie, ce n’est pas à Hollywood, mais à Sacramento qu’elle a grandi. Elle a partagé sa jeunesse entre une éducation dans un collège catholique, la distribution de repas aux sans-abri et de tracts pour soutenir les campagnes électorales locales, et des spectacles donnés dans les petits théâtres de la ville, raconte Le monde. La ressemblance avec le personnage principal de son film Dame Oiseauqui suit les aventures d’un adolescent de Sacramento qui rêve de devenir écrivain à New York, n’est pas fortuit. « Ecrier Dame Oiseau C’était comme une exploration de ce que je ne pouvais pas être à cet âge. Elle est si directe, si courageuse… Elle a des défauts, mais elle est aussi très admirable. »explique le réalisateur à Allociné.

« (Lady Bird) vient de moi, mais elle n’est pas moi. Elle est celle que j’aurais aimé être. »

Greta Gerwig, réalisatrice

à Allociné

À l’image du personnage incarné par Saoirse Ronan dans le long-métrage, Greta Gerwig quitte la Californie pour la côte Est à 19 ans. À New York, elle étudie l’anglais, la philosophie et le théâtre au Barnard College, une faculté affiliée à Columbia réservée aux filles, traces Le monde. Elle y a forgé son amour du cinéma. Fidèle à un vidéoclub, le Kim’s Club, elle découvre les réalisateurs français. « C’était la révélation d’Agnès Varda ou de Claire Denis, je n’ai pas vu d’équivalents dans le cinéma mainstream américain »elle se confie à Madame Figaro. Elle commence à écrire. « Il n’y a rien que j’aime plus que (que)mais il n’y a rien de plus difficile, parce que, jusqu’à ce que ce soit fini, je dois travailler sur quelque chose qui est mauvais. »elle concède dans Le monde.

Dans les rues de la Grosse Pomme, elle collectionne les petits boulots (serveuse, baby-sitter) et se mêle à de jeunes cinéastes, fauchés comme elle : les frères Safdie, Andrew Bujalski et les frères Duplass. Grâce à ces relations, elle décroche ses premiers rôles dans Hannah prend les escaliers (2007) et Tête de sac (2008). « Ces films s’inscrivent dans la tendance ‘mumblecore' »précisions à franceinfo Marianne Kac-Vergne, maître de conférences en civilisation américaine et cinéma à l’université Picardie Jules-Verne. « ‘Mumble’ signifie ‘marmonner’ : ce sont des films très naturalistes, qui contiennent beaucoup de dialogues, souvent improvisés, avec des acteurs pas toujours professionnels »Elle ajoute.

Suivant Greenberg par Noah Baumbach (2010) et À Rome avec amour (2012) de Woody Allen. Une expérience inoubliable au départ, pour celle qui idolâtrait le réalisateur new-yorkais, comme elle l’a confié au magazine D’abord. Greta Gerwig a cependant fini par le renier, assurant, en 2018, New York Times, qu’elle ne travaillerait plus avec Woody Allen après les accusations d’agression sexuelle portées par la fille du cinéaste, Dylan Farrow. Mais c’est avant tout Frances Ha (2012), de Noah Baumbach, qui fait décoller sa carrière d’actrice. Dans ce film, son rôle de danseuse qui voit son rêve de carrière brisé reprend des éléments de sa vie : Greta Gerwig s’est aussi imaginée un temps sur scène, et sa première idole fut Gene Kelly dans Chantons sous la pluie.

Mais Frances Ha lui apporta aussi son lot de désagréments. La Californienne a co-écrit ce long-métrage avec le réalisateur Noah Baumbach, qui est également son compagnon depuis 2011. Mais elle est réduite au rôle d’égérie du cinéaste. « Je me souviens avoir été très frustré par ça. »témoigne la féministe au magazine américain Vogue. «Je trouve injuste qu’elle soit constamment ramenée à son partenaire, qui a sans doute pu lui faire bénéficier de ses relations dans le milieu du cinéma, mais qui n’est pas à l’origine de la création de ses films. c’est finalement suffisant sexiste »la juge Sabrina Bouarour, docteur en études cinématographiques à l’Institut de l’Université de Londres à Paris et spécialiste des représentations de genre. « Il faut être passionné, déterminé et persévérant pour réaliser trois longs métrages en six ans. »

« Je pense que j’étais déterminé à faire mes propres films, donc je l’aurais fait de toute façon. »

Greta Gerwig, réalisatrice

chez « Vogue »

Dame Oiseausorti en 2017, est sa première tentative derrière la caméra. « Dès que j’ai senti que j’avais un scénario bien écrit, je me suis dit : ‘tu as toujours voulu faire ça, je pense que c’est le bon moment… Tu as travaillé dix ans sur des films, et vous n’apprendrez rien de plus à moins de le faire vous-même. Vous devez le faire, et vous en apprendrez davantage.' »explique-t-elle à la chaîne belge RTBF.

