EEmmanuel Macron a cessé d’être président pour devenir empereur. Aussi précises soient-elles, les Constitutions échappent à leurs créateurs, subissent l’influence du temps et l’épreuve des faits. Répétant que la Constitution du Vet La République s’éloigne de plus en plus des intentions du général de Gaulle est inepte puisque le contexte dans lequel elle a été écrite et pensée n’est plus le même. C’est le destin de tout régime politique. Vivre, c’est changer. Personne n’y échappe, pas même la loi. Le pouvoir d’Emmanuel Macron n’a pas diminué, mais il ne s’exercera plus de la même manière ni sur les mêmes personnes.
En temps normal, disons, le président a une majorité à l’Assemblée et un gouvernement obéissant. Son élection est à l’origine de celle des députés, c’est pourquoi il a autant de pouvoir. Désormais, tout a changé. Le chef de l’État n’est pas en cohabitation, mais la France, elle, oui. Divisée en trois blocs, le pays ne pourra se gouverner qu’au prix de concessions et de choix qui déplairont parfois à certains, parfois à d’autres. Emmanuel Macron se retrouve à la tête d’un empire, c’est-à-dire de plusieurs entités qui doivent cohabiter et se satisfaire.
Étonnamment, la France revient à une forme de féodalité comparable à celle du Saint-Empire romain germanique. Dans cette entité hybride, qui débute à la fin du Moyen Âge et correspond grosso modo à l’Allemagne, à la Mitteleuropa et à une partie de l’Italie du Nord d’aujourd’hui, cohabitent une multitude d’États, grands, moyens, petits, parfois très petits. Il y a un empereur, la plupart du temps un Habsbourg, élu par des « princes électeurs ». Une assemblée appelée « diète » règle les différends et harmonise la politique commune. L’empereur n’est pas le chef à proprement parler, mais sa fonction est respectée puisqu’il incarne l’unité et la continuité. Il n’a pas de sujets, mais des vassaux, c’est-à-dire des associés. Des accords sont passés entre les États du Saint-Empire, plus ou moins contraignants et plus ou moins contraignants selon les circonstances. Le but est toujours le même : accroître la puissance de l’ensemble. L’empereur n’a pas de premier ministre, mais un archichancelier, avec lequel il coopère sans le dominer. Ce petit monde avait organisé une dépendance mutuelle qui maintenait l’unité tout en préservant une paix relative. L’idée n’était pas mauvaise et elle ne fonctionna pas si mal que ça puisqu’il fallut attendre Napoléon Bonaparte pour que le Saint-Empire se disloque et soit remplacé, en 1806, par la Confédération du Rhin.
Un régime parlementaire
Le champ politique et idéologique français ressemble à la géographie du Saint-Empire. Multitudes de chapelles plus ou moins puissantes, plus ou moins proches les unes des autres, toutes dépositaires de la légitimité électorale. Emmanuel Macron en est l’empereur. Lui seul peut rivaliser avec la multitude dans la mesure où il a rassemblé plus de voix que tous ses concurrents sur son seul nom. Les partis d’opposition ont donc autant besoin de lui qu’il a besoin d’eux. Le Premier ministre et le gouvernement ne sont plus ses « sujets » comme autrefois, mais des vassaux : il doit tenir compte de leurs avis. La comparaison avec le féodalisme réside aussi dans la relativisation de l’élection dans cette configuration. Michel Barnier appartient à un parti qui est loin d’être majoritaire ; pourtant, il l’est à Matignon. Et, si l’on devait faire un sondage, sa popularité serait probablement supérieure à celle d’Emmanuel Macron, alors même qu’il a été élu au suffrage universel direct. En bref, les forces en présence, le poids qu’elles représentent et l’influence qu’elles exercent ne dépendent pas de leur importance électorale, mais de leur sens de l’organisation, de leur capacité à faire des alliances et des compromis.
Le Vet La République est un régime parlementaire qui avait oublié sa nature. Les élections législatives étant normalement alignées sur les élections présidentielles, le chef de l’État avait en réalité beaucoup de pouvoir. Un simple changement de calendrier a bouleversé ce que l’on croyait éternel. Les règles du jeu ont changé et, ironiquement, elles ont changé parce qu’Emmanuel Macron l’a voulu. La nouveauté réside dans la fragmentation des partis à l’Assemblée, qui empêche le président de jouer les seuls rôles qu’on lui a connus jusqu’à aujourd’hui : chef de la majorité ou chef sous cohabitation. C’est pourquoi Emmanuel Macron est désormais contraint de devenir l’empereur d’une France politiquement compartimentée, à l’image de sa société. Le rôle ne lui va pas si mal.