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En Algérie, l’abstention record est « une victoire de l’esprit du Hirak sur le régime »

Jamais scrutin n’a été autant entaché des irrégularités les plus flagrantes. En effet, la « présidentielle » du 7 septembre (en Algérie) appelle plusieurs constats, qui laissent l’électeur sans voix. Brisation de confiance entre le peuple et les dirigeants, confusion dans les chiffres, déclarations contradictoires… Le grand gâchis !

Le chef de l’Etat cherchait un scrutin qui pourrait effacer celui de décembre 2019 (lors de cette présidentielle algérienne, qui avait été boycottée par une large majorité de la population, Abdelmadjid Tebboune avait été élu dès le premier tour avec 58,13% des suffrages exprimés).

Tout le monde sait qu’il est arrivé par la porte arrière du palais d’El Mouradia (siège de la présidence à Alger). La rencontre du 7 septembre avait précisément pour but de lui permettre de recoller les morceaux d’une popularité fortement écornée. Mais voilà qu’il tombe de Charybde en Scylla.

Mascarade

Mais commençons par la fin. Quatre jours après l’annonce des premiers résultats, aucune autorité n’ose donner au public les chiffres définitifs de cette farce électorale. Mohamed Charfi (le président de l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE), dont le communiqué établissant les résultats a été contesté par les trois candidats) a mangé son chapeau, et les hautes autorités gèrent la tension avec des pincettes.

Pendant ce temps, l’APS (Algérie Press Service), l’ENTV (Société nationale algérienne de télévision) et les télégraphistes du régime continuent de relayer des messages de félicitations à l’heureux élu afin de détourner l’opinion publique du camouflet subi par Abdelmadjid Tebboune, le premier. L’opération écran de fumée continue sans relâche pour imposer le statu quo. Le temps fera le reste, se rassure-t-on en haut lieu.

Dans une déclaration étrangement banale, les trois candidats contestent le taux de participation annoncé par le président de l’Anie, Mohamed Charfi. En vérité, cette déclaration énigmatique enfonce le dernier clou dans le cercueil de cette mascarade.

Jamais dans l’histoire (des élections présidentielles) un vainqueur, haut la main, n’a signé un communiqué qui jette le doute sur l’élection auprès de ses adversaires. En cela, c’est une première. Le taux stratosphérique accordé à Tebboune (94,65% des suffrages exprimés) n’est pas contesté par les deux candidats malheureux.

Ces deux derniers ont, lors de deux points de presse, soulevé de nombreuses irrégularités, sans aller jusqu’à remettre en cause la réélection de Tebboune.

Une position étonnante, car s’il y a des irrégularités et des fraudes, cela signifierait normalement l’invalidation de l’élection. Ce dont ces deux candidats qui ont servi de lièvres à Tebboune lors d’une campagne fade et inutile évitent d’assumer la responsabilité.

Entre 23% et 25% de participation

Mohamed Charfi (a annoncé) dimanche 8 septembre une victoire du chef de l’Etat avec 94,65% des voix. En clair, selon le président de l’Anie, Abdelmadjid Tebboune a obtenu 5.329.253 voix, soit 94,65% des suffrages exprimés. Abdelaali Hassani Cherif, candidat du Mouvement de la société pour la paix (MSP), a été crédité de 178.797 voix (3,17%).

Quant à Youcef Aouchiche, du Front des forces socialistes, il n’a obtenu que 122 146 voix (2,16%). Il est pourtant facile à retrouver suite aux derniers suffrages exprimés. Mohamed Charfi a annoncé 5 630 196 voix sur les 24 351 551 électeurs composant le corps électoral. Après un rapide calcul, on obtient un taux de participation qui oscille entre 23% et 25%.

De là, il est raisonnable de conclure que cette « élection », malgré le bourrage des urnes et des cerveaux des Algériens, a valeur de référendum cinglant contre le président autoproclamé Tebboune.

Costume de dictateur

Au-delà du boycott monumental, si l’on voulait porter atteinte à l’élection et à Tebboune, on n’aurait pas fait autrement qu’avec cette annonce faite par Mohamed Charfi, dimanche, de 94,65% des voix. Ce taux stratosphérique qui confine au ridicule met le candidat Tebboune dans le costume d’un dictateur à la soviétique.