Dame Oiseau révèle la réalisatrice, mais aussi elle « l’intérêt pour les personnages féminins et (son) veulent décortiquer leurs relations quand les hommes sont absents »confirme Greta Gerwig dans Le monde. Le cinéaste « s’intéresse à la jeunesse et aux transformations vécues par les jeunes femmes », décortique Sabrina Bouarour. Dame Oiseau et le deuxième long métrage du cinéaste, Les filles du docteur Marssont comme ça « Les films de passage à l’âge adulte, un genre très présent au cinéma Américain ». « Cela s’apparente au roman d’apprentissage français, où l’on assiste au passage de l’adolescence à l’âge adulte, à travers un certain nombre d’obstacles relationnels et la question de la perte »poursuit le spécialiste.

Dame Oiseau a été nominé cinq fois aux Oscars, notamment pour le meilleur réalisateur. Greta Gerwig devient ainsi la première femme nominée dans cette catégorie depuis la victoire de Kathryn Bigelow pour Démineurs, en 2010, et seulement la cinquième dans l’histoire de la cérémonie. La Californienne a en revanche été snobée par l’Académie pour son adaptation du roman de Louisa May Alcott, Les filles du docteur MarchPuis pour Barbie en 2024. « Greta Gerwig participe vraiment aux polémiques sur les Oscars et l’exclusion des femmes de la catégorie du meilleur réalisateur »note Marianne Kac-Vergne.

Mais le succès international des aventures de la célèbre poupée rend désormais l’Américain « inévitable »selon le conférencier. « Son parcours, d’actrice à cinéaste, de réalisation de films à petit budget à devenir un poids lourd d’Hollywood, Barbiedonne de l’espoir aux réalisatrices qui sont souvent confinées à des films à moindre budget », estime Sabrina Bouarour. Mais dans un premier temps, le choix de l’actrice et productrice Margot Robbie de confier la production de Barbie pour Greta Gerwig, ce n’était pas évident.

« Margot Robbie aurait pu choisir des cinéastes qui avaient réalisé des films plus commerciaux. Peut-être qu’elle souhaitait un regard plus distancié, plus alternatif et ironique. »

Marianne Kac-Vergne, maître de conférences en civilisation et cinéma américains

sur franceinfo

Greta Gerwig fait désormais partie des rares femmes à se voir confier des superproductions. « On peut aussi citer Patty Jenkins avec Wonder Woman, ou Chloé Zhao avec Les Éternels, note Marianne Kac-Vergne. Mais il est très rare de confier des films à gros budget à des réalisatrices. J’espère que ce sera un tournant pour Hollywood. »

La voir assumer le rôle prestigieux de présidente du jury du Festival de Cannes n’étonne personne. « C’est typique du festival de célébrer l’émergence de nouveaux cinéastes une fois qu’ils ont connu le succès », souligne Marianne Kac-Vergne. Greta Gerwig est la première réalisatrice américaine à occuper ce poste. Son parcours est « une aubaine pour le Festival de Cannes, car elle réussit à faire le lien entre le cinéma indépendant et le cinéma hollywoodien, tout en étant ouvertement une grande cinéphile passionnée par la culture française »ajoute Sabrina Bouarour.

En préambule de l’annonce de la sélection officielle le 11 avril, Iris Knobloch, la présidente du festival, n’a pas dit autre chose. « A nos yeux, elle incarne parfaitement l’âme du festival, ce que nous sommes et ce que nous voulons continuer d’être, dit-elle. Comme le festival, il est animé par un amour profond pour le cinéma et son histoire, il aime aussi réinventer ses codes, comme nous, il embrasse tous les genres et s’adresse à tous les publics, promouvant son style unique de scène indépendante jusqu’à Hollywood.  » Et même si ça bouge sur la Croisette avec les Palmes d’Or décernées à Julia Ducournau (Titane) en 2021 et Justine Triet (Anatomie d’une chute) en 2023, sa nomination permet aussi au festival de répondre à ses détracteurs.

« Le choix de cette cinéaste est un atout majeur à l’heure où le festival est largement critiqué pour le manque de présence féminine dans les sélections et dans les récompenses. »

Sabrina Bouarour, enseignante-chercheuse en études cinématographiques

sur franceinfo

Pendant dix jours, Greta Gerwig remplira donc une fonction cruciale, avec un palmarès à dessiner, mais aussi un rôle symbolique. « C’est une consécration pour elle, mais c’est mutuellement bénéfique, car le cinéma français, dont Cannes est la vitrine, a grand besoin de raccrocher les wagons du féminisme »estime Marianne Kac-Vergne.

Cela pourrait bien lui donner l’envie de se transcender encore plus, elle qui a confié à Télérama posséder « le goût de la compétition, qui est une forme d’émulation ». « J’aime ce sentiment de jalousie quand je vois un film que je trouve extraordinaire, » a assuré Greta Gerwig. Cela me pousse à me dire que moi aussi je peux prendre un appareil photo pour filmer quelque chose de très excitant, et je suis alors prête à tout pour y parvenir ! Son prochain défi est également de taille : adapter, pour Netflix, les célèbres romans fantastiques de CS Lewis, Les chroniques de Narnia.