d’un bus à l’autre, un poète voyageur entretient la flamme des manifestations

Tout en essayant de garder son équilibre dans un bus cahoteux, le poète Willie Oeba déclame ses propos politiques aux Nairobiens coincés dans les embouteillages. Son objectif : entretenir la flamme des récentes manifestations de jeunes au Kenya.

Cet artiste de 30 ans puise son inspiration dans la colère des Kenyans envers le président William Ruto, qu’ils surnomment Zakayo (du nom de Zachaeus, collecteur d’impôts obstiné de la Bible) pour sa propension à leur imposer de nouveaux impôts.

Il y a trois mois, des milliers de jeunes de la « génération Z », née après 1997, sont descendus dans la rue contre le projet de loi de finances, qu’ils ont réussi à faire retirer. Les rues se sont depuis vidées, beaucoup craignant la répression policière, qui a fait plus de 60 morts selon des ONG.

Mais l’amertume contre la classe politique demeure.

« Que devrait faire Zakayo ? » demande M. Oeba à bord d’un matatu, le transport public emblématique du Kenya.

“Ashuke (Stand out)!”, a répondu la foule à l’unisson, reprenant l’un des slogans des manifestations, où elle scandait également en anglais “Ruto must go!”.

Le slameur, vêtu d’une veste à carreaux et de longues dreadlocks tirées en arrière, a décidé de mettre son art au service des transports, en proposant une forme d’éducation civique dans ces véhicules où transitent chaque jour des centaines de milliers de citoyens.

Armé seulement de ses jeux de mots et de ses métaphores, M. Oeba monte à bord comme n’importe quel voyageur, planifiant sa performance aux heures de pointe dans les embouteillages de Nairobi.

Dans le bus, le poète joue sur une critique récurrente des déceptions de Ruto : beaucoup de promesses et de relations publiques (PR, en anglais), mais peu d’action.

“Les deux premières lettres (du mot président) signifient (qu’il doit faire les relations publiques du peuple), explique le jeune homme, avant de recevoir une salve d’applaudissements et d’encouragements de la part du public.

– “Révolution des esprits” –

M. Oeba considère ces classes populaires, les premières à souffrir des injustices et de la corruption qui gangrènent ce pays d’Afrique de l’Est, comme sa principale cible.

“Les manifestants ont accompli de grandes choses, cela a piqué la conscience collective de la nation”, a-t-il déclaré à l’AFP.

Mais “c’est là que cette conversation a le plus d’importance (…) Ce que nous faisons maintenant, c’est révolutionner les esprits”.

D’autres portent le même message dans les bidonvilles de Nairobi, où vit plus de la moitié des habitants, selon des ONG.

Chaque jeudi, Wanjira Wanjiru et Kasmuel McOure se rendent à Mathare, un quartier aux toits de tôle où l’accès à l’eau et à l’électricité est incertain, pour échanger avec les jeunes.

Lors d’une récente visite, la discussion a porté sur les violences policières et la peur des accaparements de terres, récurrentes au Kenya.

Les problèmes du Kenya “ne peuvent pas être résolus par les seules manifestations”, a déclaré Mme Wanjiru à l’AFP.

« Sans une mobilisation constante et cohérente, les choses resteront telles qu’elles sont. »

Cette éducation civique par la rue semble déjà agaçante : M. Oeba affirme avoir reçu des appels anonymes l’accusant d’« agitation » de la population.

“Leur travail est très important”, estime l’analyste Nerima Wako-Ojiwa. “Idéalement, l’éducation civique devrait être soutenue par le gouvernement, mais ce n’est pas le cas.”

L’autre terrain de jeu des militants est en ligne. L’engouement pour les manifestations de juin a commencé sur TikTok, où l’effervescence continue.

Kebaso Morara parcourt le pays à la recherche de projets (routes, stades, écoles) financés mais jamais réalisés. Cet avocat partage ensuite ses découvertes sur l’application, où il compte plus de 400 000 abonnés.

Selon des analystes interrogés par l’AFP, ces initiatives pourraient contribuer à changer profondément la politique kenyane, historiquement marquée par la logique du vote tribal, avec le principe du “mtu wetu” (“notre homme”).

“La méfiance (à l’égard des affaires publiques) s’est accrue avec le temps, à mesure que la classe politique a prospéré en trompant” les gens, résume l’expert Hesbon Hansen Owilla.

mnk/er/md/sva/blb

Anna

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