En Côte d’Ivoire, le « projet fou » d’un orchestre philharmonique composé d’enfants

Le chef d'orchestre Fabrice Koffi et quelques-uns de ses jeunes musiciens, lors d'une répétition dans un hôtel d'Odienné, en Côte d'Ivoire, le 21 mai 2024.

Au nord-ouest de la Côte d’Ivoire, au milieu d’une zone rurale, une centaine d’enfants qui, jusqu’alors, n’avaient pour la plupart jamais vu d’instrument, forment l’orchestre philharmonique d’Odienné, le premier du pays. Au premier rang de l’ensemble, dans lequel balafons et djembés côtoient instruments européens, Leïla Coulibaly, 9 ans, accorde patiemment son violon. « Je veux être musicien professionnel parce que l’orchestre a changé ma vie »a-t-elle déclaré à l’AFP.

Chaque jour après l’école, 139 enfants âgés de 6 à 16 ans sont récupérés à leur domicile par un minibus et jouent pendant deux heures et demie, encadrés par une dizaine d’enseignants, dans un hôtel. « Un projet fou » Dans une région comme celle-là, estime le chef d’orchestre Fabrice Koffi, alors que l’économie d’Odienné, ville de 86 000 habitants, repose sur l’agriculture, qui fait parfois travailler les enfants.

Par 35°C, Siaka Sy Savané, 15 ans, tromboniste de l’orchestre, est assise derrière les étals ombragés d’un marché. Depuis l’aube, il vend consciencieusement des céréales. « Du lundi au vendredi, je viens aider ma mère au marché. Samedi et dimanche, je pars avec mon grand frère sur le terrain. Quand je chante la musique de l’orchestre, je ne me sens plus fatigué, ça me motiveil dit. Depuis que je suis petite, je rêve d’être musicienne. Aujourd’hui, mon rêve devient réalité. »

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En août 2023, près d’un an après avoir commencé la musique, les enfants se sont produits devant le président ivoirien, Alassane Ouattara, pour célébrer le 63e anniversaire de l’indépendance du pays. Inspiré du concept vénézuélien d’El Sistema – accompagnement musical d’enfants issus de milieux défavorisés – l’orchestre a été créé à l’initiative du ministre de l’Emploi et de la Protection sociale, Adama Kamara, qui le finance personnellement.

Des parents « franchement réticents »

S’ils laissent échapper quelques fausses notes, ils interprètent tous la chanson avec aisance. Marche des Prêtresextrait de l’opéra de Mozart La flûte magique, Ou Coup de marteau, de Tamsir, hit de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2024. Ils ont également donné un concert lors de la cérémonie de clôture du concours, organisé et remporté par la Côte d’Ivoire. « J’ai aimé jouer devant tous ces gensconfie Leïla Coulibaly. J’avais trop peur, mais j’ai repris confiance et j’étais très heureux. »

Fabrice Koffi veille sur chaque élève dès les premières répétitions. « Nous faisons le contraire de ce que fait un orchestre traditionnel », il explique. Si un ensemble est habituellement «le rassemblement de tous les meilleurs» musiciens, celui d’Odienné a enseigné aux enfants les bases, comme  » théorie de la musique «  Et « techniques de jeu », il a dit. En outre,  » la pédagogie est-cecollectif, contrairement aux conservatoires », qui privilégient les cours particuliers, constate Jean Caleb Kouadio, professeur de trompette.

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Une pédagogie destinée aussi aux parents, car l’idée d’orchestre a plus d’une fois heurté les familles conservatrices. « Au début, les parents étaient franchement réticents »se souvient Abdramane Doucouré, intermédiaire entre les familles et l’orchestre : « Certains disaient que la musique ne va pas avec la religion musulmane », majoritaire dans la région. Sarata Kanté, trompettiste à l’aube de l’adolescence, a elle-même dû convaincre ses parents. « Elle a insisté pendant plusieurs semaines »explique sa mère, Mawa Keïta. « Ce n’était pas mon ambition, ma vision pour elle »dit son père, Ousmane Kanté, craignant « qu’elle est trop distraite ». « L’école, c’est sérieux »il dit.

Il ne s’agit pas « non scolaire » les enfants « pour en faire des musiciens »assure Fabrice Koffi, qui, plus jeune, a lui aussi dû tenir tête à ses parents pour devenir flûtiste. « Au contraire, la musique offre des possibilités pour exceller à l’école », il croit. De plus, les résultats académiques de Sarata se sont améliorés. Maintenant, elle rêve d’elle-même « vétérinaire ». Face à un avenir souvent incertain dans un pays où la pauvreté et le chômage frappent les jeunes, Deborah Bodo Israel, professeur d’alto, ne cesse de s’émerveiller : « Ce qui se passe est magique. »

Le Monde avec l’AFP

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