« Ceux qui ont décidé de ce tarif veulent son humiliation, il n’y a pas d’autre explication », sourit un journaliste d’un média public. « Nous savions que cela allait passer, mais pas à ce rythme hilarant », il continue.

Le communiqué des trois candidats pour saccager Anie et Charfi ? Un écran de fumée. Ils veulent créer la polémique autour de l’accessoire – quelques centaines de milliers de voix en plus ou en moins pour l’un ou l’autre candidat – pour détourner l’attention de l’essentiel. Car Mohamed Charfi, en grand serviteur zélé qu’il est, ne pouvait donner de chiffres sans l’assentiment des décideurs.

Le président sortant « réélu » ? On le savait depuis le 21 mars 2024, jour où il a annoncé une élection présidentielle anticipée. « Réélu » avec un large score ? Qui pourrait en douter une seconde ? Les chancelleries qui se sont précipitées pour féliciter Tebboune ne pouvaient pas non plus l’ignorer.

Mais l’essentiel de ce scrutin, c’est que près de 19 millions d’électeurs sur 24 millions n’ont pas voté. C’est une victoire de l’esprit du Hirak sur le régime (le Hirak est le mouvement de contestation qui a secoué l’Algérie entre 2019 et 2021). Le grand embarras pour le régime est là.

Les chiffres sont là : 24 351 551 électeurs inscrits, 5 630 196 suffrages exprimés. Grosso modo, cela fait presque 77% d’abstention. Ou 23% de participation, si l’on veut, sans oublier les bulletins nuls ou blancs, jamais comptabilisés par l’Anie. C’est de cela dont on ne veut pas parler, (c’est de cela) qu’on veut détourner l’attention. Car ce taux d’abstention de 77% pose de vraies questions, d’abord sur le bilan du premier mandat (d’Abdelmadjid Tebboune) et aussi et surtout interroge sur l’avenir.

Si 19 millions d’électeurs, et donc une large majorité d’Algériens, ont boycotté, les hauts responsables feront-ils comme s’ils l’avaient fait ? Plus que jamais, le chef de l’Etat marche sur une corde raide.

Rien ne change

Cette crise politique qui met fin à la parodie électorale n’apportera malheureusement aucun changement – ​​du moins pas dans l’immédiat – pour les Algériens. Tebboune est encore plus mal élu qu’en 2019 puisque son score n’a augmenté que de quelque 357 000 voix. C’est donc indéniablement un chef d’État encore plus fragile et impopulaire qui reste à la tête du pays. Comme lors de l’annonce de cette élection présidentielle anticipée, les Algériens ne se faisaient aucune illusion sur son issue. Ils savaient que les dés étaient pipés.

La première semaine de septembre a vu l’arrivée de quelque 800 Algériens haraga (Ou Harraga : le terme désigne « ceux qui brûlent » leurs papiers officiels en signe de non-retour) sur de petites embarcations en Espagne.

Plutôt le bottillon (un jeu de mots intraduisible entre « le vote » et « le bateau ») (surnom donné aux bateaux utilisés pour traverser la Méditerranée), qui nouveau (« J’ai voté »). En d’autres termes : ces haraga Je préfèrerais risquer de mourir en mer plutôt que d’aller voter. Tout est là. Le message est puissant.

Ces Algériens ne croient plus aux promesses en l’air. Ils ont compris qu’il ne peut y avoir de changement avec des hommes qui non seulement ne veulent pas que les choses changent, mais qui ne veulent pas non plus que l’Algérie prenne un tournant politique différent du leur. Comme (son prédécesseur, Abdelaziz) Bouteflika, Tebboune (78 ans) se considère comme un messie, le leader sans lequel rien ne peut se faire.

Coût de la vie élevé

Alors, la vie chère continuera d’enflammer les portefeuilles des pères de famille, les bricolages économiques, voire l’improvisation, la répression tous azimuts, la diplomatie des nerfs et des grands gestes… Tous les artifices du règne de Tebboune et de son mentor (Saïd) Chanegriha (chef d’état-major de l’Armée nationale populaire) seront renouvelés.

Le boycott silencieux et décomplexé de cette farce électorale signale la rupture profonde entre le peuple d’en bas et le pouvoir. Il rappelle aussi et surtout que l’idée du Hirak est vivante au sein de la société.

Celine

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