Didier Reynders : « Il faut créer un parquet international dédié au crime d’agression »


A l’heure où l’Ukraine est sous la menace d’une offensive hivernale russe et où l’Union européenne est affaiblie dans sa défense de l’Etat de droit, nous accueillons le Commissaire européen à la Justice, Didier Reynders. Ministre sans interruption pendant dix ans dans différents gouvernements belges successifs, aux Finances et aux Affaires étrangères, son portefeuille va de la défense de l’Etat de droit à l’amélioration de la coopération judiciaire pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme, en passant par la protection des consommateurs.

À l’approche de l’anniversaire de l’invasion russe de l’Ukraine, la question de la création d’un bureau du procureur international chargé de recueillir les preuves des crimes d’agression commis par la Russie en Ukraine est sur la table. Une nécessité, selon Didier Reynders :

« Nous luttons contre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les éventuels génocides par le biais de la Cour pénale internationale ou de la justice ukrainienne, et quatorze États membres ont lancé des enquêtes, des enquêtes, selon leur compétence universelle ou selon que des citoyens de ces États ont été impliqués dans crimes de guerre. Mais pour le crime d’agression, il n’y a pas vraiment de solution internationale aujourd’hui.

« Et donc, il y a une demande ukrainienne pour se rendre dans une juridiction spéciale, un tribunal spécial », ajoute-t-il. « Aujourd’hui, nous voulons travailler sur la première étape, c’est-à-dire un parquet international qui puisse déjà recueillir les preuves de cet attentat et fournir tous les éléments pour un jour mener une procédure devant un tribunal. Cela nécessiterait probablement le soutien de l’Assemblée générale des Nations unies pour avoir un soutien international fort et cela nécessiterait peut-être un traité international », une démarche qui prendrait donc du temps, concède le commissaire à la justice. « Mais la première étape est la création d’un parquet international dédié au crime d’agression, qui pourrait également être localisé à La Haye, comme c’est le cas pour la Cour pénale internationale. Cela permettrait d’éviter les doubles emplois avec ce tribunal pénal. C’est vraiment l’objectif que j’ai expliqué au Parlement européen : avancer au plus vite maintenant sur ce sujet. J’espère pouvoir annoncer des nouvelles lors de la réunion que la Commission aura début février à Kyiv avec le gouvernement ukrainien. »

Concernant le gel des avoirs des oligarques russes, le Commissaire européen à la Justice estime que cela a un impact sur le conflit, mais qu’il faut aller plus loin. Il ne s’agirait « pas seulement de geler des avoirs, mais éventuellement de les confisquer », explique-t-il. « Soit il y a un lien avec une activité criminelle, la corruption ou le blanchiment d’argent, soit il s’agit de considérer que lorsqu’il y a une tentative de contournement, des sanctions, c’est un crime en soi. Et là, ça permettrait d’obtenir en justice non plus le gel, mais la confiscation », détaille Didier Reynders. Cette proposition qu’il a faite au Parlement permettra, selon lui, d’œuvrer à la reconstruction de l’Ukraine.

Quelques semaines après le début du scandale du Qatargate, le commissaire européen à la justice reconnaît que cela a changé sa réflexion sur l’État de droit européen et institutionnel : « il reste encore un certain nombre de mesures à prendre en matière de transparence des activités, notamment au Parlement européen. Mais au fond, j’ai un sentiment plutôt mitigé ou mitigé par rapport à cette situation », confie-t-il.

« Le Qatargate est une catastrophe pour les institutions européennes. Mais, je note aussi que si une enquête a pu se développer, c’est parce que nous avons une justice indépendante, donc ça renforce mon sentiment qu’il faut continuer à travailler jour après jour. » donc que partout dans l’Union et au-delà, il existe effectivement des systèmes judiciaires qui garantissent l’indépendance des juges et des magistrats et qui garantissent donc que, par exemple, des enquêtes comme celle-ci puissent se développer. »

L’occasion de revenir sur les problèmes d’autorégulation des institutions elles-mêmes et les propositions de création d’une haute autorité européenne de la transparence : « Je n’ai aucun problème à aller plus loin, y compris par le biais d’autorités indépendantes », assume Didier Reynders. « Il faut se rendre compte qu’il y a deux choses différentes. Il y a des améliorations à apporter et c’est vrai que le Parlement a un énorme travail à faire dans ce domaine sur la transparence de toutes les activités en dehors des activités du Parlement. Mais ne vous y trompez pas » , prévient-il, « il y a aussi une activité criminelle ici et une fois qu’on passera à l’activité criminelle, la transparence ne suffira plus. Il faut qu’il y ait des forces de police, des forces de renseignement, des magistrats suffisamment équipés et suffisamment indépendants pour mener des enquêtes. »

>> À lire aussi : Roberta Metsola : « Des discussions bilatérales incontrôlées avec un pays tiers à l’UE, c’est non »

Des outils nécessaires pour les institutions ainsi que pour les États membres, comme la Pologne et la Hongrie. « Nous devons pouvoir atteindre le même degré d’indépendance de la justice, le même effort de lutte contre la corruption dans tous les États membres. Nous avons exigé un ensemble de réformes et j’ai pu discuter avec le ministre hongrois de la Justice des réformes à mettre en place. en place pour aller vers l’indépendance de la justice en Hongrie », déclare Didier Reynders. « Ce qui se passe pour le moment, c’est que nous avons obtenu un accord dans la définition du plan sur les réformes à mettre en œuvre. La première chose est de vérifier que ces réformes sont effectivement votées. […] Mais cela ne suffira pas. Il faut qu’au-delà du vote des lois, il y ait une mise en œuvre concrète, des ressources suffisantes, des moyens techniques, l’indépendance des personnes en charge de ces différents nouveaux instruments pour qu’on puisse lutter activement contre la corruption, mais qu’on puisse avoir, en d’une manière plus générale, une justice indépendante.

« Nous constatons un changement profond, du moins dans la volonté de voter des lois. Si ces lois passent et qu’elles sont correctement mises en œuvre, alors nous pourrons reprendre la voie d’un véritable transfert de fonds vers la Hongrie ou d’un financement du plan de relance de la Pologne ».

Car, rappelle le Commissaire européen à la Justice : le versement des fonds est toujours bloqué. « Le plan de relance a été adopté par la Pologne en juin de l’année dernière. Mais il n’y a toujours pas un seul euro versé dans le cadre de ce plan. Nous attendons des réformes, notamment dans la justice, qui sont actuellement en discussion au Parlement polonais. condamnation de la Pologne à un million d’euros par jour en octobre 2021. Nous avons déjà réclamé plus de 400 millions d’euros à la Pologne et nous retenons les montants sur les paiements dus par la Commission », explique-t-il. « Nous avons aussi clairement annoncé que l’aide qui est accordée ne donnera lieu à aucun remboursement si la Pologne ne se met pas en ordre en matière de respect des droits fondamentaux. Et là, on parle de dizaines de milliards d’euros. l’instrument budgétaire joue un rôle majeur et nous l’utilisons chaque fois que cela est possible pour réformer la justice, pour lutter contre la corruption, mais aussi pour assurer le respect des droits fondamentaux, en gardant évidemment à l’esprit que nous pouvons le faire dans les domaines de compétence de l’Union. »

Programme préparé par Isabelle Romero, Sophie Samaille et Perrine Desplats

France 24 Europe

Toutes les actualités du site n'expriment pas le point de vue du site, mais nous transmettons cette actualité automatiquement et la traduisons grâce à une technologie programmatique sur le site et non à partir d'un éditeur humain.